
Voyager dans certaines régions d’Afrique peut vite faire passer l’envie de se déplacer, tant les conditions sont éprouvantes : corruption, refoulements, contrôles incessants, mauvais traitements… Cryspin Laoundiki a vécu cette réalité en parcourant par la route près de 4.000 km entre le Tchad et le Burkina Faso, en passant par le Niger, le Bénin et le Togo. Une aventure éreintante. Récit.
Il aura fallu cinq jours au journaliste Cryspin Laoundiki pour relier N’Djamena à Ouagadougou, soit environ 4.000 kilomètres. Un trajet long et pénible à travers dunes de sable, chaleur accablante, poussière et pluies, souvent de jour comme de nuit. À bord d’un véhicule Toyota double cabine rempli d’une dizaine de passagers, il débute son périple jusqu’à Daboua, poste frontière entre le Tchad et le Niger. Là, s’enchaînent les contrôles : Agence nationale de sécurité (ANS) (renseignement tchadien), police et services d’immigration. Chaque Tchadien débourse 1.000 FCFA par point de contrôle. Les étrangers paient 2.000 FCFA si leurs documents sont complets. Sinon, les montants explosent. Aucun reçu, aucun justificatif : c’est le prix à payer pour continuer.
Le tronçon N’Djamena – Daboua traverse majoritairement une zone désertique. Le voyageur y aperçoit les carcasses d’animaux morts de soif ou de chaleur, dans un paysage aride où seules quelques plantes épineuses survivent. Pourtant, les paysages au lever ou au coucher du soleil restent spectaculaires.
Un peu plus loin, de nouveaux contrôles surgissent : ceux des militaires lourdement armés. Cette zone frontalière, instable, est régulièrement la cible de Boko Haram. Pour avoir emprunté cet axe en 2019, j’apercevais des carcasses de camions calcinés qui jonchaient encore les routes, vestiges de combats sanglants entre l’armée et les djihadistes.
La route mène ensuite à N’Guiguimi, première ville nigérienne après le Tchad. Un autre poste de contrôle attend les passagers. Là, seul le passeport accompagné du carnet de vaccination permet d’entrer. Sinon, retour immédiat. Même avec les documents requis, le voyageur doit payer : 12.000 FCFA pour une première entrée avec passeport, 5.000 FCFA si ce n’est pas la première fois. Ce coût, appelé « droit de cachet », est systématique.
Depuis N’Guiguimi, Cryspin poursuit jusqu’à Diffa, ville située à environ 1300 km de Niamey et 600 km de N’Djamena. Son voyage le mène ensuite à Niamey, puis à Dosso et Gaya. La frontière entre le Niger et le Bénin étant toujours fermée, la traversée s’effectue sur le fleuve en pirogue motorisée. Chaque passager paie 1.500 FCFA au piroguier, somme également demandée par la police fluviale. Béninois et étrangers sont logés à la même enseigne. Le coût du transport des bagages varie selon leur poids.
Une fois la rive traversée, les passagers arrivent à Malanville, en territoire béninois. Pour rejoindre la gare, il faut encore parcourir environ trois kilomètres en taxi-moto. Mais à mi-chemin, un nouveau poste de contrôle de la police interrompt la progression. Tandis que les citoyens béninois poursuivent leur route sans débourser un franc, les étrangers, eux, doivent s’acquitter d’un paiement de 2.000 FCFA chacun.
Depuis Malanville, le périple se poursuit en direction de Ouaké, localité située à la frontière entre le Bénin et le Togo. Là encore, impossible de progresser sans sortir le portefeuille. Si le passage côté béninois se fait sans encombre, il en va autrement du côté togolais : les ressortissants togolais doivent verser 1.000 FCFA, tandis que les étrangers paient 2.000 FCFA. Les agents justifient leurs pratiques par une formule bien rodée : « personne ne doit leur faire la morale ». Une manière assumée de reconnaître un système fondé sur le racket.
Après avoir traversé le Togo durant la nuit, le voyageur atteint Cinkansé, ville frontalière entre le Togo et le Burkina Faso, très tôt le matin. Malheureusement, le supplice ne s’arrête pas là. Ici aussi, les frais s’imposent : 1.000 FCFA pour les Togolais, 2.000 FCFA pour les non-nationaux, avant même de pénétrer sur le territoire burkinabè. Et une fois au Burkina Faso, les mêmes pratiques se répètent aux postes de contrôle de la gendarmerie et de la police.
Jusqu’à quand les voyageurs devront-ils endurer ce parcours semé d’embûches et de paiements informels ? Une question qui demeure pour l’heure, sans réponse.