
Si l’on parle souvent de la diaspora sénégalaise comme d’un moteur de développement pour le pays, la réalité est plus nuancée et complexe à l’échelle locale. À Rufisque, un département historiquement plus tourné vers l’accueil de migrants que vers l’émigration, l’engagement de sa diaspora pour le développement territorial est bien réel, mais il peine à se structurer et à s’affirmer. Un constat qui tranche avec les dynamiques observées dans des régions comme Matam et Tambacounda, où les liens entre migrants et collectivités sont des leviers puissants et bien établis. Voilà ce qu’on pourrait aussi retenir de l’analyse des modes d’engagement « migration et développement » en lien avec le développement du territoire, issue du rapport GRDR migration citoyenneté développement intitulé Profil migratoire du département de Rufisque.
L’analyse des modes d’engagement de la diaspora rufisquoise, basée sur une enquête approfondie, révèle une contribution significative. Transferts de fonds, investissements dans l’immobilier, le commerce ou l’agriculture, et surtout transferts de compétences techniques, sont des actions quotidiennes qui participent à l’amélioration des conditions de vie. Ces actions sont menées par des individus ou des petits groupes, mais elles manquent de visibilité et d’une coordination globale. “Les actions restent encore peu visibles pour les acteurs locaux, car la collaboration entre la diaspora et les collectivités territoriales est encore limitée,” souligne le rapport.
Le défi de l’identité et de la confiance
La faiblesse de cette dynamique est en partie due à l’histoire migratoire du département. Ayant longtemps été un territoire d’accueil, Rufisque n’a pas la même tradition d’émigration que d’autres régions. Ce profil historique se traduit par une diaspora moins organisée et, de fait, une grande difficulté pour les enquêteurs à identifier les migrants de retour. Un des problèmes majeurs, relevé lors des focus groups avec les acteurs locaux, est le sentiment de faible appartenance de la part des immigrés venus d’ailleurs qui ont pourtant fait leur vie dans la région. Cet état de fait, combiné à une absence de confiance envers les élus locaux, explique pourquoi l’envie d’investir de manière plus structurée fait défaut.
Le besoin criant d’accompagnement et de visibilité
Le rapport met en évidence un autre frein majeur : le manque d’accompagnement pour les migrants de retour. Beaucoup ont la volonté d’investir et de lancer des projets, mais ils n’ont pas les ressources ou les conseils pour les concrétiser. “Il a été fréquemment souligné dans les focus group réalisés, que les migrants ont besoin d’être accompagnés pour mieux cibler les secteurs d’investissement et entreprendre des actions collectives pour davantage d’efficience et d’efficacité.” Le Bureau d’Aide à l’Orientation et au Soutien (BAOS) a certes apporté une aide précieuse en finançant quelques initiatives, mais son action est loin de répondre à l’ampleur du besoin. La concertation autour de ces enjeux reste limitée, souvent reléguée au second plan par des débats sur les migrations irrégulières.
Une opportunité de développement à saisir
En conclusion, le département de Rufisque se trouve à un moment charnière. Il dispose d’un potentiel migratoire qui pourrait devenir un puissant levier de développement économique et social. Cependant, pour y parvenir, les autorités locales, en partenariat avec la société civile, doivent prendre des mesures concrètes. Cela passe par la mise en place de plateformes de dialogue entre les élus et la diaspora, la création de structures d’accompagnement pour les projets de retour, et surtout, un changement de perspective. La migration doit cesser d’être perçue uniquement comme un problème à gérer pour être valorisée comme une ressource de développement, au cœur des objectifs stratégiques du territoire. Le défi pour Rufisque est de transformer les contributions individuelles en une force collective et visible, capable d’impulser un développement durable et inclusif pour l’ensemble du département.