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Quand la mer emportent les époux à Thiaroye-sur-Mer
Découverte
Quand la mer emportent les époux à Thiaroye-sur-Mer
Ndiémé Faye 🇸🇳
Ndiémé Faye 🇸🇳
October 04, 2025

À Thiaroye-sur-Mer, Marième, Amy et Ndeye affrontent l’absence de leurs époux décédés en mer. Entre précarité et solidarité, elles réinventent chaque jour leur foyer, gèrent les finances et trouvent des moyens de soutenir leurs enfants. Ce reportage suit leur quotidien intime, leurs rêves et la dignité qui persiste face à la mer et au silence.

Au bord d’une cour poussiéreuse bordée de murs colorés, Marième Diouf range des casseroles près d’un petit étal où traînent des légumes. Ce matin, le soleil frappe les toits des maisons et fait scintiller les bouteilles laissées sur le rebord des fenêtres. Marième, les épaules un peu voûtées, porte sur elle le poids des jours sans son mari : un homme qu’elle a vu prendre une pirogue un mardi soir. Des promesses emportées par le vent et d’un bruit de moteur qui reste dans les oreilles comme un coup de tambour timide. Ils habitaient ensemble depuis 15 ans. La jeune dame se souvient de l’angoisse qu’elle a ressentie lorsque son mari a annoncé qu’il allait tenter la traversée vers l’Espagne. La nuit suivante, elle a veillé près de la radio, espérant entendre un mot, une voix, un signe qu’il allait bien. Mais les heures se sont succédé sans nouvelle, et l’annonce est tombée comme une pierre dans l’eau : son époux avait été perdu en mer. 

Depuis, le quotidien de Marième se déploie dans une autre logique : les repas qui s’organisent autour des contraintes financières. Elle gère leur petite économie avec la prudence d’une capitaine de navire qui ne peut pas se permettre le moindre faux pas. Quand elle parle de son mari, sa voix est basse, ses mots écorchés par la distance et le temps : « Il me manque chaque jour; mais je porte aussi ce qu’il rêvait pour nous dans mes mains et dans mon regard. » Elles sont nombreuses à vivre dans cette situation. L’absence de leurs époux. A Thiaroye sur mer, certaines familles vivent entre promesse et précarité, entre les coûts d’une vie meilleure et les risques d’un voyage qui peut tout emporter.  

Sa peau porte les traces d’années de travail. Calme, Amy Diop est assise dans sa cour en veillant sur ses deux enfants qui jouent. Depuis quatre ans, elle vit l’absence de son époux, le père de ses deux enfants. Amadou Diop a pris les pirogues, direction l’Espagne. Et depuis son départ, aucune nouvelle. « Avant de partir, il m’avait prévenu de son voyage. Le jour-j aussi, avant d’embarquer dans la pirogue, il est venu m’informer. Donc, j’étais au courant », déclare Amy avec une petite voix. En état de grossesse à cette époque, le départ d’Amadou était douloureux pour elle. Elle se retrouve face à une situation difficile. Gérer un garçon âgé de deux ans et être en état de grossesse de quelques mois : « c’était extrêmement difficile pour moi. Je pleurais de temps à autre ». Lorsque la mort de son mari est finalement confirmée, le monde d’Amy Diop bascule. 

« On a cru que c’était la seule porte qui restait ouverte »

Quand son mari a pris la mer, ce fut comme si une porte se refermait et qu’une autre tremblait encore entre ses mains. « On a cru que c’était la seule porte qui restait ouverte », dit-Ndeye Fall, ses mots revenant comme une lame d’écume sur le rivage. Le silence qui suit, elle le porte comme une cape : utile, lourde, nécessaire. De ses mains couvertes de farine, elle évoque ce qui s’est joué dans les semaines qui ont suivi l’annonce, le décès de son époux en mer : « je n’ai pas dormi pendant des semaines, mais je savais que je devais tenir pour mes enfants ». 

L’absence de leurs époux réorganise la vie domestique et financière. Dans leurs quotidiens, chaque pièce porte le souvenir du disparu: les photos sur le mur, les gestes qui témoignent du travail invisible de la douleur. Amy parle du « silence de la maison » comme d’une présence lourde, qui serre le cœur et oblige à tout réinventer. Elle rappelle qu’elle est devenue, en même temps, mère, père et soutien économique, une réalité qui exige une énergie sans cesse renouvelée. Aujourd’hui, la jeune femme gère les petits achats et les ventes du marché, sa voix se mêlant au brouhaha des étals quand elle parle de budgets, de prêts remboursés et d’économies mises de côté pour l’éducation des enfants. Ndeye Fall, quant à elle, prépare de petits pains et des pâtisseries simples, non pas pour le goût seul, mais parce que chaque recette porte en elle la mémoire du mari parti qui aimait bien ces petites recettes. 

Toutes les trois participent aussi à des réunions, discutent des droits et des aides disponibles, et s’efforcent de maintenir vivants les mécanismes de solidarité qui les ont portées jusqu’ici. Amy Diop ne parle pas seulement de ce qu’elle a perdu; elle parle aussi de ce qu’elle peut encore gagner : l’indépendance financière, la voix qui s’élève. « Je veux que mes enfants aient une autre vision du monde que celle imposée par l’absence de leurs pères », dit-elle et son regard, posé sur l’horizon, porte ce désir comme une boussole. Parfois, Marième Diouf s’assoit au bord de la mer, regarde les vagues et parle tout bas à son mari disparu, comme à quelqu’un qui pourrait encore entendre: « promets-moi que tu ne laisseras pas nos rêves tomber. »


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