AfricTivistes a lancé le 29 septembre 2022 la plateforme Dialogue Migration en organisant un webinaire sous le thème: “La question migratoire: au-delà du sensationnel, de la politisation et des préjugés !” Au cours de la session, les panélistes ont proposé une série de recommandations afin d’avoir un narratif plus responsable autour de ce sujet.
La migration est un phénomène pleinement humaine. Cependant, le traitement souvent sensationnel de ce fait naturel finit par déshumaniser les migrants. On en parle plus que comme de “vulgaires paquets” dont on ne sait que faire. D’une question purement humaine, les migrants se retrouvent au centre de clivages et des enjeux politiques et sociaux avec la montée de la xénophobie et du populisme dont les premières victimes sont toujours les migrants. Et dans un souci de dépassionner le débat autour de la migration, AfricTivistes a organisé le 29 septembre dernier un webinaire autour du thème: ““La question migratoire: au-delà du sensationnel, de la politisation et des préjugés !”
Ce panel a été animé par le Professeur Ndioro Ndiaye, Présidente de l’Alliance pour la Migration le Leadership et le Développement (AMLD), Ancienne Directrice générale adjointe de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM); Monsieur El Hadji Seydou Nourou DIA, Expert en Communication, Directeur Exécutif du Centre Africain d’Appui au Leadership, aux Droits Humains et à l’Innovation Sociale (CALDHIS); et Monsieur Hyppolite Valdez Onanina, Journaliste et Rédacteur en Chef de AfricaCheck.
Pr Ndioro Ndiaye, Présidente AMLD
“Beaucoup de pays africains ne disposent pas d’une politique nationale migratoire”
Lors de son intervention, le Professeur Ndioro Ndiaye est d’abord revenue sur la place qu’occupe globalement la politique migratoire dans la gouvernance politique en Afrique. Selon elle, beaucoup de pays africains ne disposent pas d’une politique nationale migratoire. “Il est important pour n’importe quel pays qu’il soit un pays du Nord ou du Sud (d’origine et d’accueil) d’avoir un document de politique migratoire national qui soit coordonné, cohérent et partagé avec tous les acteurs non seulement du gouvernement mais avec les organisations de la société civile”, explique-t-elle.
Poursuivant, Madame Ndioro Ndiaye estime que dans les pays en voie de développement, il manque un document compréhensif qui prend en compte l’ensemble des préoccupations de tous les ministères (Intérieur, Affaires Étrangères, Économie, Finances et Plan, Femmes et Justice) qui sont concernés par la gouvernance de la migration. “Nous n’arrivons pas avoir une cohésion au niveau de tous ces ministères pour faire créer et faire accepter à la présidence de la République l’idée d’une coordination qui devrait être logée à la Primature. Parce qu’il nous faut une structure supra gouvernementale”, soutient la Présidente de l’AMLD. Qui se désole du fait qu’il y ait un problème de coordination pour valider ensemble un document de politique réelle et un défaut d’ancrage institutionnel.
L’ancienne Directrice générale adjointe de l’Organisation Internationale des Migrations à Genève de 1999 à 2009 estime par ailleurs qu’il faut davantage de visibilité et que les médias africains puissent prendre au sérieux le traitement de la question migratoire en essayant de comprendre le phénomène et d’informer les citoyens. Elle recommande dans la foulée d’agir au niveau de l’éducation en s’adressant aux populations qui risquent de partir et qui ne comprennent pas les enjeux de leurs départs. Elle n’a pas manqué de suggérer la mise en place d’une plateforme, coordonnée par une organisation comme AfricTivistes, pour faire un mapping des organisations qui travaillent dans l’information migratoire afin de développer un programme réel et panafricain. “Il faut également parler et documenter ce qui se passe dans les pays de transit comme la Libye et le Maroc”, conclut-elle.
Monsieur El Hadji Seydou Nourou DIA, Directeur Exécutif CALDHIS
“Il faut changer les approches rédactionnelles autour de la question migratoire”
Prenant la parole, Monsieur El Hadji Seydou Nourou DIA, Directeur Exécutif du Centre Africain d’Appui au Leadership, aux Droits Humains et à l’Innovation Sociale (CALDHIS), a de prime abord soutenu que globalement la question migratoire est traitée de façon pas très satisfaisante. Selon lui, cela est dû à l’absence de données fiables. Aussi, il déplore le fait que la question soit trop souvent reléguée sur la page des faits divers. “En plus de l’absence d’un suivi régulier de la question, il faut souvent qu’il y ait des catastrophes pour que cette question puisse attirer l’attention”, regrette-t-il.
Poursuivant, il souligne que le principe de base des journalistes, c’est la vérification des faits quels que soient l’ampleur et l’intérêt du sujet. Mais aujourd’hui, se désole-t-il, les fausses informations circulent de façon exponentielle, et la course vers l’information fait qu’on n’a pas beaucoup de recul. Mais quand le journaliste a pour sacerdoce “informer juste et vrai”, on ne pourrait que donner la bonne information, a-t-il ajouté.
Dans la même veine, El Hadji Seydou Nourou DIA appelle à un renforcement des capacités des journalistes afin que ces derniers maîtrisent ce sujet, les expressions et autres termes utilisés. Toujours selon Monsieur Dia, il faut réfléchir sur comment susciter l’intérêt. “Il faudrait que les organisations qui travaillent autour de ces problématiques amènent les journalistes à s’y intéresser en initiant des actions qui permettent d’attirer les journalistes sur le sujet comme par exemple les concours de reportages, etc. Cela va permettre de pousser les journalistes à l’investigation et à aller au-delà des simples comptes rendus et faire des papiers d’analyse ou des productions assez profondes pour sensibiliser les gouvernements et ceux qui s’intéressent à ce sujet.”
Monsieur Dia plaide également pour le changement des approches rédactionnelles en faisant de sorte que les gens comprennent vraiment les enjeux de la migration. “Les gens doivent comprendre qu’on ne migre pas sans un projet migratoire et qu’on cherche ailleurs ce que l’on peut trouver chez soi”, souligne-t-il. Il estime aussi que la maîtrise et l’analyse des données permettra de tirer des conclusions qui pourraient être utiles à tout le monde. Il plaide également pour le renforcement des journalistes en fact-cheking.
Le Directeur Exécutif du Centre Africain d’Appui au Leadership, aux Droits Humains et à l’Innovation Sociale (CALDHIS) dit être convaincu que pour inverser la tendance il faudrait dans les récits revenir à nos valeurs et redéfinir notre conception de la réussite. “Nous sommes dans une société où le paraître domine. Il faut faire en sorte que les jeunes n’aient pas à intégrer ces pressions sociales pour comprendre qu’ils peuvent réussir chez eux. Quand on gagne trente mille francs CFA par jour, on n’a aucune raison de tenter l’aventure. Et les médias doivent participer à ce changement de paradigme par le renforcement de capacité des journalistes”, explique-t-il.
Valdez Onanina, Rédacteur en Chef Africa Check
“Dans le fact-checking sur la migration, nous sommes confrontés à une absence et une faible qualité de données”
Lors de ce webinaire, il a été également question de l’attitude du journaliste face à la multiplication des fausses formations. Et dans son intervention, Valdez Onanina, rédacteur en chef de Africa Check a d’abord soutenu que par expérience, dans les différents sujets développés dans le cadre de la migration, le constat est que plusieurs thématiques liées à l’économie, l’emploi, … se sont toujours greffés à la question migratoire. Il soutient: “Dans le fact-checking sur la migration, nous sommes confrontés à une absence et une faible qualité de données. C’est un sujet qui intéresse le public mais qui malheureusement fait l’objet de beaucoup de manipulations avec beaucoup de fausses informations parce que derrière, il n’y a pas une politique migratoire avec des données claires. Ce qui peut donner lieu à la foison des fausses informations”, explique le rédacteur en chef de Africa Check.
Cela étant, il affirme que la posture des médias et des journalistes sur cette question doit être factuel. “Il faut qu’on aborde le sujet sur la migration avec des faits et des données précises qui permettent de mieux appréhender le phénomène et éviter d’en faire une couverture sensationnelle. Sinon, on va continuer de reléguer cette thématique très importante dans les faits divers. Et il faut remédier à cette situation. On a l’impression qu’on évoque la migration dans les médias que lorsqu’il y a un drame”, laisse entendre l’ancien journaliste de l’Agence de presse sénégalaise (APS). .
Valdez Onanina estime cependant que le changement de narratif autour de la migration n’est pas seulement de la responsabilité des médias et des journalistes mais aussi des acteurs qui gravitent autour de la question migratoire. “Il ne faut pas que les collaborations entre les journalistes et les acteurs soient spontanées et ponctuelles. Mais il faut chercher à mettre en place des partenariats pérennes et permanents pour que la couverture de la question se fasse de façon permanente. Il ne faut pas laisser le narratif sur la migration aux réseaux sociaux. Si on le fait, on s’expose à de la manipulation et s’il y a de la désinformation, il y a impossibilité à traiter le phénomène de façon adéquate pour pouvoir y apporter des réponses elles-mêmes idoines”, a conclu Monsieur Onanina.
Ci-dessous, l’intégralité du webinaire
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