Au Sénégal, les régions de Ziguinchor et de Kédougou sont réputées pour être des zones marquées, à travers l’histoire, par d’importants flux migratoires. D’une région à l’autre, les motifs des départs et des arrivées varient, il en est de même pour leurs impacts socio-économiques dans ces localités.
Dans le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) réalisé en mars 2022 sur la migration sénégalaise, les estimations des Nations Unies font état d’environ 700 000 émigrés sénégalais résidant dans l’ensemble des pays du monde en 2020. Les pays d’Afrique de l’Ouest accueillent environ un tiers des sénégalais de l’extérieur représentant près de 33 %, soit un effectif d’environ 230 000 émigrés, dont plus de la moitié (133 000) résidaient en Gambie.
Selon cette même source, les autres principaux pays de destination ouest-africains des émigrés sénégalais en 2020 étaient la Côte d’Ivoire (30 000), le Mali (24 000), la Mauritanie (19 000) et la Guinée-Bissau (9 000). En dehors de la région ouest-africaine, le Gabon (30 000) et le Congo (13 000) sont également des pays de destination significatifs pour les émigrés sénégalais. Le Centre Africain d’appui au Leadership, aux Droits Humains et à l’Innovation Sociale (CALDHIS) a réalisé en novembre 2023 une analyse de la migration sénégalaise dans son apport au développement de trois régions du Sénégal dont Kédougou (sud-est) et Ziguinchor (sud-ouest).
La ruée vers les mines d’or de Kédougou : l’eldorado à l’épreuve des revers
A Kédougou, l’activité principale tourne autour de l’or. Les sites d’orpaillages sont les lieux où chacun s’active pour subvenir à ses besoins. Ils sont estimés aux environs de 94 dans toute la région. Cette activité a boosté l’économie locale. Elle a permis la transformation des lieux d’habitation des populations puisque. Par exemple, le village de Bantako qui ne comptait que 15 maisons avant le début de l’exploitation des mines d’or, accueille plus de 6000 habitants rien qu’en 2019. La région est également marquée par l’immigration avec une forte présence de ressortissants de l’Afrique de l’ouest.
Une situation qui s’explique par sa position géographique. Kédougou est une région frontalière avec le Mali et la Guinée. Il y est observé la présence de plusieurs nationalités qui évoluent dans le domaine du commerce et de l’orpaillage. Ces personnes s’installent en ville ou dans les villages et se déplacent au gré de l’évolution de la production des sites. Selon l’étude publiée par le Caldhis, Kédougou est également une région de départ de la migration régulière avec des réalisations de sa diaspora qui a un impact sur le développement de la région. Celle-ci connaît également la migration irrégulière avec beaucoup de départs des jeunes. Elle est aussi une zone de retour avec un nombre important de migrants de retour qui s’activent aujourd’hui dans le commerce, l’élevage, l’or, l’agriculture, l’aviculture. Les sites d’orpaillage et la construction de barrages comme le projet de Sambagalou conduisent aussi au déplacement forcé des populations qui sont obligées de tout quitter pour refaire leurs vies ailleurs d’où la présence de personnes déplacées dans la région ».
Le chômage des jeunes colle avec l’inadéquation de la formation par rapport au manque de l’emploi. C’est dans ce cadre, d’ailleurs, qu’un lycée technique a été construit sur place. Cette établissement « participe à changer la situation avec des formations de deux ans qui permettent aux jeunes d’être opérationnels et de travailler dans la zone dans les différents secteurs (mine, hôtellerie…) », note l’étude. Qui ajoute que l’immigration dans la région de Kédougou a permis des transferts de techniques dans l’exploitation de l’or de migrants étrangers aux Sénégalais et les immigrés ont contribué aussi à booster le secteur avec des productions importantes dans les sites d’orpaillage « diouras ».
L’exploitation de l’or dans cette partie du Sénégal est aussi source de problèmes dans la localité. Une étude de l’ONG Enda Lead intitulé: « Diagnostiques sur le secteur minier dans la région de Kédougou, aspects fiscalité, migration et genre » en 2018, révèle un trafic illicite de migrants, d’enfants, une prostitution clandestine, des flux migratoire et financier qui, si on n’y prend garde, vont mettre en danger toute cette partie sud-est du Sénégal. Selon cette étude, tout ce désordre est savamment entretenu par des gens qui travaillent dans les sites d’orpaillage estimés à plus de 31 mille et dont les 60% sont des étrangers essentiellement originaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Rien que dans les zones de Balanko, Khossanto, Bembou Tenkonto situées entre 70 à plus de 90 km du centre urbain de Kédougou où l’étude a été faite, pas moins de 11 nationalités ont été répertoriées par l’équipe de recherche.
Les raisons des mouvements de populations en casamance
L’étude du Caldhis s’est également intéressée à la situation en Casamance, dans le sud du pays. Plus particulièrement à Ziguinchor (sud-ouest). La pêche en Casamance a boosté l’économie locale suite à la migration des pêcheurs vers le Sud et l’arrivée de ressortissants de la sous-région entraînant de nouvelles dynamiques migratoires dans la région. Le secteur de la pêche ainsi que toute la chaîne de valeur, moteur de l’économie locale a connu une nouvelle configuration de ses activités économiques.
Selon l’étude parcourue par Dialogue Migration, « Cette configuration est marquée par un tournant décisif dans l’économie locale et des nouveaux espaces de vie, comme à Kafountine, Ebéné, Diogué et Elinkine entraînant par la même occasion une cohabitation souvent difficile entre acteurs de la pêche et aussi une surexploitation entraînant la rareté de la ressource poisson. L’agriculture avec les plantations de manguiers et d’agrumes, sans compter l’anacarde qui sont aujourd’hui une nouvelle forme d’investissement, attirant de plus en plus d’acteurs ».
Aussi, le tourisme est une activité qui attire les nationaux et les migrants avec la zone de Cap Skirring comme zone balnéaire. Pour rappel, Ziguinchor est une zone de migration interne avec la présence de plusieurs ethnies dans les trois départements et une présence ancienne des ressortissants des pays voisins. Dans la commune de Ziguinchor, des quartiers comme « Tilène », regroupent une forte communauté guinéenne alors que les Bissau Guinéens viennent faire leurs achats au marché de Boucotte.
Le Caldhis indique dans son rapport que les motifs de l’émigration en Casamance sont liés aux causes économiques, suite au conflit, qui a appauvri les populations avec toute l’économie locale. Il faut rappeler que le “conflit casamançais” est un conflit armé qui oppose le gouvernement du Sénégal au mouvement séparatiste des forces démocratiques de Casamance (MFDC) depuis 1982. « En Casamance, la nature était généreuse mais avec le conflit, la pauvreté s’est accrue. D’autres causes sont liées à la sécurité, avec l’intensité du conflit a donné la volonté de quitter son village d’origine. Le regroupement familial a été aussi en grande partie un motif d’émigration, dans le but de rejoindre son conjoint et, particulièrement dans les zones touristiques comme Cap Skirring où de jeunes hommes et femmes originaires ou venus pour y travailler, se sont mariés à des touristes étrangers », peut-on lire dans le document.
Des déplacements engendrant des problèmes d’état-civil
A Ziguinchor, le conflit casamançais a engendré un nombre très important de personnes déplacées avec les conséquences dans les zones impactées. Cette situation fait que, la question de l’état-civil est devenue une grande préoccupation des populations. Ainsi, des organisations comme la Dynamique de la Paix, avec l’appui de quelques partenaires, font un travail de recensement.
« A date, 7 582 personnes ont été identifiées lors d’un recensement, comme ayant des besoins d’état-civil. Les déplacés ont des besoins multiples (logement, emploi, état civil, éducation, etc..) et imbriqués qui sont pris en charge par des dispositifs comme l’Agence Nationale pour la Relance des Activités économiques et sociales en Casamance (ANRAC) à la limite de leurs moyens. C’est pourquoi, il est nécessaire lors d’une programmation de l’opération de retour de mettre en place une stratégie bien préparée avec un accompagnement en amont et en aval », note le rapport du Caldhis.
Selon les acteurs, l’acquisition des terres non encadrée par des multinationales ou des étrangers et qui s’activent par exemple dans l’anacarde est aujourd’hui une question qui est d’actualité au niveau des acteurs de la localité. L’accaparement des terres avec de grandes superficies achetées aux villageois risque de créer dans les années à venir d’autres types de conflits.
Par exemple, les Indiens sont très présents dans la chaîne de valeur anacarde avec des emplois créés. La filière anacarde est devenue l’une des premières cultures d’exportation au Sénégal comme une des premières sources de revenus des populations de la région de Ziguinchor. Selon le chef du Service régional du commerce de Ziguinchor, « 39 477 tonnes de noix de cajou ont été exportées à partir du port de Ziguinchor durant la campagne commerciale de l’anacarde 2020-2021, une baisse des productions exportées par rapport à la campagne 2019- 2020, la quantité exportée était évaluée à 55.311 tonnes, soit une valeur financière d’environ 27 milliards 182 millions de Francs CFA ».
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