
À côté des trajectoires classiques vers l’Europe et l’Amérique du Nord, une part croissante des mobilités africaines se dirige aujourd’hui vers des pays dits « émergents » tels que la Chine, la Turquie, l’Inde, le Brésil, la Malaisie, les pays du Golfe et certains pays d’Amérique latine. Ces flux variés (travail, commerce, études, entrepreneuriat), reflètent des réalités économiques et politiques nouvelles et posent autant d’enjeux en matière de protection, d’intégration et de gouvernance.
La mobilité africaine vers les pays émergents n’est pas un phénomène homogène. On y identifie plusieurs profils : travailleurs (formels et informels), étudiants internationaux, commerçants et entrepreneurs, ainsi que migrants engagés dans la mobilité circulaire saisonnière. Les destinations diffèrent selon les origines et les filières : la Chine attire des étudiants et des entrepreneurs, la Turquie voit croître la présence d’Africains urbains et d’artistes, la Malaisie et certains pays d’Asie accueillent des travailleurs africains dans l’agriculture et la construction, tandis que le Brésil et d’autres pays latino-américains hébergent des migrants pour des raisons professionnelles ou familiales. Ces tendances se déduisent des analyses et recensements consolidés dans le rapport « Africa Migration – second edition » de l’OIM et de l’Union africaine, rendue publique en 2024.
Pourquoi cette orientation croissante vers les pays émergents ?
Plusieurs facteurs poussent des Africains à choisir des pays émergents plutôt que les destinations traditionnelles :
Opportunités économiques ciblées : des secteurs en croissance (construction, services, agriculture, mines) recherchent une main-d’œuvre souvent moins chère et flexible. Les pays du Golfe restent un pôle majeur de l’emploi régional, même si la route y est périlleuse. Ceci a été souligné dans le rapport régional « Assessment of Labour Migration Statistics » par l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
Coûts et accessibilité : pour certains étudiants et entrepreneurs, les frais (études, installation) sont comparativement abordables par rapport à l’Europe ou l’Amérique du Nord ; des universités en Chine, en Inde ou en Turquie développent aussi des offres attractives pour les Africains.
Politiques bilatérales et cadres migratoires : accords de travail temporaires (ex. certains mémoranda entre pays africains et États tiers) ou politiques d’attraction d’investisseurs favorisent ces mobilités.
Réseaux et diaspora : l’existence de communautés africaines établies (Istanbul, Guangzhou, Kuala Lumpur, São Paulo) facilite les départs et l’intégration. Des études montrent l’essor de communautés africaines particulièrement dynamiques à Istanbul et dans d’autres villes émergentes.
Illustrations : Turquie, Malaisie, Brésil, Golfe
Turquie : Istanbul est devenue un centre attractif pour des étudiants, artistes et commerçants africains. Les études montrent une croissance significative des communautés subsahariennes, avec des défis d’accès aux droits et à l’emploi formel.
Malaisie : plusieurs milliers de travailleurs étrangers (dont des Africains) travaillent dans l’industrie, l’agriculture et les services. Selon l’OIM, la Malaisie compte près de 3 millions de migrants au total, testant la gouvernance des flux.
Brésil et Amérique latine : l’Afrique-Brésil connaît des échanges historiques et contemporains (étudiants, entrepreneurs, migrations de transit), et la composition raciale des migrants vers le Brésil a évolué récemment.
Pays du Golfe et route orientale : malgré les risques, la demande de main-d’œuvre attire des Africains de la Corne et de l’Afrique de l’Est ; ces routes restent dangereuses (naufrages, abus) et nécessitent une réponse humanitaire et politique urgente. Les récents naufrages au large du Yémen en sont une tragique illustration.
Bénéfices et risques
Les bénéfices sont entre autres des transferts financiers, une acquisition de compétences techniques et linguistiques, la diversification des marchés pour entrepreneurs et commerçants. Ces gains peuvent soutenir le développement local à travers les remittances et le « brain gain » en cas de retours planifiés.
Mais les risques y sont aussi. Ces risques sont notamment, la vulnérabilité aux contrats précaires et à l’exploitation, l’absence de protection sociale, les barrières administratives, le racisme et la discrimination, les dangers des parcours irréguliers. L’absence d’accords de protection ou de programmes de mise en relation équitables peut transformer ces opportunités en vulnérabilités.
Ce que disent les données et la recherche
Les rapports récents (World Migration Report, Africa Migration Report) montrent que la structure des flux migratoires change. Si l’Europe reste une destination importante, la part des mobilités intra-régionales et vers des économies émergentes est substantielle et en croissance. Les sources insistent sur la nécessité d’améliorer la qualité des données, la protection des migrants et la coopération bilatérale pour transformer ces flux en leviers de développement.
Recommandations politiques
-Il faut renforcer les accords bilatéraux et les voies légales (vacances-travail, visas étudiants, permis temporaires) pour réduire l’irrégularité.
-Protéger les droits des travailleurs migrants dans les pays de destination (inspection du travail, accès à la justice, mécanismes de plainte).
-Aussi, il faut capitaliser sur la diaspora via incitations à l’investissement et programmes de retour volontaire encadré.
La migration africaine vers les pays émergents est une réalité pluridimensionnelle : elle offre des opportunités réelles (emploi, études, commerce) tout en exposant les migrants à de nouveaux risques. Pour que ces mobilités profitent aux individus comme aux sociétés, il faudra des politiques coordonnées, bilatérales et multilatérales, qui favorisent des parcours sûrs, réguliers et protecteurs, ainsi qu’une meilleure gouvernance des flux migratoires à l’échelle régionale et continentale. Les rapports de l’OIM, de l’Union africaine et des organismes internationaux constituent aujourd’hui des ressources essentielles pour bâtir ces politiques.