
En 2015 suite à la mort de plusieurs migrants dans le désert (dont spécifiquement des femmes et des enfants), les autorités de l’époque ont pris la décision de lutter contre la migration irrégulière. C’est ainsi qu’a vu le jour la loi 2015-36 portant lutte contre le trafic illicite des migrants sur le territoire nigérien. Dès son adoption, cette loi fut le fruit des controverses et de la dénonciation par les défenseurs des droits des migrants au Niger. Ces derniers l’ont d’ailleurs qualifié de « loi liberticide » et destructrice du développement économique de la Région d’Agadez. En 2023, juste aux lendemains du coup d’état intervenu dans le pays et qui a renversé le régime en place, les nouvelles autorités, le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), ont abrogé la loi 2015-36 à travers un communiqué publié sur les médias publics. Plus d’une année après, Dialogue Migration replonge ses lecteurs dans la ville d’Agadez pour constater l’ambiance qui règne et comment se fait la relance des activités en lien avec la migration.
Une loi controversée
En novembre 2015 et suite au drame (connu sous le nom de drame de Kantché) survenu dans le désert nigérien dans le département de Dirkou (30 octobre 2015) où 92 corps essentiellement des femmes et enfants ont été découverts, les autorités ont pris la décision pour « prévenir et combattre le trafic illicite des migrants, protéger les droits des migrants et faciliter la coopération nationale et internationale en vue de prévenir et de combattre le trafic illicite des migrants sous toutes ses formes ». Cette décision a été prise à travers la loi 2015-36 du 26 mai 2015 relative au trafic illicite des migrants. Dans les faits, la loi 2015-36 a fait du Niger une prison à ciel ouvert pour les ressortissants des pays subsahariens désirant poursuivre leurs mobilités vers l’Afrique du nord. Pire, la loi prévoit des sanctions pénales dont des emprisonnements et la saisie des camions servant de moyen de transport pour le trafic des migrants. La situation née de la mise en œuvre de la loi 2015-36 a également paralysé la vie économique de la ville d’Agadez. La migration contribue beaucoup à la vie économique de la ville. Plusieurs commerces ont vu le jour à Agadez grâce à la migration.
Dès l’adoption de la loi 2015-36, plusieurs défenseurs des droits de l’Homme ont dénoncé le caractère liberticide de la loi. Selon eux, la loi va à l’encontre des libertés individuelles les plus fondamentales. Car, la loi prive les candidats à la migration du droit à la mobilité.
L’abrogation de la loi 2015-36 et la relance des activités autour de la migration
Dans un communiqué publié le 27 novembre 2023, le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) a décidé de l’abrogation de la loi 2015-36 relative au trafic illicite des migrants à travers le décret 2023-16 du 25 novembre 2023. Les mobiles avancés par le CNSP pour justifier l’abrogation de cette loi est qu’elle a été prise sans tenir compte des intérêts du Niger et de son peuple nigérien. Aussi, la loi ne cadre pas avec les règles communautaires, selon le communiqué du CNSP, de même elle a pour seul objectif de satisfaire aux intérêts de certaines puissances en érigeant et incriminant certaines activités par nature régulière. Certes, les mobiles avancés par les nouvelles autorités sont bien accueillis par les défenseurs des droits des migrants, mais la vraie raison de l’abrogation trouve sa raison dans le contexte de l’époque. Ici référence est faite au coup d’État intervenu dans le pays et le bras de fer qui oppose les nouvelles autorités et l’Union européenne. En effet, dès l’annonce du coup d’État qui a porté le CNSP au pouvoir au Niger, l’Union Européenne a après condamnation réfuté la légitimité des nouvelles autorités suspendant ainsi certaines de ses activités non humanitaires dans le pays. Pour certains analystes, c’est en guise de réponse aux décisions de l’Union européenne que les autorités ont pris la décision d’abroger la loi 2015-36.
Quoiqu’il en soit, à Agadez et chez les défenseurs du droit des migrants la nouvelle a été bien accueillie. Pour les défenseurs du droit des migrants c’est l’aboutissement d’une longue lutte engagée depuis 2015. Pour la population d’Agadez, c’est une nouvelle chance offerte pour la relance des activités dans la région. « Des convois sont organisés chaque semaine en direction du nord vers l’Algérie ou la Libye » explique Ahmadou Attafa habitant de la ville d’Agadez. Des organisations de départ vers le Maghreb qui font renaître les activités commerciales dans la ville comme « la vente des gadgets pour le voyage dans le désert à l’exemple des bidons d’eau, turbans ou encore des lunettes de protection dans le désert » a ajouté Ahmadou Attafa pour expliquer la reprise des activités économiques dans la ville d’Agadez.
La ville d’Agadez vit aujourd’hui une période charnière, où l’abrogation de la loi 2015-36 et la mise en place de la nouvelle ordonnance concernant l’entrée des étrangers au Niger ouvrent de nouvelles perspectives. La levée de cette loi controversée a non seulement relancé les activités économiques liées à la migration, mais elle a également redonné espoir à une population longtemps éprouvée par des restrictions perçues comme liberticides. Cependant, la nouvelle ordonnance impose des régulations visant à équilibrer la nécessité de sécuriser le territoire tout en respectant les droits fondamentaux des migrants.
Cette transition marque une volonté des autorités de concilier les impératifs sécuritaires avec le développement économique et social de la région d’Agadez. La reprise des convois vers le nord témoigne de la résilience des habitants et de leur attachement aux dynamiques migratoires qui ont toujours façonné l’identité locale. Il sera crucial de suivre comment cette nouvelle politique impactera les flux migratoires, les relations avec les pays voisins et le bien-être des communautés locales.
Au-delà de l’essor économique attendu, cette situation soulève des questions profondes sur la gestion des migrations en Afrique de l’Ouest. Comment le Niger navigue-t-il entre la préservation de sa souveraineté, les pressions internationales et la protection des droits humains ? Les réponses apportées pourraient influencer non seulement l’avenir d’Agadez, mais aussi les tendances migratoires dans toute la région. Peut-être est-ce le moment pour une approche plus holistique, qui reconnaisse la migration non pas comme un problème à éradiquer, mais comme une réalité à gérer de manière humaine et durable.
Liens Rapides