C’est un récit de deux jeunes Congolais, grand frère et petite sœur. Il s’agit de Gaël Lusala et de Marie Thérèse Mavambu. Un parcours tumultueux fait de blessures et de cicatrices de la vie qu’ils racontent dans une tonalité chargée d’émotions. Ils ont quitté leur pays, Congo RDC en 1997 avec toute la famille pour s’installer au Burkina Faso en 2010 après avoir parcouru une dizaine de pays africains.
C’est au quartier Cissin de Ouagadougou que nous avons rencontré Gaël Lusala Mavambu, sous un ciel menaçant. Assis sur un canapé, lunettes noires accroché au front, Gael, le regard à la fois grave et vif, nous prête l’oreille. Nul besoin d’une inspection approfondie pour s’apercevoir, dès le premier contact, que Gaël est multi taches, un touche à tout. Il est, en effet, à la fois artiste comédien, conteur, auteur, metteur en scène, réalisateur, cinéaste, monteur vidéo…
C’est en 1997 que le jeune multidimensionnel a quitté son RDC natal avec sa famille pour l’aventure. Issu d’une fratrie de sept enfants dont six garçons et une fille, Gaël raconte qu’avant de s’installer au Burkina Faso en 2010, lui et sa famille sont passés par plusieurs pays notamment le Sénégal, le Congo Brazza, le Cameroun, la Cote d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Nigeria, le Mali, etc. Et c’est en Guinée précisément à Conakry qu’il a fait ses études au collège, puis le lycée au Bénin avant qu’il ne soit contraint d’abandonner les cours de Comptabilité faute de moyens.
Son rêve de devenir, un jour, grand comptable s’est ainsi brisé. « Il fallait aller travailler pour payer la scolarité, répondre aux besoins de la famille, etc. iI fallait faire le choix entre l’école et la survie. J’ai donc choisi d’arrêter mes études, chose que j’assume », raconte-t-il, le coeur débordant d’amertume sur sa situation sociale d’antan.
Marie Thérèse Mavambu, sa soeur cadette a, quant à elle, commencé, tout comme lui, ses études primaires en Guinée Conakry jusqu’en classe de 6e et les a poursuivi à partir de 2011 à Ouagadougou. Mais elle n’en ira pas jusqu’au bout compte tenu de la situation financièrement précaires dans laquelle se trouvaient les parents.
A travers les réseaux sociaux, elle apprendra la coiffure qu’elle finira par maitriser. « Les gens me félicitent pour les belles coiffures que je réalise », confie Marie Thérèse Mavambu, toute fière. Dans l’optique de fructifier son marché, elle ouvre un salon de coiffure qu’elle va, malheureusement, fermer suite à des problèmes économiques. Sans décolérer, elle tente de relancer son business, mais celui-ci prendra eau suite à son accouchement en 2020. Malgré une troisième tentative de remettre sur pied son salon de coiffure, Marie Thérèse n’y parviendra pas. Ce n’est qu’après qu’elle s’est décidée à poursuivre son métier avec la fabrication des perruques, du genre fait-maison. « Ça marche très bien », témoigne-t-elle toute souriante.
Lorsqu’elle se confiait à nous, la jeune dame croisée au Musée national du Burkina Faso, s’apprêtait à exporter un lot de sa production au Congo.
Seulement, aborder avec eux les raisons du départ de toute la famille du Congo RDC est un sujet qui semble les indisposer. Gaël Lusala Mavambu n’a pas souhaité s’y attarder, visiblement gêné. « Il y a des choses dont on n’aimerait pas parler », a-t-il dit, la tête légèrement baissée. Toutefois, il raconte qu’à la suite de la chute du président Mobutu, plusieurs personnalités avaient quitté le pays et son père était de ceux-là : « Il faut noter que papa n’était pas ‘’petit quelqu’un’’ donc quand Mobutu est parti, il y a beaucoup de gens qui sont partis du pays et nous en faisions partie », relate-t-il furtif. Malgré nos relances, il ne dira plus un mot sur cette partie de son histoire qui, visiblement le met mal à l’aise.
Brune et d’une taille moyenne, Marie Thérèse, la sœurette de Gaël, 27 ans, ne connait pas bien ce pan de l’histoire elle qui n’avait qu’un an au moment des faits.
Toutefois, elle se souvient de son arrivée au Burkina Faso. Après un long et profond soupire, elle laisse entendre que ce n’était pas facile. En plus de la coiffure, Marie Thérèse tient également un restaurant où elle fait uniquement de la livraison de nourriture. Ce n’est pas tout, elle est également comédienne du cinéma. Elle rejoint ainsi son frère dans le 7e art qu’elle décrit comme une passion en elle.
« L’exil est un cimetière »
Lorsqu’on échange avec Gaël et Marie Thérèse, on se rend compte, tout de suite, que l’exil a un goût amer et le poids semble plus lourd sur leurs épaules. Pour Gaël, l’exil représente un « cimetière ». « Quand je fais la somme de ce que j’ai vécu, ce que j’ai traversé dans ces différents pays où j’ai vécu, l’exil est un cimetière », détaille-t-il avant de faire savoir que s’il avait la possibilité de mettre fin à l’exil, il le ferait sans hésitation.
Après un long silence pour reprendre du souffle et se calmer, il poursuit en disant que « quand on est en aventure, ce n’est pas évident, j’ai parfois envie de couler les larmes. Ce n’est pas simple ».
C’est également la perception de Marie Thérèse pour qui « ce n’est pas facile de vivre en dehors de son pays ». Elle ne souhaite qu’une seule chose : repartir au pays. « Je veux repartir chez moi », se veut catégorique Marie Thérèse qui souhaite construire son avenir dans son pays natal.
Le concernant, Gaël se dit confus quant à l’idée de repartir ou pas. Il explique cette situation par une anecdote : « En 2018, je suis rentré au Congo et là-bas, on m’appelle étranger. Au Burkina Faso, on me rappelle par des actes que je suis Congolais. Finalement qui suis-je ? Dois-je repartir ou rester ? Je ne sais pas ».
Selon lui, vivre en dehors de son pays est une épreuve difficile qu’il faut courageusement affronter. « Quand tu es étranger, tu n’as pas les mêmes chances ni les mêmes opportunités », explique-t-il avant de dénoncer l’injustice et la xénophobie qu’il a vécues dans certains pays africains.
C’est dans ce sens qu’il dit avoir mis en place une association dénommée les “Visionnaires” qui a pour objectifs l’intégration et la valorisation des artistes étrangers au Burkina Faso.
Dans la capitale Burkinabè, Gaël se consacre à son activité d’artiste. Il a, à son actif, plusieurs spectacles dont le 1er est intitulé « séquelles de malédiction » où il questionne les femmes violées par des militaires censés les protéger. C’est également un hommage aux femmes victimes du viol.
Le 2e spectacle est baptisé « trois jours de réflexion ». C’est l’histoire d’un jeune qui avait trois jours pour se décider à s’enrôler dans le terrorisme contre de l’argent. Le 3e spectacle : « Calculatrice », dans lequel Gaël raconte son histoire, son aventure en questionnant l’humain qui maltraite autrui tout en oubliant qu’il pourrait aussi être à la place de l’autre. Il dispose d’un répertoire en filmographie dont « Hors de nos pays », un film de 26 mn et « Nos maux », 5mn. Si Marie Thérèse souhaite qu’on parle d’elle à travers la coiffure et la fabrication de perruques, Gaël, quant à lui, se bat artistiquement pour se faire une place au soleil.
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