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De Dakar aux Canaries : pourquoi la route de l’Atlantique reste un cimetière ?
Découverte
De Dakar aux Canaries : pourquoi la route de l’Atlantique reste un cimetière ?
Tamaltan Inès Sikngaye🇹🇩
Tamaltan Inès Sikngaye🇹🇩
October 04, 2025

Le sauvetage de 112 migrants abandonnés au large de Dakar a retenu l’attention. Mais derrière ce drame évité de justesse se cache une réalité plus sombre : la route atlantique, devenue l’une des plus meurtrières au monde. Entre chômage, crise de la pêche, répression accrue et absence de solutions durables, l’Atlantique demeure le miroir d’une impasse migratoire.

Mardi 16 septembre 2025, un pêcheur sénégalais a donné l’alerte en découvrant une pirogue à la dérive, sans moteur, avec 112 passagers épuisés. La marine nationale est intervenue à temps, évitant un naufrage certain. Si ce sauvetage spectaculaire met en lumière un geste de solidarité, il révèle surtout une réalité plus inquiétante : la route de l’Atlantique reste une trappe mortelle pour des milliers de migrants en quête d’Europe.  

Utilisée depuis le début des années 2000, cette route reliant l’Afrique de l’Ouest aux Canaries connaît des flux fluctuants, au gré des contrôles et des crises locales. Après un pic en 2006, avec plus de 30 000 arrivées aux Canaries, les départs avaient reculé. Mais depuis quelques années, la route est redevenue l’une des plus actives. En 2024, plus de 46 000 migrants ont atteint l’archipel espagnol, un record. Derrière ces chiffres se cache une hécatombe silencieuse : l’ONG Caminando Fronteras estime que plus de 10 000 personnes ont péri ou disparu l’an dernier sur ce seul itinéraire.

Les causes profondes et les risques mortels

Si les traversées vers les Canaries persistent malgré leur dangerosité, c’est qu’elles reposent sur une combinaison de facteurs puissants.

Sur le plan économique, le chômage élevé, la pauvreté et le manque de perspectives pour la jeunesse, notamment dans les zones côtières, alimentent le départ. La pêche, pilier de revenus pour des milliers de familles, est en crise : raréfaction des ressources, surpêche, effets du changement climatique. À ces difficultés s’ajoutent les tensions locales, l’instabilité dans certaines régions, et surtout l’attrait de l’Europe. Les Canaries, porte d’entrée vers l’Espagne, restent une destination connue et rêvée depuis plus de deux décennies.

Mais ce rêve a un prix. Les migrants embarquent sur des pirogues surchargées, mal équipées, parfois sans moteur, totalement vulnérables en haute mer. Les conditions météorologiques hostiles, les jours de navigation sans eau ni nourriture, ou encore l’abandon de capitaines en plein trajet transforment chaque départ en pari sur la vie. Les plus chanceux sont interceptés ou arrêtés. Beaucoup sombrent dans des naufrages invisibles.

Des efforts institutionnels, mais un phénomène qui se déplace

Face à cette crise, l’État sénégalais tente de réagir. Patrouilles renforcées, arrestations de passeurs, interceptions en mer : plus de 5 000 migrants ont été interceptés en 2024. Un Comité interministériel de lutte contre la migration irrégulière a même été créé pour coordonner ces actions. Pourtant, ces mesures peinent à freiner le phénomène. Pire, elles déplacent les itinéraires vers des routes encore plus longues et périlleuses, accroissant le danger pour ceux qui tentent malgré tout l’aventure.

Dans ce vide sécuritaire, les pêcheurs locaux deviennent, malgré eux, les premiers témoins et parfois les seuls sauveteurs.

Le drame évité au large de Dakar illustre les limites d’une approche centrée presque exclusivement sur le contrôle et la répression. Sans réponses structurelles, le cycle se répète : arrestations, déplacements vers de nouveaux points de départ, traversées plus longues et plus dangereuses. Les solutions pourtant existent. Investir dans l’emploi des jeunes, offrir des alternatives économiques aux pêcheurs, renforcer une coopération régionale réellement solidaire et placer le respect des droits humains au cœur des politiques migratoires pourraient desserrer l’étau. Faute de quoi, les pirogues continueront de prendre la mer et chaque sauvetage apparaîtra comme une victoire fragile arrachée à l’océan des tragédies. Tant que les jeunes n’auront d’autre horizon que l’exil et que la mer restera leur seul passage, l’Atlantique continuera d’engloutir des vies. Ce n’est pas la mer qui tue, mais l’absence de solutions à terre.


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