Le Bénin connaît une spirale d’attaques terroristes depuis 2021. Comme dans certains pays voisins, notamment le Burkina Faso et le Togo, les répercussions de ces attaques créent des déplacements des populations vers des régions Nord Ouest du Bénin, tout comme des déplacés internes dans le pays qui fuient les zones d’attaques, notamment les département de l’Atacora et de l’Alibori. Dr Abdel Aziz Mossi, Socio-anthropologue, enseignant chercheur, spécialiste des questions de l’extrémisme violent, spécialement dans les pays côtiers de l’Afrique de l’ouest, dresse la radioscopie des mouvements des populations dans ce contexte sécuritaire au Bénin à Dialogue Migration.
État des lieux de la situation sécuritaire au nord Bénin et implications sur la mobilité des populations
La question de la sécurité au niveau du Bénin est qu’aujourd’hui nous avons deux départements qui sont touchés depuis 2021. II s’agit du département de l’Alibori et du département de l’Atacora. Depuis 2021, ces deux départements subissent des attaques terroristes avec principalement deux groupes qui sévissent sur le territoire, notamment le JNIM, et l’État islamique au grand Sahara. Il y a beaucoup d’attaques qui ont eu lieu faisant beaucoup de morts à la date d’aujourd’hui (août 2023-ndlr) le nombre de morts approche la barre des 65 voir 70 personnes qui ont perdu la vie au niveau des populations. Au niveau des Forces de défense et de sécurité, on compte plus d’une vingtaine de personnes tuées. La situation sécuritaire, c’est aussi beaucoup de personnes déplacées. Nous avons des déplacés internes comme des personnes qui sont venues des pays voisins comme le Burkina Faso et le Togo du fait de l’insécurité.
Aujourd’hui, le Bénin compte un peu plus de 5.200 personnes déplacées soit internes ou qui sont venues des pays voisins. Et cette situation est une difficulté majeure pour les populations locales bien que les forces de défense et de sécurité soient à pied d’œuvre pour repousser ou endiguer le phénomène.
Les populations sont toujours dans la psychose générale d’autant plus que dans les zones touchées par ce phénomène les populations n’ont pas la quiétude pour vaquer à leurs occupations. Une des conséquences de ces attaques terroristes, c’est le couvre-feu instauré par le gouvernement, qui limite la mobilité des populations. Vous comprenez alors que quand il y a couvre feu, de 19 heures à 6 heures du matin ; cela pose un réel problème pour les activités des populations dans des zones où il y a beaucoup d’activités nocturnes, notamment par rapport aux petits commerçants. Parce que les matins en journée tout le monde est dans les champs pour faire les travaux champêtres, et ce n’est que les soirs que les marchés s’animent. Donc, vous comprenez que, dans ces conditions, les marchés finissent par ne plus supporter la demande, entraînant des difficultés en matière d’approvisionnement en vivres et d’autres produits utiles au quotidien. Cela entraîne également la modification des relations entre les Forces de défense et de sécurité et les populations. Leurs relations ne sont pas toujours amicales. Elles sont empreintes de répression et de frustration, etc. Tout cela ne facilite non plus la collaboration. L’autre chose aussi est que les déplacés des pays voisins qui arrivent ne sont pas forcément dans des endroits propices; ils sont souvent exposés à beaucoup d’intempéries, et cela nécessite des interventions à la fois des structures de l’État, mais aussi des organisations de la société civile. C’est aussi les sollicitations des populations, parce qu’il y a un nombre important de ces personnes qui sont arrivées et qui vivent dans la communauté, dans des familles etc. Et tout cela pèse sur les budgets familiaux. Ces personnes qui arrivent ont des besoins en termes d’activités, notamment agricoles.
Pourtant, la question de la terre fait partie des enjeux conflictuels dans ces zones où l’accès à la terre cultivable pour ces personnes n’est pas toujours facile. Il faut aussi dire que du fait de l’existence des groupes extrémistes violents dans la zone, les activités ont connu un ralentissement important. Un des facteurs est qu’il y a des activités interdites par l’État dans certaines zones; il s’agit par exemple de la vente du carburant qui est pourtant une des activités florissantes dans ces zones frontalières. Désormais, le trafic du carburant n’est plus autorisé en direction des pays voisins, et il y a une lutte qui est menée contre cela au niveau des frontières. C’est l’une des activités préférées de beaucoup de jeunes qui se font généralement prendre. Ces mêmes jeunes pratiquent aussi le kidnapping notamment dans la zone de l’Atacora où beaucoup de personnes se font tuer ou disparaissent. Beaucoup de pêcheurs exerçant sur le fleuve Pendjari ou des agriculteurs devant aller au champ ont été enlevés ou tués. Tout cela inquiète la communauté dont la plupart ne fréquente plus ces lieux où ils avaient l’habitude de mener leurs activités économiques. Cela constitue aussi un obstacle, un frein ou une difficulté majeure à la survie des populations, et affaiblit la capacité de résilience de ces communautés. Beaucoup de ces personnes n’arrivent pas à aller dans les fermes. En effet, dans ces zones-là, il y a cette pratique des populations des zones de Banikoara consistant à se déplacer pour aller vivre dans les fermes pendant la saison des pluies, un peu plus éloignée des villages, et des agglomérations. Aujourd’hui toutes ces activités ont connu un bouleversement parce que les populations craignant donc de s’exposer aux attaques terroristes ne vont plus dans ces zones et ont abandonné leurs champs qui sont dans ces zones et tout cela constitue des difficultés majeures pour la production, mais aussi pour la survie économique des populations dans des espaces où les conflits fonciers sont énormes, où l’accès à la terre n’est pas facile.
Quand vous abandonnez vos terres de ce côté là, il est difficile d’avoir d’autres terres cultivables dans des endroits plus sécurisés. Et même quand vous avez des terres dans des endroits sécurisés, c’est souvent des terres qui ne sont plus fertiles du fait de l’utilisation massive des produits chimiques comme les engrais, les pesticides et les herbicides. L’utilisation de ces produits chimiques contribuent à polluer les sols dans ces zones, et fait que beaucoup préfèrent aller défricher de nouvelles terres un peu plus loin des agglomérations. Aujourd’hui une bonne partie de ces activités est empêchée par la présence des groupes djihadistes. Voilà globalement la situation sécuritaire actuelle et les freins à la mobilité des populations, mais aussi à beaucoup d’activités telles que les populations ont l’habitude de les mener.
Enjeux des déplacements liés aux problèmes de sécurité au Bénin
Le Bénin est un pays qui a la tradition de la mobilité. Nous avons beaucoup de communautés qui ont cette culture de la mobilité à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Ce phénomène n’est pas forcément lié à la question de la sécurité. Toutefois, l’insécurité qui sévit aujourd’hui dans la partie septentrionale y contribue fortement.
La question de la mobilité n’est pas nouvelle dans les communautés ou dans le contexte béninois. Cette mobilité traditionnelle est très présente surtout dans certaines communautés, particulièrement dans la partie septentrionale. C’est des pratiques qui sont séculaires, malgré le fait que la question de la sécurité l’a accentuée. Il faut aussi dire que le Bénin est une terre d’hospitalité qui reçoit énormément de populations de la sous-région.
Nous avons beaucoup de communautés étrangères qui sont installées sur toute l’étendue du territoire national et qui bénéficient de l’accueil des populations autochtones.
Depuis une trentaine d’années, e Bénin fait l’expérience de la démocratie. En raison de crises politiques on a connu des déplacés qui sont venus des pays voisins. Je veux surtout nommer le Togo dans les années 1992-1993 qui a enregistré beaucoup de déplacés vers le Bénin. Nous avons aussi beaucoup de populations nigérianes qui ont fui pour s’installer au Bénin et beaucoup y sont restés définitivement. En effet, les nombreuses crises politiques à l’origine des mobilités à l’intérieur du pays ont créé des communautés multiculturelles notamment autour des frontières avec les pays voisins. Mais aujourd’hui la question de la sécurité fait qu’il y a d’autres types de déplacés pas forcément liés aux crises politiques, mais surtout à la question de sécurité. Ils sont en quête d’un endroit plus sûr. C’est le cas particulièrement des déplacés internes. Dans la localité de Kérou, par exemple, en début du mois de mai dernier, il y a eu cette attaque sanglante qui avait fait une vingtaine de morts. Cela avait créé un émoi général dans la commune et entraîné beaucoup de déplacements internes. Les communautés situées dans les villages ou proches des villages attaqués se sont déplacées pour venir soit au centre-ville ou dans d’autres communes voisines à la recherche d’un endroit plus sûr. Naturellement, cela va créer aussi une certaine pression sur les terres. Parce que ce sont des populations rurales, ce sont des populations qui pratiquent l’agriculture et qui ont besoin donc d’avoir de nouvelles terres dans les territoires d’accueil parce que ne pouvant plus aller dans leurs champs habituels. Et donc tout cela contribue à renforcer la crise socio-économique et parfois cela peut susciter des conflits internes communautaires. Etant donné que nos communautés sont des communautés hospitalières, il peut y avoir des conflits de cohabitation pouvant entraîner beaucoup de frustrations, mais aussi des cas d’exclusion des communautés.
Approches de solutions face aux déplacés liés à la situation sécuritaire au Nord Bénin et dans la sous-région
Les approches de solution que je peux proposer c’est déjà que l’État s’organise parce que la crise est sous-régionale. Il faut que l’État s’organise afin de bénéficier des institutions internationales en charge de migrants pour réserver un accueil chaleureux à ces personnes déplacées. L’Etat doit aussi leur trouver aussi des issues, des activités génératrices de revenus. Pour ceux qui veulent s’investir dans l’agriculture, il faut qu’on aménage des espaces. Ceux qui sont dans le commerce, qu’on leur trouve des fonds. Il faut surtout que les organisations de la société civile s’investissent aussi dans les sensibilisations pour une cohabitation pacifique entre les déplacés et les familles d’accueil ou les communautés d’accueil. Parce que comme je l’ai dit, il peut y avoir des frictions entre les déplacés et les communautés d’accueil, liées justement à l’accès aux moyens de production. Et donc il faut nécessairement des actions de sensibilisation dans ce sens là. Et il faut surtout veiller à ce que les droits humains soient respectés dans les lieux d’installation de ces personnes, qu’elles soient les déplacés internes ou des réfugiés qui sont arrivés des pays voisins.
L’insécurité est à l’origine d’autres dynamiques : on constate que dans les zones de Karimama, il y a certaines populations qui se déplacent pour aller vers le Niger. Il faut aussi analyser les choses dans ce sens et ne pas seulement se concentrer sur ceux qui arrivent au Bénin. En effet, il y a aussi ceux qui partent du Bénin, comme c’est le cas dans la zone de Karimama. Même si ce n’est pas de manière massive, il y a quand même quelques familles qui se sont déplacées et qui ne sont pas forcément accueillies par l’État nigérien de manière institutionnelle ou structurelle. Donc, je pense qu’il faut que les actions soient aussi sous-régionales pour ne pas assister à des actes de refoulement comme on l’a observé au Ghana, vis à vis des réfugiés Burkinabès. Je pense que nos Etats doivent se montrer solidaires les uns envers les autres, parce que nos communautés installées de part et d’autre des frontières sont parfois les mêmes. Elles ont les mêmes familles, les mêmes langues ; ce sont les mêmes communautés. Il est donc important que les réceptions de ces communautés soient empreintes de solidarité et que les États puissent travailler main dans la main pour assurer les capacités de résilience de ces communautés en leur donnant les moyens de survivre dans les zones d’accueil.
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