Acteur de la chaîne du livre et de la promotion du patrimoine immatériel au Bénin et dans la sous-région, à travers un projet dénommé “Mon Panégyrique, Mon Identité Culturelle”, Camille Sègnigbindé, président de l’association Ecrivains Humanistes – Bénin, et coordonnateur dudit projet, a édité un répertoire papier et audio de panégyriques des “Fon” d’Abomey et des “Mahi” de Savalou” au sud du Bénin. Avec Dialogue Migration, il fait le lien entre panégyrique et migration au terme de ses recherches.
Vous avez lancé un répertoire, qu’est-ce que c’est ?
Il s’agit de l’initiative « Mon Panégyrique, Mon identité culturelle », qui est un projet démarré en 2022 qui allie parfaitement littérature et arts de la scène (chant, conte, slam) et vise, entre autres, à identifier et reconnaître enfin les mérites des détentrices et gardiennes, au sein des collectivités, des panégyriques claniques. Également à sauvegarder à travers l’édition d’un répertoire papier et audio, ce patrimoine culturel, élément du folklore béninois menacé de disparition, qu’on retrouve sous d’autres formes ailleurs dans la sous-région avec les griots. Ce répertoire mis sur le marché le vendredi 22 septembre 2023, est issu d’un processus hautement pédagogique de collecte, de transcription en fon, de traduction en français et d’audit pour validation afin de les transmettre à la jeune génération à travers les arts de la scène dans un processus de co-création artistique.
Alors, qu’est-ce qu’un panégyrique clanique ?
Un panégyrique clanique est une forme de louange des hauts faits d’une personnalité, d’une personne, d’une entité. Généralement on trouve trois formes de panégyriques, dont les panégyriques royaux à l’endroit des rois ; les panégyriques cultuels à l’endroit des divinités et les panégyriques claniques. Les panégyriques claniques sont pour louanger. Et quand on parle de louange on parle de hauts faits, notamment les hauts faits de ceux-là qui sont passés avant notre génération. Et, vous savez quelle fierté cela peut procurer à une personne d’apprendre que son ancêtre avait peut-être terrassé un lion. Cela lui donne un certain courage; même si ce n’est pas lui qui l’a fait, il y a une certaine fierté derrière.
En quoi les panégyriques sont-ils essentiels ?
De l’avis des scientifiques (sociologues et linguistes) que nous avons interrogés sur le sujet, il y a une certaine vibration spirituelle qui agit plutôt positivement sur cette entité ou cette personne à laquelle le panégyrique est déclamé. Il contribue également à l’identité culturelle, c’est-à-dire que cela se déclame à l’endroit d’un clan ou d’une collectivité. Ce qui permet de se distinguer dans un ensemble en réalité et de s’affirmer à partir des hauts faits. Le panégyrique clanique confère un sentiment de fierté en lien à la bravoure de ses ascendants. Du coup, la personne à l’endroit de qui il est déclamé se démarque facilement de l’ensemble des autres en réalité. Cela lui permet de s’afficher, de se distinguer et pourquoi pas bénéficier de ses vibrations positives des ses ancêtres, de ses aînés et donc d’affronter les difficultés face auxquelles cette personne peut se retrouver y compris en couple où il peut servir de médiateur pour désamorcer une crise tout comme dans tous les aspects de la vie sociale.
De vos recherches, il ressort que la collecte des panégyriques peut amener au-delà de l’aire géographique répertoriée. Quel est le lien ou l’influence des migrations sur les panégyriques ?
L’origine des panégyriques, sans aller dans les détails, c’est tout une histoire surtout liée à la migration. Et c’est cette migration qui est très importante. Certains royaumes d’ailleurs dans notre pays ont été créés à partir de cette migration de certains peuples d’un point A à un point B. Et donc ces informations ont voyagé avec ces personnes-là. Et, on peut affirmer aujourd’hui que la migration a favorisé les informations ou les vers de ces panégyriques.
En dehors des hauts faits évoqués , y a -t-il eu des conflits ?
En effet ! Pour pouvoir évoquer les hauts faits, c’est qu’il y a eu des conflits et au terme desquels ces aïeux ou ces ancêtres ont pu vaincre que ce soit l’ennemi ou que ce soit des situations surnaturelles.
Donc, on peut retracer l’histoire d’un peuple à travers les panégyriques ?
Oui, d’ailleurs c’est cela. Vous pouvez retracer l’origine d’un peuple à partir du panégyrique. C’est pourquoi le lien avec la migration est très utile pour avoir l’essentiel de l’information à travers les vers. Les panégyriques sont conçus sous forme des vers et vous avez des strophes qui sont des condensés d’informations qui peuvent être détachées les une des autres. C’est-à-dire que ces strophes peuvent être indépendantes. Elles ne renferment pas des informations forcément tributaires, mais plutôt des informations retracées dans le temps. Par exemple, pour un premier roi ou un chef de tribu on prend ses hauts faits, quand un autre vient à sa suite on prend les hauts faits de celui-là, ainsi de suite jusqu’à une certaine génération. Donc c’est un ensemble d’informations qui se rallonge. Pour ce qui est des panégyriques royaux, quand vous allez à Abomey (un des royaumes les plus célèbres du sud de l’actuel territoire du Bénin -ndlr), par exemple, chaque roi qui accède au trône quand il n’est plus, on va prendre ses faits pour les ajouter aux panégyriques de ce clan-là et on garde la base. C’est comme les couplets d’une chanson; ça continue.
Au regard de tout ce que représentent les panégyriques, comment sauvegarder et transmettre les panégyriques ?
Il faut commencer par les ménages, il faut commencer par les individus. Il faut commencer par connaître nous-mêmes nos panégyriques claniques. Ça part de là. Il faut que chacun aille chercher son panégyrique clanique. Tout le monde en a. Sous d’autres cieux c’est déclamé par les griots. Une fois maîtrisé, on peut le transmettre à nos enfants, à notre cercle. C’est le premier pas pour une transmission facile de génération en génération. La deuxième chose, le professeur Bienvenue Akoha l’a dite. Il faut commencer également à l’école où on récite les poésies et les chants. Également, il y a les activités culturelles et artistiques à l’école. Déjà les décideurs politiques peuvent commencer par inclure ces panégyriques dans la démarche éducative. Après cela, il y a les spectacles avec les artistes qui sont des vecteurs de transmission. Il faut déjà leur confier cette mission d’intégrer cet aspect pour créer des spectacles. Que ce soit les artistes chanteurs, conteurs, slameurs et autres, ils peuvent utiliser cette source que nous avons créé dont ils disposent aujourd’hui qui est ce répertoire de panégyrique pour créer. Ce document est en version française et en version fon. Avec ça, il peuvent donc se mettre à l’aise dans leur démarche créative.
Pour conclure…
Nous sommes heureux, et remplis d’espoir de mettre le pont culturel entre la littérature et les autres arts de la scène tout en mettant le livre au service de la sauvegarde du patrimoine culturel béninois et africain. Et à travers ceci, consacrer la sauvegarde et le début d’une nouvelle forme de promotion du genre littéraire béninois « Ako » ou le panégyrique notamment le panégyrique clanique ‘’Ako mlanmlan’’ en langue fon du sud Bénin.
Entretien réalisé par Ange BANOUWIN
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