
Lors d’un panel organisé par l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN) sur les dynamiques migratoires entre les pays de l’Afrique de l’Ouest à, le Professeur Ibrahima Kane décrypte la richesse des dynamiques migratoires vers le Sénégal, soulignant son rôle de terre d’accueil basée sur une tradition d’hospitalité et une législation permissive. Un modèle à la fois exemplaire et soumis à des enjeux de modernisation.
« Être étranger, devenir sénégalais », c’est sur ce thème que le Professeur Ibrahima Kane, du Laboratoire d’Analyse des Sociétés et Pouvoirs en Afrique – Diasporas (LASPAD) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, a présenté une réflexion approfondie. Ce débat a mis en évidence la richesse et la complexité de cette migration, ainsi que la place singulière qu’occupe le Sénégal en tant que terre d’accueil.
Le professeur Kane a commencé par souligner que, les relations entre ces étrangers et la société sénégalaise apparaissent comme harmonieuses, fondées sur un héritage culturel, religieux, et historique communs. Il insiste sur le fait que « le partage des confréries soufis, l’affinité linguistique, ainsi que l’histoire d’ouverture du pays depuis l’indépendance, comme l’accueil des Guinéens, des Mauritaniens, et autres réfugiés, renforcent cette cohabitation pacifique ». Il a également évoqué la tradition sénégalaise d’hospitalité et la politique de solidarité héritée de son passé : « Le Sénégal, à travers ses politiques et sa tradition d’accueil, a démontré un esprit de solidarité et de multilatéralité, ce qui facilite l’intégration des étrangers à travers des réseaux communautaires et religieuses solides. »
Concernant le profil des migrants, Kane a cité des statistiques de l’ANSD. La majorité des migrants vient des pays voisins de la CEDEAO, notamment la Guinée, le Mali, la Gambie et la Mauritanie, avec Dakar concentrant près de 60% de cette population. « Les motivations principales sont familiales (35%) et la recherche d’emploi (27%), avec une forte présence de Sierra-Léonais, Maliens, Burkinabés, et Nigériens. » L’un des aspects fondamentaux abordés par le professeur Kane concerne la législation sénégalaise en matière de naturalisation : « La législation sénégalaise est caractérisée par sa grande souplesse et ouverture.
En droit, deux voies existent : par naissance, avec le principe du droit du sol, et par acquisition, par déclaration ou assimilation. » Il précise que le principe du double du sol permet à un enfant né au Sénégal d’un parent étranger de devenir automatiquement Sénégalais. La loi de 1961, souligne-t-il, selon lui « renforce cette possibilité, contrastant fortement avec la Côte d’Ivoire, beaucoup plus restrictive. »
Il ajoute : « La naturalisation repose aussi sur l’intégration, notamment le langage, l’adoption des us et coutumes, et la notion de possession d’État », ce qui favorise une gestion efficace de la diversité, en permettant aux migrants de devenir pleinement citoyens s’ils remplissent ces critères. Le professeur Kane insiste enfin sur la gestion de la diversité : « La gestion migrationnelle doit être abordée avec précaution, en tenant compte des enjeux historiques, culturels, et statistiques en constante évolution. La forte intégration régionale via la CEDEAO, l’esprit de solidarité, et une législation ouverte sont des atouts pour une politique migratoire inclusive, mais il faut rester vigilant. »
Il rappelle que « la particularité du Sénégal comme terre d’accueil, où l’interconnexion culturelle, religieuse, et historique facilite l’intégration, en fait un modèle à suivre pour d’autres pays africains. » Il évoque également le processus de naturalisation : « On peut devenir Sénégalais en épousant un Sénégalais, en étant adopté, ou encore en exprimant sincèrement le désir d’acquérir la nationalité. La naturalisation intervient généralement après dix ans de résidence. » Concernant les chiffres, Kane déplore une faiblesse dans la transparence : « Depuis l’indépendance, environ 14 000 personnes ont été naturalisées. Mais un article récent estime leur nombre en dessous de 600, ce qui soulève des questions sur la fiabilité des chiffres officiels. »
Il poursuit : « La loi sénégalaise sur l’état civil est tellement permissive qu’elle facilite grandement la procédure d’inscription, parfois au prix de négligences administratives. Par exemple, toute personne sans acte de naissance peut obtenir un certificat en fournissant simplement deux témoins affirmant qu’elle est née sur le territoire, ce qui ouvre la voie à des inscriptions parfois bâclées. »
Ibrahima Kane cite la parole de Georges Shaw : « Une nation saine est aussi indifférente à sa nationalité qu’un homme sain à sa santé. » Selon lui, la relation entre étrangers et Sénégal est si saine et empreinte de solidarité que “l’on n’a pas besoin de créer des problèmes liés à la nationalité.” Il souligne également que cette ouverture législative rassure les investisseurs étrangers, qui bénéficient d’une meilleure sécurité juridique en étant naturalisés, ce qui stimule le développement économique du pays.
Toutefois, il relève que « le système administratif reste fragile ; la législation sur l’entrée et le séjour, datant de 1971, est dépassée. » Enfin, il insiste sur la nécessité de réviser cette législation pour mieux répondre aux défis contemporains de la migration tout en conservant l’esprit d’ouverture qui caractérise le Sénégal.