
Alors que les ministres de l’Intérieur italien, maltais et grec, accompagnés du commissaire européen chargé des questions migratoires ont conclu une visite officielle à Tripoli le 8 juillet 2025, les ONG tirent une nouvelle fois la sonnette d’alarme. Derrière le discours officiel sur la « lutte contre l’immigration illégale », se cachent des réalités bien plus sombres. Il s’agit des violations massives et systématiques des droits fondamentaux des migrants.
Le chef du gouvernement d’unité nationale libyen, Abdelhamid Dbeibah, a annoncé lors cette rencontre le lancement d’une « vaste campagne nationale » pour stopper la migration irrégulière, avec l’appui de plusieurs pays européens. Ce plan prévoit notamment un renforcement des contrôles aux frontières, en mer et dans les villes, l’expulsion de millions de migrants ainsi qu’une régularisation partielle, réservée à ceux jugés « utiles » pour l’économie libyenne.
Officiellement, cette coopération vise à endiguer les départs depuis les côtes libyennes, redevenues l’une des principales routes de l’exil vers l’Europe. Depuis janvier, près de 27 000 migrants ont pris la mer depuis la Libye pour atteindre l’Italie, soit une hausse de 50 % par rapport à 2024. Mais cette politique migratoire, orchestrée en grande partie avec des financements et une logistique européen, a un coût humain considérable.
Tortures, viols, extorsions : l’envers du contrôle
Depuis 2017, un accord entre l’Italie, la Libye et l’Union européenne permet aux garde-côtes libyens, financés et équipés par Rome et Bruxelles, d’intercepter les bateaux de migrants en Méditerranée centrale. Ces exilés, fuyant guerres, dictatures ou misère, sont alors ramenés de force en Libye pour être enfermés dans des centres de détention tristement célèbres.
Les témoignages recueillis par Médecins sans frontières (MSF) soulignent les viols, travaux forcés, rançons exigées aux familles pour obtenir une libération. Entre janvier 2023 et février 2025, le projet MSF de Palerme a soutenu 160 survivants de torture ayant transité par la Libye. Parmi eux, 82 % affirment avoir subi des sévices dans ce pays. Les méthodes employées relèvent d’une brutalité systématique : coups, brûlures, mutilations, électrocution, suffocation.
Une complicité européenne dénoncée
Pour Amnesty International, cette nouvelle visite illustre une dérive. « La coopération migratoire de l’Union européenne avec la Libye est dépourvue de moralité », dénonce l’organisation, qui accuse Bruxelles de se rendre complice de « violations horribles des droits humains ». Malgré les preuves accablantes et les rapports successifs des ONG, l’Europe continue de financer et de légitimer un système de contrôle migratoire fondé sur l’enfermement et la violence.
La situation est d’autant plus complexe que la Libye est toujours déchirée entre factions rivales. Ce 8 juillet encore, la délégation européenne a été refoulée à Benghazi, à l’est du pays, contrôlé par un gouvernement concurrent de celui reconnu par l’ONU à Tripoli. Cette instabilité nourrit les réseaux de passeurs et aggrave les conditions de vie des migrants pris au piège.
Au nom du contrôle, l’oubli de l’humain
En soutenant les autorités libyennes, l’Union européenne externalise sa frontière sud sans garantir le respect des droits fondamentaux. Loin des discours sur la « lutte contre la traite des êtres humains », ce partenariat contribue à enfermer des hommes, femmes et enfants dans un cycle d’abus et de violences, sans réelle issue.
Face à cette réalité, Amnesty International et de nombreuses organisations humanitaires appellent à une révision immédiate de la coopération européenne avec la Libye, exigeant la fin des refoulements en mer et la fermeture des centres de détention. Mais pour l’heure, l’Europe préfère détourner le regard, laissant prospérer un système où le contrôle migratoire prime sur la dignité humaine.