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Cheikh Ndour, diplômé en Electronique-mécanique et ses 3 tentatives avortées de migration irrégulière
Témoignage
Cheikh Ndour, diplômé en Electronique-mécanique et ses 3 tentatives avortées de migration irrégulière
Ayoba Faye 🇸🇳
Ayoba Faye 🇸🇳
October 31, 2023

Dans les embarcations d’infortune sur le chemin de l’Europe, on trouve plusieurs profils. Il n’y a pas que les pêcheurs qui embarquent dans ces pirogues comme noté souvent dans le traitement médiatique des questions migratoires au Sénégal. Cheikh Ndour, comme plusieurs autres jeunes sénégalais, est un diplômé. Il a fait des études en Electronique-Mécanique à l’institut Assafin (une école de formation professionnelle établie dans la banlieue dakaroise). Après sa formation, il est parti à la recherche d’un travail dans son domaine. En attendant d’en trouver, il s’est mis dans la vente et la livraison. Il est l’aîné de sa famille. Âgé de 26 ans, il n’en peut plus de voir ses parents prendre en charge toutes les charges et dépenses familiales. Dans cet entretien qu’il a accordé à Dialogue Migration, il est revenu sur ses trois tentatives avortées de migration irrégulière vers l’Espagne, par la mer.

« Ma première fois, nous sommes partis de Joal pour atterrir dans une prison mauritanienne »

La première expérience de Cheikh dans la migration clandestine par les pirogues date de 2019. Il a quitté Yarakh (quartier de pêcheur dans la banlieue de Dakar) pour rejoindre les passeurs qui lui avaient donné rendez-vous à Mbour (région de Thiès) pour prendre leur pirogue dans la nuit. « Nous avons embarqué vers 2 heures du matin pour l’Espagne. J’avais déboursé 400 000 CFA. D’autres avaient payé plus. Nous étions au nombre de 83. Malheureusement, après trois jours en mer, nous avons été repérés par les garde-côtes mauritaniens. Ils nous ont interceptés et rendus à la police mauritanienne », confie-t-il, avant de poursuivre : « Nous avons été jetés en prison. Nous avons passé 13 jours là-bas dans des conditions inhumaines. Nous étions traités comme des criminels. Paquetés comme des sardines, nous n’avions pas droit à des toilettes. On faisait nos besoins dans nos cellules. En plus, nous étions sous-alimentés. Pour dire vrai, j’ai vécu les pires moments de ma vie dans cette prison mauritanienne ».

Cheikh et ses compagnons d’infortune n’ont dû leur libération qu’à une ONG qui a payé les autorités mauritaniennes. « La police mauritanienne nous a libérés après avoir soutiré de l’argent à une ONG à laquelle elle a fait croire qu’elle nous a aidés à survivre, alors que c’est faux. Ils nous ont jetés à Ross Sénégal comme de vulgaires criminels. Nous nous sommes débrouillés après pour rentrer chacun chez nous ».

« Mon deuxième voyage, il y a eu 9 décès dans la pirogue avant notre arrivée à Dahla »

Après ce premier échec et son passage traumatisant dans une prison mauritanienne, Cheikh Ndour n’a pas abandonné pour autant son projet de rejoindre l’Europe par la mer. Il a mûri tranquillement un nouveau plan et s’est donné les moyens financiers pour y parvenir. Un an plus tard, il trouve de nouveaux passeurs établis à Saint-Louis (Nord du Sénégal). Seulement, cette deuxième fois, les règles élémentaires pour sécuriser le voyage ont été foulées au pied. La pirogue a été surchargée avec plus du double de ce qu’elle pouvait contenir. « A Saint-Louis, nous avons pris départ avec un nombre catastrophique de 209 personnes à bord de la pirogue. Nous avons fait 9 jours en mer et c’était très difficile à cause de cette surcharge. Après trois jours, les gens commençaient à montrer des signes de fatigue à cause du manque de sommeil. Parce qu’il n’y avait pas d’espace dans la pirogue même pour un petit somme. Le mauvais temps en mer s’y ajoutant, l’ambiance s’est détériorée encore plus. Au bout de 5 jours, il n’y avait plus de nourriture. Nous avons alors enregistré les premiers décès. Après il n’y avait même plus d’eau potable dans la pirogue. D’autres personnes n’ont pas pu tenir dans ces conditions. », s’est rappelé notre interlocuteur, toujours aussi marqué par cet épisode de sa vie.

Cheikh de poursuivre : « Pour survivre à la soif et à la faim, nous étions obligés de boire l’eau de la mer. Le plus dur, c’est quand nous devions jeter les corps de nos camarades en mer. C’est indescriptible. Tout le reste du groupe pouvait rester des heures sans échanger un seul mot. C’est quelque chose qui vous marque toute votre vie. C’est des images dont on ne se départira plus jamais. On les jetait dans l’océan et on gardait leurs accessoires dans l’espoir de pouvoir les donner à leurs proches ».

C’est la Marine royale marocaine qui a tiré Cheikh et ses compagnons au bout de 9 jours de voyage au cours desquels ils ont dû jeter 9 d’entre eux en mer. « La Marine marocaine nous a conduits dans un centre d’accueil à Dahla, après nous avoir secouru. Ensuite, elle a contacté les autorités consulaires du Sénégal au Maroc. Malheureusement, ces dernières n’ont rien fait pour nous venir en aide. Il y avait parmi nous des malades, des blessés et certains qui avaient perdu la tête. Pendant 11 jours, il a fallu que nous diffusions des vidéos sur les réseaux sociaux et que des médias s’intéressent à notre situation pour que les autorités sénégalaises réagissent », déplore-t-il, avant d’ajouter : « Le consul général du Sénégal à Dahla a pris des bus pour nous convoyer à Rosso Sénégal. Une fois sur place, nous avons été livrés à la police des frontières. Pendant dix bonnes heures, nous avons été soumis à des interrogatoires sans manger ni boire. On a été libérés après et laissés à nous-mêmes sans un sou ».

« La troisième fois, je ne pensais pas que je reposerais un jour les pieds sur terre »

En 2021, Cheikh Ndour a tenté une troisième expérience, espérant qu’il foulerait enfin la terre espagnole. Il avait déboursé 350 mille pour être embarqué à Joal (département de Mbour) par des passeurs. « Nous étions 92 personnes dans cette pirogue dont 7 Sierra-léonais et 24 Gambiens. Ces étrangers avaient déboursé chacun 1 million. Nous avons fait 8 jours en mer avec des conditions météorologiques catastrophiques. A un moment donné, je ne pensais pas que je reposerai un jour les pieds sur la terre ferme. Il y a eu 12 morts avant que la Marine royale marocaine ne nous trouve. Encore une fois de plus, nous avons été transportés à Dahla avant notre retour au Sénégal quelques jours après », dit-il.

« J’ai décidé de me donner une chance au Sénégal, je veux travailler avec une ONG sur les migrations »

Après trois tentatives qui ont échoué en mer, les unes plus dramatiques que les autres, Cheikh Ndour a renoncé à un quatrième voyage en mer pour concentrer ses énergies dans ses activités au Sénégal. « C’est difficile de voir mes parents se lever chaque jour, se démener de gauche à droite pour chercher la dépense quotidienne. Mais, j’ai quand même décidé de ne pas y retourner cette année pour me donner une chance au Sénégal. Les opportunités manquent et les portes sont toujours fermées à de jeunes diplômés comme moi. Néanmoins, je n’arrête pas de chercher. Je voudrais bien travailler avec une ONG dans le cadre de la migration clandestine. Après mes trois expériences dans ce domaine, je pense que je pourrais beaucoup aider à sensibiliser les jeunes », affirme-t-il.


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