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Déplacés et communautés hôtes : la spirale de la crise alimentaire au Niger 
Contribution
Déplacés et communautés hôtes : la spirale de la crise alimentaire au Niger 
Youssouf Abdoulaye Haidara 🇳🇪
Youssouf Abdoulaye Haidara 🇳🇪
December 02, 2025

Au Niger, la crise alimentaire ne peut être dissociée des déplacements massifs de populations provoqués par l’insécurité. Dans les régions de Tillabéry, Diffa et Tahoua, les violences récurrentes contraignent des milliers de ménages à abandonner terres cultivées et cheptels, privant ainsi déplacés et communautés hôtes de ressources vitales. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), près d’un million de personnes étaient en situation de déplacement forcé en septembre 2025, accentuant une pression déjà forte sur les marchés locaux et les services sociaux. La perte d’actifs agricoles, la concurrence accrue sur le marché du travail et la hausse des prix alimentaires traduisent un cercle vicieux où mobilité contrainte et insécurité alimentaire s’alimentent mutuellement. Dans ce contexte, les indicateurs nutritionnels se dégradent rapidement, tandis que l’aide humanitaire peine à répondre aux besoins. L’analyse des données révèle une crise multidimensionnelle qui dépasse le seul cadre sécuritaire pour toucher directement la survie quotidienne des ménages.

Déplacements forcés et insécurité alimentaire

La crise alimentaire au Niger est indissociable des déplacements massifs de populations. Les violences répétées dans les régions de Tillabéry, Diffa et l’extrême nord‑ouest de Tahoua poussent des ménages à fuir leurs terres et leurs cheptels, privant simultanément les familles déplacées et les communautés d’accueil de ressources essentielles. Le lien entre mobilité forcée et insécurité alimentaire se lit à travers les pertes d’actifs, la concurrence accrue sur le marché du travail et la pression sur les services locaux.

En septembre 2025, le HCR estimait à 938 429 le nombre de personnes en déplacements forcés au Niger, dont environ 460 000 déplacés internes et 431 464 réfugiés et demandeurs d’asile. Les déplacements se concentrent surtout à Tillabéry, qui accueille 48 % des Personnes Déplacées Internes (PDI), Diffa (32 %) et Tahoua (12 %). Tillabéry est aussi l’épicentre de la violence, avec près de 60 % des incidents sécuritaires recensés. Ces chiffres traduisent une double rupture : les ménages déplacés perdent accès à leurs moyens d’existence, et les zones d’accueil voient leurs capacités de résilience diminuer.

Les ménages contraints à l’exode abandonnent souvent semis, périmètres irrigués et bétail. À Tillabéry, 93 villages agricoles ont été abandonnés, soit 11 % de la superficie emblavée régionale. L’érosion du capital productif force des ventes de détresse et des transferts d’actifs vers la consommation immédiate. Quand le bétail est vendu au rabais ou volé, la principale source de revenus et d’épargne disparaît. Les revenus saisonniers des déplacés deviennent insuffisants pour acheter des denrées, surtout lorsque les prix augmentent localement à cause des perturbations des flux commerciaux.

Impact économique et social des déplacements

L’afflux de déplacés modifie l’offre et la demande sur les marchés du travail et celui des produits alimentaires. L’arrivée de main‑d’œuvre supplémentaire pèse sur les salaires journaliers ; les ménages hôtes, déjà fragilisés, voient leurs opportunités diminuer. Le rapport de FEWS NET montre que la disponibilité de travail saisonnier diminue dans les zones d’accueil alors que la concurrence pour l’emploi augmente. Cette dynamique réduit le pouvoir d’achat au moment où certains ménages ont perdu leurs stocks ou voient leurs productions locales diminuer après des inondations ou des attaques.

La combinaison de ces facteurs se traduit par une dégradation rapide de la situation nutritionnelle. Les admissions d’enfants malnutris sévères dans les centres de prise en charge sont passées de 322 514 (janvier‑août 2024) à 555 245 (janvier‑août 2025), soit une hausse de 72 %. Les régions de Maradi et Zinder enregistrent plus de la moitié des admissions, mais les zones où les déplacements sont les plus intenses montrent des signes inquiétants de pression accrue sur la sécurité alimentaire.

Réponse humanitaire et perspectives

L’aide humanitaire atténue certaines conséquences mais reste insuffisante. Le Plan de Réponse Humanitaire visait 2,1 millions de personnes ; seuls 347 525 bénéficiaires ont été atteints, une couverture réduite d’environ 70 %. Les contraintes sécuritaires, y compris l’exigence d’escorter les opérations, limitent l’accès aux populations déplacées et augmentent les coûts. Sans une montée en moyens et en accès, les zones où les déplacés se concentrent risquent de voir la phase de Crise se prolonger, voire empirer.

Sur le plan saisonnier, la moisson de 2025 offre un répit localisé : stocks et prix plus bas entre octobre et janvier. À partir de février, FEWS NET anticipe l’épuisement des réserves et une généralisation du Stress (Phase 2) dans les zones non affectées par le conflit. Les zones de conflit resteront en Crise (Phase 3). Pour que les déplacements n’alimentent pas une crise alimentaire plus large, il faut sécuriser l’accès humanitaire, augmenter les financements ciblés et soutenir les moyens d’existence des ménages déplacés et hôtes.

La crise alimentaire au Niger illustre la manière dont déplacements forcés et insécurité se renforcent mutuellement, fragilisant durablement les moyens d’existence. Les chiffres alarmants sur la malnutrition infantile et l’insuffisance de la réponse humanitaire témoignent d’une situation où les communautés hôtes comme déplacées voient leurs capacités de résilience s’éroder. Si la moisson de 2025 offre un répit temporaire, les projections annoncent dès février un retour généralisé au Stress alimentaire, avec des zones de conflit maintenues en Crise. Face à cette dynamique, les solutions passent par un accès humanitaire sécurisé, des financements accrus et un soutien ciblé aux ménages les plus vulnérables. Au-delà des urgences, il s’agit de préserver les moyens de subsistance et de renforcer la cohésion sociale pour éviter que les déplacements ne continuent d’alimenter une spirale de pauvreté et de faim. Le Niger se trouve ainsi à un tournant crucial, où l’action rapide conditionne l’avenir de millions de personnes.


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