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Historique de la migration irrégulière vers l’Espagne par la mer : origine, facteurs et chiffres
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Historique de la migration irrégulière vers l’Espagne par la mer : origine, facteurs et chiffres
Ayoba Faye 🇸🇳
Ayoba Faye 🇸🇳
November 27, 2023

La question des vagues migratoires du Sénégal vers l’Espagne par l’océan Atlantique a resurgi depuis le mois de juin 2023 avec une fréquence record des arrivées de migrants sur les îles d’El Hierro, Tenerife, Gran Canaria, La Restinga etc. A la date du 24 octobre, pas moins de 27 mille Africains ont débarqué sur les côtes espagnoles avec une majorité de Sénégalais, selon les médias occidentaux, dont RFI

Mais ce phénomène n’a pas débuté aujourd’hui et n’a pas non plus commencé sur les côtes de l’Afrique subsaharienne. Avec José Naranjo, correspondant du célèbre média espagnol El Pais en Afrique de l’Ouest, qui travaille sur le sujet depuis 1998, Dialogue Migration a fait l’historique des déplacements d’Africains vers l’Espagne par le biais de la mer.

1994, l’arrivée du premier canoë

Selon José Naranjo, qui est né et a grandi dans les îles Canaries, le premier petit bateau de migrants en provenance de l’Afrique est arrivé en Espagne en 1994. « Entre 1994 et 2000, il y a eu de petits bateaux qui sont arrivés. Mais ils partaient tous de Layoun et Tal Faya. Donc c’étaient des Marocains et des Sahraouis. A partir de janvier 2000, il y a eu les subsahariens qui ont commencé à venir. Il y avait des Camerounais, des Maliens, des Nigérians, des Sierra-léonais. Entre 2000 et 2005, tous ces migrants partaient du Maroc. Il n’y avait pas de pirogue qui sortait du Sénégal. Avant 2005, tous les migrants sénégalais passaient par le Maroc avant de rallier les côtes espagnoles.

L’arrivée de José Luis Zapatero à la tête du gouvernement espagnol, le drame de Ceuta et Mellila

Candidat du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), José Luis Rodriguez Zapatero arrive en tête des élections générales du 14 mars 2004. Parmi les huit (8) premières mesures qu’il met en œuvre dans le deux premières années de son mandat, « une nouvelle régulation massive d’immigrés sans papiers ». Mais dans le même temps, il se rend au Maroc le 24 avril 2004 (son premier voyage à l’étranger en tant que Premier ministre) pour demander au Roi Mohamed VI de freiner les vagues migratoires en mer qui découlent des côtes marocaines vers les Îles Canaries.

Les relations de l’Espagne avec le Maroc jouent un rôle prépondérant dans le contrôle de la frontière méridionale de l’Union européenne. En raison de sa proximité géographique (il n’y a que 14 kilomètres qui séparent les deux rives), le Maroc est le point de départ de la plupart des tentatives d’entrée clandestine en Espagne par le sud et sert de base opérationnelle aux Réseaux qui contrôlent le trafic de l’immigration clandestine. Ainsi, l’écart économique abyssal entre l’Europe et l’Afrique, transforme le royaume chérifien en zone de transit des migrations subsahariennes vers l’Europe.

Entre 2002 et 2004, il y a eu beaucoup de pirogues qui ont débarqué aux Îles Canaries en venant du Maroc. Parmi ces vagues, il y a eu beaucoup de morts dans l’Océan. Un drame que le Premier ministre espagnol d’alors a voulu endiguer par une coopération franche avec le Maroc. Après son voyage, le gouvernement marocain a envoyé plusieurs soldats pour renforcer la surveillance au niveau de ses côtes. Un poste de vigilance a été installé à chaque 200 mètres le long de la plage. C’était donc impossible pour les migrants de passer sans se faire appréhender. 

C’est à partir de ce moment que la pression est montée à Ceuta et Mellila où le gouvernement espagnol est allé élever la taille des barrières en y ajoutant même des barbelés. 

L’orientation des points de départ vers le sud du Maroc et l’arrivée des premières pirogues sénégalaises

Face à la persécution de l’armée royale marocaine d’un côté et les barbelés tranchants à la frontière espagnole, les candidats à la migration se dirigent alors vers le Sud à Dakhla dans le Sahara occidental. C’est ainsi qu’en 2005, les pirogues ont commencé à sortir de Nouhadibou (Ouest de la Mauritanie) pour rallier l’Espagne. Les pêcheurs sénégalais se sont alors dit, « si des pirogues peuvent partir de Nouhadibou pour aller en Espagne, pourquoi nous ne partirions pas de nos côtes ».

José Naranjo raconte : « Je me rappelle bien, entre fin 2005 et mars 2006, il y avait déjà plusieurs pirogues qui étaient entrées en Espagne. C’est comme si une nouvelle porte s’était ouverte. Ces pirogues partaient de Casamance, de Kayar, de Mbour, Joal, de Saint-Louis, Dakar et un peu partout. En 2006, il y a eu 32 mille migrants qui sont entrés en Espagne. Un record ».

Là également, il fallait réagir parce qu’il y avait plusieurs candidats restés dans l’océan pendant cette période. Un véritable drame. En collaboration avec les autorités sénégalaises, la Guardia Civil espagnole a déployé ses équipes sur les côtes du Sénégal en 2006 pour endiguer le phénomène. « Ils sont venus ici avec des avions, des patrouilleurs etc. Mais est-ce que cela a vraiment freiné les départs ? Non ! », indique notre confrère du média El Pais. 

Qui poursuit : « Ce qui a vraiment diminué les départs pendant cette période, à mon avis, ce sont les rapatriements. Il y en eu au moins 20 000 en 2006, des Sénégalais, des Maliens, des Mauritaniens etc. A l’époque, j’ai fait des interviews avec des candidats à Thiaroye qui avaient été rapatriés à trois reprises. Ils n’avaient plus le courage et la force d’y retourner. Tu dépenses ton argent plusieurs fois, tu risques ta vie plusieurs fois pour être rapatrié. C’est ainsi que les vagues ont diminué »

Le basculement de la Libye, la ruée des candidats vers l’enfer du désert 

Entre 2007 et 2011, les pirogues partant du Sénégal vers l’Espagne ont diminué. Mais quand la Libye a basculé après la mort de Kadhafi, les routes migratoires ont changé. Les candidats ont trouvé une nouvelle porte par le désert pour rallier l’Europe. Mais, il a fallu trois longues années pour se rendre compte de l’enfer dans lequel ces migrants étaient plongés en passant par la Libye. En 2014, quand il y a les reportages sur l’esclavage, les trafics d’êtres humains, les violences et les violations des droits des migrants etc., le monde a découvert l’horreur. Entre 2015 et 2016, les candidats à la migration ont diminué.

L’année 2020, la Covid-19 et la recrudescence des arrivées en Espagne

Alors que la politique de rapatriement des migrants de l’Espagne vers le Sénégal, le Mali, la Guinée etc, se déroulait bien et semblait bien marcher, un événement planétaire est venu changer la donne en 2020. Le monde fait face à la pandémie de Covid-19 qui débouche sur un confinement quasi mondial et une restriction des déplacements entre pays. Ce n’était donc plus possible d’organiser des vols de rapatriement pour retourner les migrants à leurs pays d’origine.

Les premières vagues de migrants qui sont arrivées sur les Îles Canaries en 2020 n’ont pratiquement trouvé personne sur place, si ce ne sont les autochtones. En effet, l’économie de ces îles espagnoles est tirée de la forte activité touristique. Plus 12,3 millions de touristes fréquentent les Îles Canaries chaque année. Et comme avec la Covid-19, il n’y avait pas de touristes sur place, le gouvernement espagnol a trouvé un accord avec les établissements hôteliers pour loger les migrants. Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux aidant, les nouveaux locataires de ces palaces ont commencé à balancer des vidéos et photos de leur « belle vie » et leur nouveau train de vie luxueux à leurs proches et connaissances restés au pays.

S’en est suivie une nouvelle ruée des candidats à la migration vers l’Espagne et même d’autres pays occidentaux à cause de Fake News du genre « la population européenne était quasiment décimée par le nouveau virus » ou que le vieux continent avait besoin de main d’œuvre.

Entre 2021 et 2023, la fréquence des arrivées est devenue plus agressive. De juin à Octobre cette année, près de 30 000 migrants sont arrivés en Espagne par la mer. Si la plupart était Sénégalais, la situation politique du pays n’y est pas étrangère. Entre mars 2021 et juin 2023 plusieurs dizaines de personnes ont été tuées dans des manifestations en soutien au principal opposant Ousmane Sonko, condamné, emprisonné et en passe d’être privé de son droit de se présenter à l’élection présidentielle de 2024. La question c’est, est-ce que le record d’arrivées de 2006 va être battu ?


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