
L’évolution des politiques migratoires en Afrique témoigne des grands défis liés à une mobilité accrue. Face à une mobilité intra-régionale intense, les États doivent jongler avec des enjeux économiques, politiques et sociaux profonds, tout en développant leur propre gestion migratoire. Cet article se propose d’analyser les tendances actuelles des politiques migratoires africaines, en mettant en lumière celles qui réussissent à articuler humanisme et innovation institutionnelle.
Plus que par le passé, l’Afrique, continent marqué par une forte mobilité intra-régionale, se trouve aujourd’hui à un carrefour migratoire où se jouent des enjeux économiques, politiques et sociaux majeurs. La diversité des politiques migratoires adoptées par les États africains témoigne d’une disparité de visions, oscillant entre des approches restrictives fondées sur la sécurisation des frontières et des stratégies progressistes axées sur l’intégration des migrants comme acteurs du développement.
Réécrire le cadre migratoire africain : entre fragmentation et tentatives d’harmonisation
Historiquement, la gestion migratoire africaine repose sur des logiques nationales, souvent influencées par des préoccupations sécuritaires ou économiques immédiates, plutôt que par une vision intégrée à l’échelle continentale. Les instruments régionaux, tels que le protocole sur la libre circulation de l’Union Africaine, restent peu appliqués en raison d’un manque de coordination entre les États et de résistances politiques internes. Pourtant, l’adoption d’une politique migratoire cohérente à l’échelle africaine pourrait constituer une réponse efficace aux défis contemporains, notamment en facilitant la mobilité des travailleurs et en optimisant les contributions économiques des diasporas.
L’analyse des cadres législatifs montre que des disparités existent : certains pays, comme l’Afrique du Sud, ont mis en place des régimes migratoires stricts, focalisés sur la limitation des flux et la restriction des droits des migrants, tandis que d’autres, tels que le Maroc ou l’Ouganda, ont développé des politiques plus inclusives. Ces deux modèles reflètent des visions diamétralement opposées de la migration : l’une comme un phénomène à encadrer et à contrôler, l’autre comme une opportunité à exploiter dans une perspective de développement.
Présentation des politiques migratoires nationales
Afrique du Sud : Une politique migratoire sous tension
L’Afrique du Sud continue d’adopter une approche restrictive en matière de migration, avec des réformes récentes visant à durcir les conditions d’octroi de visas et à renforcer les contrôles aux frontières. En 2024, le gouvernement a introduit une nouvelle législation limitant l’accès des migrants aux services publics, notamment en matière de santé et d’éducation. Par ailleurs, la montée de la xénophobie reste un défi majeur : une étude récente indique que plus de 60 % des Sud-Africains perçoivent les migrants comme une menace économique, ce qui alimente les tensions sociales. En réponse, des organisations locales et internationales ont intensifié leurs efforts pour promouvoir l’intégration des migrants et lutter contre la discrimination.
Maroc : Une stratégie de régularisation et d’intégration
Le Maroc poursuit sa politique de régularisation des migrants, avec plus de 50 000 migrants régularisés depuis 2013. En 2024, le pays a renforcé son cadre juridique en facilitant l’accès des migrants aux services sociaux et en développant des programmes d’insertion professionnelle. Par ailleurs, le Maroc joue un rôle clé dans la gestion des flux migratoires vers l’Europe : en 2024, les autorités marocaines ont empêché plus de 45 000 tentatives de traversée vers l’Europe et démantelé 177 réseaux de trafic de migrants. Cette approche, bien que saluée pour son efficacité, soulève des préoccupations en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne le traitement des migrants en transit.
Rwanda : Un modèle d’intégration proactive
Le Rwanda continue de se positionner comme un acteur clé dans la gestion migratoire régionale. En 2024, le pays a signé un accord avec le Royaume-Uni pour accueillir des demandeurs d’asile, renforçant ainsi son rôle dans la diplomatie migratoire. Par ailleurs, le Rwanda a mis en place des programmes de formation et d’insertion professionnelle pour les réfugiés, leur permettant d’accéder à des emplois dans les secteurs de l’agriculture et des services. Cette approche vise à réduire la dépendance des réfugiés à l’aide humanitaire et à favoriser leur autonomisation économique.
Ouganda : Une politique d’accueil exceptionnelle
L’Ouganda reste l’un des pays les plus ouverts aux réfugiés, avec plus de 1,5 million de réfugiés accueillis en 2025. Le pays a récemment renforcé son plan de réponse aux réfugiés (2022-2025), mettant l’accent sur l’inclusion économique et sociale. Contrairement à d’autres pays où les réfugiés sont cantonnés dans des camps, l’Ouganda leur permet de posséder des terres et de travailler, favorisant ainsi leur intégration dans l’économie locale. Cette politique, bien que saluée, fait face à des défis liés à la pression sur les ressources naturelles et aux tensions avec les communautés locales.
Sénégal : Une approche centrée sur la diaspora et la migration circulaire
Le Sénégal continue de promouvoir la migration circulaire et la valorisation des investissements de la diaspora. En 2024, le gouvernement a lancé “Opération Djoko”, une initiative visant à prévenir les départs irréguliers et à renforcer les opportunités économiques pour les jeunes. Par ailleurs, le Sénégal a signé des accords bilatéraux avec l’Espagne pour faciliter la migration temporaire des travailleurs sénégalais. Ces efforts visent à structurer la migration et à réduire les risques liés aux traversées clandestines vers l’Europe.
Les défis persistants d’une politique migratoire humaniste
Toutefois, si ces politiques progressistes présentent des avancées indéniables, elles se heurtent à des contraintes structurelles importantes. Le financement de l’accueil et de l’intégration des migrants demeure une problématique majeure, surtout dans les pays à faible revenu. La dépendance à l’égard des bailleurs internationaux fragilise les dispositifs mis en place et les expose aux fluctuations économiques mondiales.
Par ailleurs, la montée des tensions sociales en Afrique du Sud ou au Maghreb illustre une résistance des populations locales face à l’insertion des migrants. La xénophobie et la perception négative des étrangers compliquent la mise en œuvre de politiques inclusives et nécessitent un travail approfondi sur l’acceptation sociale du phénomène migratoire.
Enfin, l’absence d’une réelle coopération intra-africaine ralentit l’harmonisation des politiques migratoires. Malgré les initiatives de l’Union Africaine et des communautés économiques régionales, les stratégies restent largement fragmentées, rendant difficile une gestion efficace et coordonnée des flux migratoires sur le continent.
Pour une gouvernance migratoire africaine plus inclusive
L’analyse des politiques migratoires africaines met en évidence une dynamique contrastée, où des initiatives innovantes coexistent avec des pratiques restrictives. L’enjeu pour l’Afrique est désormais de repenser la migration non pas comme un problème à résoudre mais comme une opportunité à structurer, en s’appuyant sur des modèles inclusifs qui placent le migrant au cœur des politiques publiques.
Selon le rapport sur la migration en Afrique 2024, publié par l’Union Africaine et l’Organisation Internationale pour les Migrations, près de 80 % des migrations africaines restent intra-continentales, contredisant l’idée dominante d’une migration massive vers l’Europe. Ce rapport souligne également que les déplacements forcés liés aux conflits et aux catastrophes climatiques ont atteint un record de 16,4 millions de personnes en 2022, avec une augmentation significative des migrations internes en raison des sécheresses prolongées et des inondations.
L’intégration régionale apparaît comme une solution clé pour une gestion efficace des flux migratoires. Le compact mondial pour la migration, dont l’application en Afrique a été évaluée en 2024, met en avant des avancées notables dans 40 pays africains, notamment en matière de protection des droits des migrants et de facilitation des voies de migration légale. Cependant, des disparités persistent : alors que certains États comme le Rwanda et l’Ouganda développent des politiques d’accueil et d’intégration, d’autres, comme l’Afrique du Sud, renforcent les restrictions et les contrôles aux frontières.
Un autre défi majeur est l’impact du changement climatique sur les flux migratoires. En 2024, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a mis en évidence que les migrations climatiques augmentent de 30 % chaque année, notamment dans les régions du Sahel et de la Corne de l’Afrique. Ces déplacements forcés nécessitent une adaptation des politiques migratoires pour garantir des solutions durables, telles que l’accès aux terres et aux ressources pour les populations déplacées.
Enfin, l’inclusion économique et numérique des migrants devient un levier stratégique pour leur intégration. Plusieurs pays africains, dont le Maroc et le Sénégal, ont lancé des initiatives visant à favoriser l’entrepreneuriat des migrants, en leur offrant des formations et un accès facile aux financements. De plus, l’essor des plateformes numériques permet aux migrants de mieux s’intégrer dans les économies locales, en facilitant l’accès à l’emploi et aux services essentiels.
L’avenir des politiques migratoires africaines dépendra donc de leur capacité à articuler droits humains, développement économique, intégration régionale, adaptation aux changements climatiques, inclusion économique et numérique, et autonomisation des femmes. Une approche coordonnée et innovante pourrait transformer la migration en levier de croissance et de coopération.