
Entre avril 2024 et mars 2025, le Sénégal s’est retrouvé au cœur d’une crise migratoire sans précédent, jonglant avec son rôle de pays d’origine, de transit et de destination. Cette période a été marquée par une augmentation alarmante des départs irréguliers, notamment via la dangereuse route maritime vers les îles Canaries, tandis que les autorités tentaient de s’adapter à une situation en constante évolution. C’est ce qui ressort en gros dans une des rubriques de l’ouvrage collectif « SUNU GIS-GIS : Président Diomaye Faye, de l’opposition radicale à l’exercice du pouvoir d’État », d’Afrikajom Center.
La route de l’Atlantique : Une traversée mortelle
Le bilan est lourd. De janvier à août 2024, plus de 25 500 migrants, en majorité sénégalais et ouest-africains, ont atteint les Canaries. Mais derrière ces chiffres se cachent des centaines de vies perdues en mer. Poussés par des conditions économiques précaires et un cruel manque de perspectives, des milliers de jeunes continuent de braver l’océan, faisant de la route de l’Atlantique l’une des plus meurtrières au monde.
La marine sénégalaise a multiplié les interceptions, secourant près de 1 000 personnes rien qu’en novembre 2024. Mais pour ceux qui sont interceptés ou rapatriés, la précarité continue. Souvent sans soutien social ou juridique immédiat, ils dépendent des efforts d’organisations comme l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM), qui s’efforce de fournir une aide humanitaire et de défendre leurs droits.
Un cadre juridique solide, une application difficile
Le Sénégal dispose pourtant d’un cadre juridique et administratif renforcé pour la protection des migrants et des réfugiés. La Constitution sénégalaise garantit le droit à la mobilité, et la Loi de 2022 sur le Statut des Réfugiés et des Apatrides a instauré une Commission nationale dédiée. Le pays est également signataire d’instruments internationaux majeurs, dont la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
Malgré ces fondations, l’application concrète de ces lois est freinée par des ressources limitées et des lenteurs bureaucratiques. Les migrants en transit et les apatrides, en particulier, peinent à accéder aux procédures d’enregistrement et de protection juridique. Des refoulements signalés aux frontières avec la Mauritanie et le Mali en 2023, et probablement persistants en 2024-2025, soulignent des failles dans le respect des droits fondamentaux, malgré les engagements internationaux du Sénégal.
Le Sénégal, terre d’accueil et de transit
Au-delà des départs, le Sénégal est aussi un important pays de transit et d’accueil, hébergeant environ 200 000 migrants des pays voisins. Sa stabilité politique en fait une destination privilégiée pour ceux qui fuient les conflits régionaux, notamment au Mali ou en Guinée.
Cependant, les conditions d’accueil restent souvent difficiles. Dans les zones urbaines, migrants et réfugiés évoluent majoritairement dans l’économie informelle (90% des emplois selon l’OIT en 2020), avec un accès limité aux services de base comme la santé et l’éducation pour ceux sans statut régularisé. Les plus vulnérables sont exposés à l’exploitation et aux réseaux criminels.
Coopération européenne et militarisation des frontières
La période 2024-2025 a été marquée par une intensification de la coopération avec l’Union européenne. En octobre 2024, l’UE a alloué 30 millions d’euros au Sénégal pour renforcer le contrôle des frontières, s’inscrivant dans une politique d’externalisation migratoire. Cette manne financière a eu pour conséquence une militarisation accrue de la surveillance des côtes sénégalaises.
Parallèlement, les négociations avec l’agence européenne Frontex pour un accord sur ses activités opérationnelles au Sénégal ont probablement avancé, renforçant potentiellement le cadre administratif de gestion des frontières, même si aucun accord final n’avait été officialisé en mars 2025.
Recommandations pour une gestion plus humaine
Face à ces défis, des mesures urgentes s’imposent :
* Renforcer les capacités de la Commission nationale des Réfugiés et des Apatrides pour accélérer le traitement des demandes et améliorer l’accès aux services.
* Développer des programmes d’assistance humanitaire pour les migrants rapatriés et les réfugiés, en partenariat avec des organisations comme l’OIM et le HCR.
* Harmoniser la gestion des flux migratoires avec les pays voisins pour réduire les refoulements, conformément aux normes de la CEDEAO et de l’UA.
Le Sénégal est à la croisée des chemins. L’équilibre entre le contrôle des frontières et le respect des droits fondamentaux des migrants et des réfugiés reste un défi majeur pour les mois à venir.