
À N’Djamena, la capitale du Tchad, le 2 juin 2025, la cour du lycée Félix Éboué est noire de monde. Parmi les visages stressés et les cahiers de dernière minute, un accent venu de l’autre côté de la frontière se fait entendre. Cette année encore, des milliers de jeunes Camerounais ont rallié le Tchad pour passer les épreuves du baccalauréat. Si cette mobilité peut paraître surprenante, elle incarne pourtant un rêve, un choix stratégique, et surtout une forme de migration éducative digne, libre et assumée.
« Le bac tchadien est plus valorisé à l’international que celui du Cameroun. Il me permet de postuler pour des études supérieures à l’étranger », confie Bomba Francis, un jeune candidat venu de Maroua. Pour lui, traverser la frontière n’est pas une fuite, mais un pas vers l’avenir. Ce qu’il recherche, c’est l’ouverture : la possibilité d’intégrer une université au Maroc, au Sénégal, ou même en Europe. Ce bac, bien que local, a pour lui une portée globale.
Aïssatou Haman, elle, voit dans ce diplôme une ligne d’arrivée. « Ce qui me motive à composer le bac tchadien, c’est que j’ai la possibilité de poursuivre mes études supérieures dans n’importe quel pays de mon choix. » Pour cette jeune fille venue du Nord-Cameroun, réussir cette étape signifie sortir du cycle secondaire, parfois semé d’embûches, et commencer une nouvelle vie.
Entre rigueur et solidarité
Mais cette migration éducative ne se fait pas sans effort. Raziou Evinou, une autre candidate, ne cache pas la pression. « Je me suis préparée physiquement et mentalement. J’ai mis dans ma tête que je devais réussir, et je dois y arriver. »
Pour les accompagner, des associations comme OJECAD (Organisation des Jeunes Camerounais pour le Développement) ont mis en place tout un dispositif. « Nous avons organisé des répétitions depuis janvier. Nous assurons aussi la prise en charge du logement pour que les candidats puissent rester ensemble, réviser et vivre en harmonie », explique Bachirou Pouditto, président de l’organisation. Cette solidarité entre jeunes venus de Douala, Garoua, Kousséri ou Bertoua contribue à créer un esprit de communauté et de brassage culturel.
Une coopération éducative à valoriser
Oumar Ali Moustapha, spécialiste en gestion des systèmes éducatifs au Tchad souligne que ce phénomène est légal et même encouragé. « Ils viennent composer en tant que candidats libres, parce que les textes le permettent. Ceux qui résident au Tchad suivent le parcours scolaire normal et sont enregistrés comme candidats officiels. L’Office national des examens et concours du supérieur (ONECS) les suit de très près. » Pour lui, cette ouverture est un signe de coopération réussie. « Nous les accueillons très bien, sans tracasseries administratives. Ils composent dans de bonnes conditions, puis retournent chez eux. »
En retour, de nombreux Tchadiens choisissent le Cameroun pour leurs études supérieures, notamment dans les grandes universités de Yaoundé ou de Ngaoundéré. « C’est une coopération gagnant-gagnant », estime-t-il.
Cette dynamique pourrait aller plus loin. Oumar Ali Moustapha appelle à une harmonisation des diplômes et à une véritable intégration académique dans l’espace CEMAC. « Lors des sommets sous régionaux, on parle beaucoup d’économie, mais très peu d’éducation. Il faut que les élèves puissent circuler librement pour étudier dans les pays de leur choix. »
Une migration qui en dit long
Chaque année, le bac tchadien devient ainsi un carrefour éducatif sous-régional, où se croisent ambitions, espoirs, et stratégies. Ces jeunes Camerounais ne viennent pas fuir un système, mais saisir une opportunité. Ils incarnent une autre forme de migration : non pas contrainte, mais choisie, non pas clandestine, mais encadrée, non pas marginale, mais profondément humaine.
Dans une région souvent marquée par les tensions et les déplacements forcés, ces candidats sont les visages d’une mobilité digne, porteuse d’avenir et de paix.