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Béninoises dans les pays du Golfe : voyages légaux pour des conditions de travail décriées
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Béninoises dans les pays du Golfe : voyages légaux pour des conditions de travail décriées
Ange Banouwin 🇧🇯
Ange Banouwin 🇧🇯
October 16, 2023

Dans le but de gagner leur vie, réaliser leurs rêves ou s’occuper de leurs familles au pays, des femmes Béninoises vont travailler dans les pays du Golfe. Cependant, le caractère régulier de leur émigration vers certains de ces pays ne les exempte de péripétie.

Les conditions de travail d’un bon nombre de femmes béninoises dans certains pays du Golfe restent préoccupantes, selon des observateurs. Le respect des droits du travailleur, ainsi que les droits humains sont mis à l’index. Des faits retiennent l’opinion sur les réseaux sociaux tout comme dans les médias. Des  vidéos sur des réseaux sociaux sont le réceptacle de témoignages et dénonciations de cas de violations des droits de ces travailleuses, principalement recrutées pour être ménagère ou faire le babysitting. Au Koweït par exemple, il est souvent relevé des cas de décès de manière tragique. Pas de statistiques de sources officielles. Cependant dans le mois d’avril 2023, deux décès survenus sont diffusés dans les médias. Selon les informations publiées par BENIN WEB TV, un média en ligne au Bénin, le premier décès survenu le 20 avril, est celui de dame Justine Adjogbé, victime d’un accident de la circulation, alors qu’elle voyageait avec son employeur et la famille de ce dernier. Quant à la deuxième défunte, nommée Moropha, elle est décédée dans la nuit du 27 avril 2023 dans un violent incendie qui a pris pour cible la maison où elle travaillait. Selon la même source, la Fédération Internationale des Béninois de la Diaspora a confié qu’en janvier 2023, une autre Béninoise, du nom de Lucresse Kpoton a perdu la vie suite à une crise cardiaque. En 8 mois, la Fédération a dénombré 05 décès dans le rang des Béninois au Koweït. A cela s’ajoutent des cas de maltraitance et de mauvaises conditions de vie et de travail dont les Béninoises employées de maison sont victimes. Contacté par Dialogue Migration, le président de la fédération n’a pas donné suite à l’entrevue sollicitée.

En août 2022,  le Bureau Exécutif Mondial du Haut Conseil des Béninois de l’Extérieur (HCBE) a exprimé son sentiments de « Stupéfaction, désolation et consternation», après avoir appris « De façon tragique et floue », la mort d’une Béninoise dénommée Sabine Oluwatobi KITON au Koweït.

L’association avait exprimé  qu’elle «déplore ce crime ignoble qui, de nos jours, devient monnaie courante au sein des communautés africaines vivant dans certains pays du Golfe ». Invitant par la suite les Africains résidant dans ces pays en général, et les ressortissants béninois en particulier, à se constituer en communautés très solidaires en vue d’une bonne collaboration avec les représentations diplomatiques (consuls et ambassades), afin que de pareilles situations ne puissent se reproduire.

Aussi, avait-elle annoncé s’atteler à saisir les instances de l’ONU, le Département d’État américain, ainsi que toutes les chancelleries du Koweït de par le monde où ses sections sont respectivement implantées, afin que lumière soit faite et que les responsabilités en la matière soient situées sur ce qu’elle a qualifié de  « Énième crime crapuleux».

Des droits des travailleuses au Koweït

Le respect des droits du travailleur migrant sont pointés du doigt dans certains pays du Golfe par des femmes migrantes originaires du Bénin ; qu’il s’agisse des conditions de travail, notamment le temps de travail par jour, des heures de pause, ou des jours de repos.

« Mon sommeil est fréquemment entrecoupé, parce qu’on vient me réveiller à tout moment qu’on a besoin de moi; on vient prendre des choses dans la chambre qui devrait être réservée pour moi, parce qu’ils ont déposé des choses dedans », indique Awa*.

Les conditions de travail sous contrat emmènent certaines à fuguer et se mettre à leur propre compte une fois les six premiers mois passés. Car après ce délai, plus d’intervention de l’agence de placement ou de l’intermédiaire pour régler un différend entre l’employeur et l’employé. Conséquence, beaucoup font au plus 6 mois ou un an et retournent au pays, confient nos sources. Certaines travailleuses s’installent plutôt à leur propre compte. Ceci à  leur risque et péril, car si elles n’ont pas de carte de séjour, elles seront arrêtées et emprisonnées avant d’être rapatriées. “Souvent, même interceptées avec une carte de séjour, c’est l’employeur chez qui elles ont fugué qui sera appelé”, confient nos sources.

Aux environs de minuit, heure de Cotonou et 2 heures, heure du Koweït, Awa* contactée soutient être en train de faire la lessive. Elle ne sait encore à quelle heure elle va dormir. Soulignant que c’est à cette heure que la maisonnette est très animée et affairée. Elle se résigne , « Ici tu ne sais quand tu vas dormir, on va s’en sortir grâce à Dieu. On est déjà habitué», lâche-t-elle. Un exemple parmi tant d’autres faits recueillis de diverses sources sur les contraintes de travail.

Vivant au Koweït après 4 ans au Liban, Yasmine* relève la nette différence de traitement entre les deux pays de par ses expériences. Actuellement elle est dans un contrat de deux ans au Koweït, mais ne mâche pas ses mots . Les conditions du contrat, relève-t-elle, exposent les travailleuses, qui pour la plupart sont des femmes de ménage ou baby-sitter. « Les contrats sont de deux ans, et si vous ne finissez pas et que l’agence de placement doit vous changer d’employeur, vous reprenez à zéro», dit-elle. Propos recoupés et confirmés par d’autres travailleuses.

De sources concordantes de femmes travaillant dans les pays du Golfe, les agences sont tenues pour la plupart par des ressortissants de la Philippine. Pays d’où proviennent également des travailleuses. Cependant au Bénin, il y a des intermédiaires qui font le pont entre les travailleuses et les agences. Ces derniers ont souvent une commission de travail, soit les deux premiers mois de salaire à percevoir par la travailleuse. Avant l’obtention du visa, l’employeur (la patronne la plupart du temps) depuis le pays de destination paie les frais nécessaires pour la paperasse nécessaire à  cet effet. Alors une fois à destination, l’employeur vient la chercher à l’agence versant six mois de caution.

Il arrive que les documents soient confisqués par l’employeur, évoquent nos sources. Et tout départ de chez l’employeur qui a fait venir la travailleuse avant les six premiers mois, quelles que soient les raisons, est soumis aux remboursements de la caution à cette dernière. L’agence peut toutefois trouver un conciliabule pour les plaintes ou changer de lieu de travail à l’employé, indiquent des travailleuses. Toutefois, tout nouveau lieu de travail appelle un nouveau contrat irréductible de deux ans. « Même si tu es dans un contrat et qu’il reste un mois pour que ça dure deux ans, et que tu quittes pour une raison ou une autre ton employeur, tu reprends à zéro ailleurs. Car tu as signé un contrat de deux ans avec l’agence », précise Sherifa*.

Une situation qui fait que certaines fuguent pour se mettre à leur propre compte. Attitude répréhensible au cas où la police appréhende la travailleuse.

« La déclaration de l’employeur qui a rempli les formalités d’arrivée dans le pays, peut amener la police à l’intercepter et te  renvoyer dans ton pays. Au pire des cas avec une mention sur ton passeport pouvant t’interdire d’entrer à nouveau sur leur territoire », relève Sherifa .

Sur les conditions de vie et de travail des Béninoises dans certains pays du Golfe, les avis convergent avec quelques nuances. Evelyne* est originaire du centre du Bénin. Rentrée du Koweït en avril 2023 après un contrat d’un an négocié avant son départ du pays avec sa patronne. Elle dit garder de bonnes relations avec sa patronne jusqu’à présent. Ce en vue d’un éventuel retour, comme convenu au cas où son projet personnel mis en œuvre au Bénin échoue. 

Cependant elle voit des situations que vivent certaines de ses compatriotes, qu’elle réprouve. Elle relève aussi des cas de déviances. « Il y a aussi certaines de nos sœurs qui passent outre les recommandations de leur patronnes », relativise-t-elle. selon elle, certaines patronnes ne veulent pas que leur résidence ou certains endroits comme leurs chambres soient filmés par exemple.

Elle soutient que la plupart des patronnes n’acceptent pas l’usage de téléphone par leurs employées. Contrairement à d’autres qui sont plus tolérantes. “Certaines également n’ont pas de jours de repos, où sont tenus de sortir qu’en uniforme de travail”, note-t-elle.  Ce qui les étiquette souvent; sans compter les contrôles de la police dans la rue ou dans les centres commerciaux pour vérifier si leur situation dans le pays est régulière, sous peine d’être refoulée.

Silence assourdissant des autorités compétentes

Des Béninoises travaillant dans certains pays du Golfe se sentent parfois abandonnées par les autorités de leur pays.

« Ici au Koweït, en dehors des Béninoises, il y a les Philippines, les Éthiopiennes et autres. Les Éthiopiennes, par exemple, leur consul ne badine pas sur leur situation. Ce qui fait que les gens ont peur de les maltraiter », témoigne Sherifa. Elle note la variation tarifaire du salaire en fonction du pays d’origine .

Une situation qui préoccupe également la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (CSA-Bénin) qui à travers la Plateforme multi-acteurs de la migration au Bénin (PMB), a publié un livre intitulé  “Voix des travailleuses migrantes du Bénin’’. Un recueil de témoignages qui donne la parole à des femmes béninoises en situation de migration qui ont raconté leurs aventures. Des récits assez dramatiques de violations, de violences sexuelles, d’esclavage, d’emprisonnement etc. « En fait, ce livre nous montre que des gens font un voyage tout à fait légal, officiel, régulier mais vont rencontrer l’enfer dès qu’ils arrivent là-bas », relève Anselme Amoussou, secrétaire général de la CSA-Bénin et coordonnateur de la PMB.

L’objectif de ce livre relève-t-il était de parler aux familles, qui pour la plupart sont complices et facilitent le départ de ces femmes-là qui n’ont pas de qualifications, ni de diplôme, qui n’ont fait aucune formation et qui se jettent dans l’aventure.  Elles se font vendre du rêve et les agences de placement sont présentes presque officiellement au vu et au su de tout le monde et qui financent le voyage,  les  préparatifs, le visa et tout…

Outre les parents, il souligne la nécessité d’attirer également l’attention des officiels et des autorités sur le fait que quand un État a des accords avec d’autres États, ils doivent veiller à des choses autres que tout ce qui est basique et officiel (passeport, visa, analyses), et savoir que les gens sont partis sans se préoccuper de leur devenir.

«Habituellement l’histoire a montré que ça ne suffit pas.  Parce qu’ au Koweït ou Arabie Saoudite, on nous a raconté que les femmes d’un  pays, comme l’Éthiopie, sont mieux payées que les Béninoises parce que justement leur ambassadeur ne se laisse pas faire. Pendant ce temps au Bénin, il n’y a vraiment aucun écho aux appels des femmes qui sont souvent en détresse. Et situation encore plus dramatique, c’est que le Bénin a choisi de faire une sorte de rationalisation de nos présences diplomatiques, ce qui a fait que des consulats et des ambassades ont été fermés et donc des gens se sont retrouvés à des centaines de kilomètres d’une représentation béninoise, donc ils n’ont plus absolument aucun recours ».

Le paradoxe

Au Bénin, l’écoute est accordée à des femmes qui reviennent de leur aventure des pays du Golfe par des ONG. A travers également la vulgarisation de recueils de témoignages dans les collèges et lycées, ainsi qu’avec des femmes migrantes et des hommes migrants pour leur présenter quelques histoires et leur montrer la responsabilité de veiller à ce que leurs filles ne soient pas livrées aussi facilement aux prédateurs. Cependant, il y a comme un paradoxe. « C’est l’un des enseignements majeurs de cette lutte que nous avons faite. En réalité, vous voyez des femmes qui vous racontent leur enfer, qui pleurent en faisant le récit, mais qui concluent en disant qu’elles veulent repartir. », relève Anselme Amoussou. Et pour cause, observe le syndicaliste, cela est dû au fait qu’au retour, il n’y a rien en place pour leur donner de l’espoir. « Elles sont revenues et elles préfèrent l’enfer de là-bas à une vie d’oisiveté ici. Une vie sans perspective, une vie sans avenir et donc décident de repartir, et se battent pour repartir. Cela nous interpelle le plus nous et nos gouvernants de comprendre qu’un compatriote, un citoyen, une citoyenne qui a été violée, qui a été traitée comme une esclave, qui a travaillé de 5 heures du matin à zéro heure sans interruption, qui a dormi dans des chenilles dans des cagibi etc,…Mais qui après quelques temps dans son pays, décide de repartir, c’est que nous avons tous échoué. Le pays a complètement échoué ».

En effet, la majorité décide de repartir malgré la situation dans le pays d’accueil. Il y en a qui décident de changer de pays parce qu’elles ont appris que c’est mieux de l’autre côté. Par contre , « Il y en a qui décident de repartir parce qu’ au moins là-bas, elles estiment que la honte est cachée aux proches ; et qu’il y a un salaire, et  quand ça tombe cela n’a rien de comparable avec ce qu’on peut leur payer ici pour les mêmes activités. Et surtout, c’est que la famille n’offre rien, la mairie n’offre rien, le gouvernement n’offre rien, donc elles sont complètement oubliées. En fait, c’est des gens qui sont tellement désabusés qu’elles n’attendent plus rien de personne. Et pensent qu’elles doivent se débrouiller toutes seules , donc demandent qu’on les laisse se débrouiller», conclut le syndicaliste.

Le cas d’une victime convertie dans la chaîne est également relevé. « On eu lors des collectes de témoignages le cas de quelqu’un qui s’est transformé en passeuse. Comme on l’a envoyée et qu’elle a fait son test, revenue, elle s’est installée pour envoyer les filles. Elle a gardé certains contacts là-bas et donc elle est comme une agence officieuse. Au moment où on parlait avec elle, elle avait à son domicile 4 à 5 filles venues de Bassila de Djougou et autres, qu’elle entretenait pour pouvoir les envoyer là-bas. », confie Anselme Amoussou.

Les autorités compétentes sont attendues sur la question face aux agences qui continuent de prospérer, et la floraison des démarcheurs dans des localités qui continuent de dire aux femmes ”J’ai une opportunité, tu vas partir’’ et dès qu’arrivé là-bas le passeport est confisqué, et le travail commence aussitôt … Face à la situation, au Bénin, des structures non gouvernementales s’activent souvent mais ont comme l’impression que la plupart des cas relayés au niveau des officiels, ne bénéficient pas d’un grand écho. En janvier 2023, la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) du Bénin a condamné des mis en cause dans une affaire de trafic de faux passeports et d’êtres humains vers le Koweït. De ces expériences, il s’observe qu’en  dehors de la migration clandestine qui expose à des péripéties, celle légale ne l’est pas moins en dehors des risques du voyage.

*Nom d’emprunt


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