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En Mauritanie, « du jour au lendemain, on nous traite comme des clandestins », témoignent les travailleurs sénégalais 
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En Mauritanie, « du jour au lendemain, on nous traite comme des clandestins », témoignent les travailleurs sénégalais 
Tamaltan Inès Sikngaye🇹🇩
Tamaltan Inès Sikngaye🇹🇩
August 30, 2025

Ils sont maçons, chauffeurs, ouvriers du bâtiment, domestiques ou petits commerçants. Pour beaucoup de Sénégalais, la Mauritanie est devenue depuis des décennies une terre de travail et de débrouille. Installés à Nouakchott, Rosso ou Nouadhibou, ils participent à la vie économique du pays, souvent loin de leurs familles restées au Sénégal. Mais depuis quelques semaines, cette communauté vit sous tension, prise dans la tourmente d’une politique migratoire devenue plus dure.

Objectivement, la Mauritanie cible les migrants en situation irrégulière, notamment ceux qui transitent par son territoire pour tenter de rejoindre l’Europe via les Canaries. Pourtant, de nombreux Sénégalais disposant d’un titre de séjour affirment être eux aussi harcelés, arrêtés et expulsés sans ménagement.

Des Sénégalais en situation légale affectés 

« Ce sont des maçons, des ouvriers, des chauffeurs… », indique Youssou Dieng, vice-président de la Fédération des associations et groupements des Sénégalais en Mauritanie (Fagsem), interrogé par  la journaliste indépendante Louise Marie Ndiaye. Pour lui, ces rafles traduisent un climat de suspicion généralisée. « Du jour au lendemain, ils sont traités de clandestins. C’est ahurissant », a-t-il ajouté.

Le 16 et 17 juillet derniers, la Fagsem a appelé les Sénégalais à cesser le travail pendant 48 heures pour dénoncer ces arrestations arbitraires. Une grève inédite, symbole du ras-le-bol d’une communauté qui se sent abandonnée.

« Si la police, ou bien la garde nationale, vous trouve dans la rue, ou bien sur votre lieu de travail, il vous demande si vous avez la nationalité mauritanienne ou pas. Au cas échéant, si vous n’êtes pas mauritanien, vous êtes dans l’obligation d’être rapatrié ou bien d’être amené au camp où se trouvent les policiers qui doivent vous rapatrier. Là-bas, vous devez rester deux, trois quatre jours pour être rapatrié à la frontière », a de son côté, expliqué à RFI Oumar Ndaw, le vice-président de la Fagsem chargé des affaires extérieures.

Des témoignages glaçants circulent aussi parmi les migrants en transit. « Ils nous ont tabassés, pris tout ce qu’on possédait : argent, montres, téléphones… puis menottés pour nous jeter dans des bus surchargés », a raconté un Nigérian à l’AFP après son expulsion.

Selon le quotidien espagnol El Pais, plus de 30 000 migrants auraient été interceptés entre janvier et avril 2025 en Mauritanie. Les autorités affirment également avoir démantelé 88 réseaux de passeurs sur la même période.

Un accord pour protéger… mais mal appliqué

Pourtant, un accord migratoire entre Dakar et Nouakchott devait justement encadrer et protéger ces déplacements. Signé le 2 juin 2025, il remplace un ancien texte de 1972. Ce nouvel accord fixe des règles claires : tout Sénégalais ou Mauritanien peut séjourner librement jusqu’à trois mois dans l’autre pays. Au-delà, une carte de séjour est obligatoire mais elle peut être délivrée même en l’absence de contrat de travail ou de justificatif de revenus pour une première durée d’un an. Un assouplissement salué par les associations.

L’accord stipule aussi que les deux États « lèvent tout obstacle à la libre circulation des ressortissants » et coopèrent contre l’immigration clandestine. Mais sur le terrain, de nombreux Sénégalais dénoncent une application arbitraire et injuste.

« Entre la ville de Rosso et la Mauritanie, il y a huit postes de contrôle. Partout, on nous laisse passer. Mais une fois à Nouakchott, les autorités disent que la carte est fausse alors que c’est leur police qui l’a faite avec nos empreintes », dénonce encore Youssou Dieng. « On te prend, on t’emmène dans un camp, on te refoule à Rosso et on te met sur une liste noire ». 

Des racines du durcissement migratoire

Ce durcissement n’est pas sans lien avec l’Europe. En mars 2024, Nouakchott a signé un accord avec l’Union européenne, très inquiète de la réactivation de la route migratoire des Canaries. En échange d’un soutien financier de 210 millions d’euros, la Mauritanie s’est engagée à renforcer les contrôles, construire des centres de rétention et démanteler les réseaux de passeurs. Depuis, le nombre d’arrivées a chuté de plus de 40 %.

Mais pour les travailleurs déjà établis, cette pression se traduit par plus de contrôles, plus d’arrestations et une insécurité juridique permanente. « Des gens qui travaillent ici depuis des années sont, du jour au lendemain, traités comme des clandestins », déplore la Fagsem.

Vers une sortie de crise ?

Sous la pression de ces tensions, Dakar et Nouakchott ont annoncé des « concertations » pour mieux appliquer l’accord signé en juin. Selon le ministère sénégalais de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères, l’application provisoire de ce texte doit commencer le 25 juillet. Les autorités s’engagent à « lever tout obstacle à la libre circulation ». Mais pour Oumar, Mamadou et tous les autres, l’inquiétude reste forte.


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