
Sur les terres fertiles de Ndakonon, autrefois sillonnée par les charrues et animée par les chants des cultivateurs, règne aujourd’hui un silence inquiétant. Ce village situé à environ 80 kilomètres de Sarh, chef-lieu de la province du Moyen, au sud du Tchad est frappé de plein fouet par un phénomène devenu endémique : l’exode rural. Et avec, c’est toute l’agriculture locale qui vacille.
L’agriculture constitue la plus importante source de revenus au Tchad. Elle représente près d’un quart du produit intérieur brut (PIB) et emploie environ 80 % de la population active.
Situé au cœur de l’Afrique, le Tchad s’étend sur une superficie de 1 284 000 km², avec une population estimée à 13 millions d’habitants. Plus de la moitié des habitants ont moins de 15 ans, et seulement 4 % de la population a plus de 60 ans. Ndakonon regorge aujourd’hui les moins de 16 ans et les plus de 5 ans traduisant ainsi une absence presque totale des bras valides pour les activités agricoles.
Des champs abandonnés, des espoirs dissipés
« Autrefois, on semait le mil, le maïs, l’arachide et le coton sur de grandes superficies. Maintenant, il n’y a plus de bras pour labourer », soupire Ndakonsoal Djiguertan, chef traditionnel de Ndakonon. À 62 ans, il a vu son village changer à une vitesse vertigineuse. « Les jeunes partent à N’Djamena ou même au Cameroun. Ils disent qu’il n’y a pas d’avenir ici. »
Selon un rapport de l’Institut National de la Statistique, des Études Économiques et Démographiques (INSEED), près de 62 % des jeunes âgés de 18 à 35 ans dans les zones rurales du Tchad ont migré vers les villes entre 2015 et 2023. À Ndakonon, cette fuite démographique est encore plus visible : le village a perdu près de 40 % de sa population active en une décennie, selon les estimations du comité villageois de développement.
D’après Ndakonsoal Djiguertan, ces mouvements peuvent s’expliquer en grande partie par l’absence d’un lycée dans son village. « Nous n’avons que deux écoles primaires et un collège. Les jeunes sont obligés de se rendre en ville après l’obtention de leur Brevet de l’Enseignement Fondamental pour poursuivre les études et la plupart d’entre eux ne retourne plus au village. »
Une agriculture en crise silencieuse
Ndakonon vivait principalement de l’agriculture vivrière : mil, manioc, sésame, haricot… Des cultures qui ne nécessitent pas toujours une mécanisation lourde, mais qui reposent sur une main-d’œuvre abondante. « Depuis que mes deux fils sont partis pour la ville, je travaille seule », confie Suzanne Madjiam, 49 ans, veuve et mère de six enfants. Assise à l’ombre d’un manguier, elle montre un petit champ à moitié désherbé. « Je n’ai plus la force de cultiver tout le terrain. L’année passée, j’ai à peine récolté deux sacs de mil. Avant, c’était six. Je ne sais pas comment m’en sortir pendant cette saison. »
Les conséquences économiques sont palpables : la production agricole surtout pour le coton a chuté de près de 35 % en cinq ans dans la zone de Ndakonon, selon Ngartira Ndilmadji, grand producteur de coton de Ndakonon. Cette baisse affecte la sécurité alimentaire, déjà précaire dans une région où près de 47 % des ménages vivent sous le seuil de pauvreté.
Entre rêves d’ailleurs et racines coupées
Pourquoi cette fuite ? La réponse revient comme un refrain chez les jeunes rencontrés dans les environs : absence d’opportunités, manque d’accès à l’éducation, modernité attirante des villes. « Ici, il n’y a pas de lycée, pas d’internet, rien. Même un téléphone, ça capte mal », explique Fidele Kemtayasse, 23 ans, revenu au village pour quelques jours après un an à N’Djamena. Il y travaille comme moto-taximan. « Là-bas au moins, je gagne un peu d’argent. Ici, tu travailles dur sous le soleil, pour quoi faire ? »
Mais le départ des jeunes crée un vide structurel. « Nous manquons de main-d’œuvre, de savoir-faire, et aussi d’espoir », déplore Sidonie Solkem, animatrice dans une coopérative agricole locale. « Le pire, c’est que ceux qui reviennent ne veulent plus toucher à la houe. »
Des initiatives pour inverser la tendance
Face à cette crise rurale, quelques initiatives naissent pour retenir les jeunes. La ferme Ndouya Allah forme les jeunes en agroécologie à Ndakonon. « On apprend aux jeunes à faire du compost, à pratiquer le maraîchage intensif, à utiliser des semences adaptées au climat », explique Mamtode Valery, secrétaire général de la ferme Ndouya Allah.
Mais ces efforts restent limités. « Ces deux dernières années, les jeunes de notre village ne veulent plus se faire former. Et ceux qu’on a formés ont préféré partir, souvent par faute de financement ou de terrain », précise-t-il. « Ces dernier temps, on reçoit seulement la demande des jeunes des villages voisins »
Un avenir à repenser
Alors que le Tchad mise sur l’agriculture comme levier de développement, le cas de Ndakonon illustre une réalité plus complexe. Sans infrastructures, sans accompagnement et sans perspectives claires, les villages du sud risquent de se vider, emportant avec eux un savoir agricole ancestral.
Le chef de Ndakonon, Ndakonsoal Djiguertan lui, garde malgré tout l’espoir : « Il faut que l’État pense à nous. Qu’on nous aide à moderniser, à former les jeunes, à vendre nos produits. Sinon, nos champs deviendront des forêts, et nos villages, des souvenirs. »
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