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Solkam Yalom Félicité : « La migration m’a rendue plus forte, plus utile »
Témoignage
Solkam Yalom Félicité : « La migration m’a rendue plus forte, plus utile »
Tamaltan Inès Sikngaye🇹🇩
Tamaltan Inès Sikngaye🇹🇩
May 09, 2025

Solkam Yalom Félicité, également connue sous le nom de Yaya Culturelle, incarne une figure inspirante de la diaspora tchadienne. Diplômée d’État en santé, agent polyvalent aéroportuaire et technicienne supérieure en communication des entreprises en Afrique, elle se distingue par son engagement artistique et social. Passionnée de musique tchadienne, elle partage sur ses réseaux sociaux une image de confiance et d’énergie, arborant souvent des tenues colorées qui mettent en valeur son teint clair naturel, reflet de son attachement à l’art et à la culture de son pays.

Originaire de Sarh, chef-lieu de la province du Moyen-Chari, au sud du Tchad, l’enfance de Félicité, marquée par des responsabilités précoces en tant qu’ aînée des filles, forge son caractère résilient. Dès l’âge de cinq ans, elle assistait sa mère en cuisine tout en partageant des moments de jeu au football avec ses frères. Si son premier rêve de devenir religieuse a été contrarié par ses parents, sa détermination à poursuivre ses aspirations est restée intacte.

Félicité puise son inspiration dans sa volonté d’apporter le sourire aux autres : « Un petit sourire peut changer la donne. C’est pour cela que je souris tout le temps et que je travaille très dur pour redonner le sourire à ceux qui l’ont perdu. » Une attitude héritée de sa mère, Charlotte Ouagadjio, assistante sociale dévouée qu’elle considère comme son mentor : « Toute petite, elle m’a transmis l’amour de son métier : être bienveillante, sociale et empathique. »

Une anecdote touchante illustre cet amour filial : à l’âge de quatre ans, Félicité promet à sa mère de l’emmener un jour en Europe pour prendre soin d’elle — une promesse qu’elle n’aura malheureusement pas eu le temps d’honorer.

Lorsqu’elle reçoit, depuis la France, l’appel lui annonçant que sa mère, hospitalisée à N’Djamena, n’a plus que six heures à vivre, le sol se dérobe sous ses pieds. « J’ai été submergée. Mais au lieu de m’effondrer, j’ai appelé mon petit frère, musicien. Je lui ai demandé de composer une chanson pour notre mère, une ode d’adieu et d’amour », confie-t-elle, la voix tremblante.

La chanson, aussitôt envoyée à l’hôpital, est diffusée à l’oreille de leur mère, qui, à chaque crise, retrouvait conscience dans un sourire fragile. « Treize jours de plus. Treize jours de grâce pendant lesquels elle a pu nous parler, nous bénir, nous dire au revoir. »

De ce moment suspendu entre douleur et lumière naît Yalom’s Prod, une association singulière dont la vocation est aussi bien culturelle que profondément sociale. À travers cette structure, Solkam Yalom Félicité s’emploie à redonner sourire et espoir aux personnes vulnérables — personnes âgées, enfants démunis, malades, ou vivant avec un handicap — par le biais d’ateliers artistiques organisés dans des hôpitaux, foyers d’insertion ou en milieu carcéral. L’association mène également des actions de sensibilisation à la sécurité routière.

En décembre 2023, malgré une faible affluence lors de son premier événement, Yalom’s Prod parvient à collecter des dons pour l’hôpital Necker-Enfants Malades à Paris, avec le soutien de collègues, amis et artistes. L’hôpital exprime sa reconnaissance, et la Première Dame, Brigitte Macron, marraine des enfants hospitalisés à Necker, adresse un courrier de remerciements.

L’exil, un choix de vie et de cœur

Félicité quitte le Tchad à l’âge de 33 ans pour des raisons de santé. « C’était très compliqué. Je faisais la navette entre la France et le Tchad. Finalement, ma mère a dit qu’elle préférait me voir vivante que morte. C’est ainsi que je me suis installée en France. »

En France, arrivée sans papiers, elle découvre la précarité et l’exploitation.
« Travailler au noir avec les papiers d’autrui, c’est se faire voler son salaire. J’ai préféré offrir mes compétences gratuitement aux associations, faire du bien plutôt que me perdre. » 

Elle chante, danse, accompagne les malades dans les hôpitaux. Les retours sont bouleversants :
« Plusieurs patients m’ont dit : “Tes chansons valent mieux que la chimiothérapie.” C’est là que j’ai compris que l’art, l’amour, la présence humaine… guérissent aussi. »

Bien que géographiquement éloignée, son lien avec le Tchad demeure intact :
« La distance avec le Tchad n’est jamais une absence. Mon cœur est là-bas, même si mon corps est ici. »

Elle fait de cette séparation un pont : « Cette distance, je la transforme en lien, pas en fracture. La France m’a donné des outils et des opportunités ; le Tchad me donne l’énergie, la mémoire, l’identité. Mon chemin consiste à faire dialoguer ces deux mondes. »

Une migration porteuse de culture et d’impact social

Avec Yalom’s Prod, Félicité agit désormais sur plusieurs fronts : en France, au Tchad, en RDC et en Côte d’Ivoire. Son objectif : redonner le sourire aux plus vulnérables, promouvoir la culture tchadienne, et porter les artistes au-delà des frontières.

« En deux ans, nous avons accompagné 13 artistes tchadiens qui se sont produits à Paris. Moi-même, j’ai vu une écrivaine tchadienne parler sa langue maternelle sous la tour Eiffel. C’est cela, la migration positive. »

Parmi ces artistes, l’écrivaine et militante féministe Sobdibé Kemaye, surnommée MamanSob, publie deux ouvrages percutants : Le sexe féminin, une fatalité et Le 8 mars, une fête de pagne ou de défilé ? Elle chante en Moundang, sa langue maternelle, ainsi qu’en français et en arabe local.

« Grâce à Félicité, j’ai pu présenter mon livre à Paris. Elle m’a donné la force de m’exprimer en Moundang. Si nous avions quatre femmes tchadiennes comme elle, ce serait extraordinaire », témoigne-t-elle.

« Migrant(e), forme-toi, apprends, puis transmets »

Pour Félicité, migrer ne doit pas rimer avec fuite mais avec construction :
« La migration m’a rendue plus forte. J’ai appris à connaître d’autres cultures et à valoriser la mienne. Aujourd’hui, la mairie de Paris me sollicite pour enseigner l’empathie. Je leur transmets nos valeurs tchadiennes : respect des anciens, solidarité. »

Son message aux jeunes est clair :

« Préparez-vous. Ne partez pas à l’aveugle. Il vaut mieux investir l’argent des passeurs dans un projet que de mourir en mer. Migrer, oui, mais dignement. »Son rêve ultime : créer la Fondation Charlotte Ouagadjio, du nom de sa mère, intégrant un dispensaire, une école et un espace culturel pour les enfants. Un parcours migratoire transformé en pont entre les mondes. Une femme, une vision, une révolution silencieuse.


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