
Président de l’Association des Jeunes Rapatriés de Thiaroye sur mer (AJRAP), Moustapha Diouf mêle expérience personnelle et action citoyenne pour dénoncer les dangers de la migration irrégulière et proposer des alternatives concrètes. Entre sensibilisation, formations et appels à une coopération étatique et européenne, il plaide pour une utilisation utile des ressources du Sénégal afin d’offrir aux jeunes des perspectives d’avenir sur place.
Comment votre expérience personnelle de la migration irrégulière a-t-elle façonné votre approche en tant que président de l’AJRAP ?
Je suis Moustapha Diouf, président de l’Association des Jeunes Rapatriés de Thiaroye sur mer (AJRAP). J’ai moi-même connu l’expérience de la migration irrégulière. En effet, en 2006, j’ai pris les pirogues pour les îles du Canaris et j’y ai passé 45 jours avant d’être rapatrié par l’État du Sénégal. Fondée en 2007, AJRAP bénéficie d’une reconnaissance juridique de l’État dès la même année. À l’époque, quelque 600 personnes me suivaient; aujourd’hui, mon engagement s’étend à l’ensemble de la côte sénégalaise pour dénoncer et prévenir la migration illégale. Au début, de nombreux jeunes de la commune venaient me voir. Ils me demandaient pourquoi je ne restais pas inactif malgré mon parcours et ma connaissance de la migration irrégulière et de ses dangers. Répondre à cette question était simple: il fallait agir. Les jeunes m’ont encouragé à mener des campagnes de sensibilisation sur les dangers de la migration sur les plages, les marchés, les écoles et les lieux publics. Nous avons mené des campagnes dans les 14 régions du Sénégal pour informer les jeunes. Chaque année, j’investis du temps dans les écoles de mon département pour parler d’immigration : sensibiliser les jeunes, expliquer les réalités du voyage et démontrer que les promesses « paye et tu arrives » ne sont pas vraies.
Avec tout le potentiel démographique important en Afrique, quelles stratégies conjointes entre États et associations peuvent permettre de retenir les jeunes et de développer des filières économiques locales autour des ressources naturelles et maritimes ?
Des ONG nous ont apporté des formations, mais il manque un suivi après ces formations. Malheureusement, beaucoup de jeunes risquent encore leur vie. Ce sont surtout les agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs qui sont les plus exposés. Les chiffres récents sont alarmants: les départs enregistrés ces dernières années restent catastrophiques. Notre association accueille de nombreuses délégations venues d’Italie, de France, d’Allemagne et d’autres pays. J’ai parcouru les zones les plus reculées pour parler de l’immigration. Cependant, nos ressources restent limitées. Tout le monde sait aussi qu’aujourd’hui, pour qu’un enfant puisse venir ici, il faut disposer d’un projet concret dans la tête et non de simples discours. Récemment, l’Espagne a délivré des visas circulaires. Qui en bénéficie? Souvent les politiciens et leurs entourages; ceux qui devraient vraiment en profiter restent à l’écart. L’État doit prendre ses responsabilités. Aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir une jeunesse forte, le gaz, le pétrole, la mer et la terre. Il faut que l’État tire parti de ces atouts pour créer des opportunités concrètes dont les jeunes peuvent bénéficier. En Europe, la population vieillit; en Afrique, nous avons un potentiel immense qui ne demande qu’à être développé.
Quelles sont les actions concrètes de l’AJRAP sur le terrain ?
Certaines entités actives dans l’immigration sont, selon moi, des « capteurs d’argent et de projets ». Elles n’agissent pas réellement pour la jeunesse ou pour la population; elles finissent par pousser les jeunes à partir, parfois au-delà des mers. Pour illustrer, la mer demeure, pour beaucoup, un véritable cimetière des jeunes africains. A l’Ajrap, nous organisons des conférences, des galas de lutte, des thé-débats et des porte-à-porte pour toucher un large public. En 2006, à Thiaroye-sur-Mer, nous avons déploré la perte de près de 343 jeunes âgés de 25 à 26 ans: des maris, des pères, des fils et des mères qui restent dans nos mémoires.
Pour lutter contre l’immigration, il faut que l’État associe toutes les associations locales œuvrant sur ce sujet afin de trouver ensemble des solutions. Je suis convaincu que nous devons impliquer les communautés locales dans le travail de prévention de l’immigration pour que celle-ci recule réellement. Je demande à l’État du Sénégal, à l’Union européenne, aux volontaires et à tous ceux qui travaillent sur l’immigration de venir collaborer avec nous. Il faut promouvoir des formations professionnelles dans des domaines comme l’agriculture, l’élevage, la pêche afin que les jeunes puissent gagner leur vie autrement que par la migration. L’avenir du monde se joue ici en Afrique : notre sol est riche et nos ressources naturelles abondent. Il est temps de mettre en œuvre des projets concrets qui offrent une vraie alternative à la migration et qui permettent à la jeunesse d’émerger et de prospérer.