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Au Gabon, la ‘’ fatwa’’ des petites mains non-nationales 
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Au Gabon, la ‘’ fatwa’’ des petites mains non-nationales 
Ange Banouwin 🇧🇯
Ange Banouwin 🇧🇯
August 30, 2025

Au Gabon, pays d’Afrique Centrale, la tension est montée d’un cran au sein de l’opinion et sur les réseaux sociaux. Et pour cause, une décision du gouvernement prise le 12 août 2025 en conseil des ministres portant sur l’exercice de certains ‘’petit-métiers’’ par des non-nationaux.

Le gouvernement gabonais a décidé de réviser la réglementation sur les métiers réservés aux nationaux afin d’en garantir l’exercice exclusif par les Gabonais, y compris dans les secteurs émergents tels que le commerce numérique et l’entrepreneuriat moderne.  

« Abordant la question du commerce informel, le Conseil a constaté que ce secteur, bien que dynamique, échappe souvent au cadre légal et pénalise les entrepreneurs nationaux, en particulier les jeunes et les femmes. Une part importante de ces activités étant exercée par des opérateurs étrangers, le Conseil interdit désormais à ces derniers l’exercice de certaines activités de petite envergure: commerce de proximité, envoi d’argent non agréé, réparation de téléphones et petits appareils, coiffure et soins esthétiques de rue, orpaillage artisanal non autorisé, intermédiation informelle dans l’achat de récoltes, exploitation de petits ateliers ou machines de jeux sans enregistrement », dit le communiqué. 

Curieuse coïncidence, cette décision est prise à la suite d’un message de colère diffusé par une influenceuse et de son ami la veille de l’inauguration du marché de Lambaréné par le président gabonais. L’influenceuse a accusé la mairie de Lambaréné de privilégier les vendeuses étrangères aux Gabonais dans l’attribution des places dans le nouveau marché. Elle s’en était particulièrement prise aux Béninoises en affirmant qu’elles ne doivent pas avoir accès à ce marché.

Les précisions apportées par le maire, largement relayées sur les réseaux sociaux, ont permis de rétablir les faits et de décrédibiliser les propos des deux polémistes, brièvement interpellés pour trouble à l’ordre public avant d’être relâchés.

La décision prise dans la foulée par les autorités gouvernementales interroge quant à son caractère réfléchi, tant elle semble directement liée à cet incident.

Erreur d’appréciation ?

Il urge d’éviter une erreur d’appréciation en créant un problème en voulant en régler un autre.

es “petits métiers” sont généralement délaissés par les nationaux, qui ne s’imaginent pas exercer de telles activités dans leur propre pays. Ce désintérêt s’explique en grande partie par le regard social, souvent peu valorisant envers ceux qui les pratiquent, contrairement aux professions relevant de secteurs plus prestigieux comme l’administration publique.

Les exemples ne manquent pas de personnes qui, une fois à l’étranger, s’adonnent à des activités qu’elles refusaient pourtant de pratiquer dans leur pays d’origine. Cette réalité ouvre la voie à une forte présence de non-nationaux dans ce type de métiers dans de nombreux pays africains.

Cependant, certains nationaux, constatant que ces activités peuvent pallier leur situation, notamment le chômage, et voyant que ceux qui les exercent s’en sortent, même modestement, ont commencé à changer de perception à leur égard.

Dans certains pays, la mixité des acteurs dans ces secteurs a commencé à permettre d’éviter une dérégulation, voir les rendre viable et attractif. 

Il est donc important de bien mesurer la situation avant d’instaurer des réformes qui, sur le papier, peuvent sembler innovantes, mais qui risquent, dans la pratique, d’être fragiles ou contre-productives.

Eviter l’effet papillon et le bégaiement de l’histoire

Les invectives sur les réseaux sociaux, liées à la publication de l’influenceuse et à la décision du gouvernement gabonais, ont provoqué de vives tensions en ligne. Après un premier communiqué adressé à ses ressortissants résidant au Gabon, le gouvernement béninois a appelé à l’apaisement des internautes des deux pays.

En marge de la 9ᵉ Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique, tenue du 20 au 22 août à Yokohama, la vice-présidente du Bénin a rencontré le ministre des Affaires étrangères du Gabon. Au cœur des échanges figuraient la coopération bilatérale et la gestion des récentes polémiques concernant les ressortissants béninois au Gabon.

Il est légitime de se demander quelles pourraient être les conséquences si la réciprocité de la décision gabonaise devait s’appliquer aux Gabonais vivant à l’étranger. Cet épisode rappelle le conflit diplomatique entre le Bénin et le Gabon en 1978, qui avait entraîné le rapatriement de milliers de personnes et affecté durablement des carrières, des liens familiaux et commerciaux.

Dans un contexte où de nombreux ressortissants africains sont confrontés à des politiques migratoires restrictives à travers le monde, un scénario similaire serait particulièrement préjudiciable et doit être évité.

Réformer le secteur informel sans exclusion

Sous le magistère de Brice Clotaire Oligui Nguema, reçu le 9 juillet 2025 à la Maison Blanche par Donald Trump aux côtés de quatre autres chefs d’État africains, la décision de déclarer certains ressortissants étrangers « persona non grata » dans certains secteurs du commerce informel suscite des interrogations.

La volonté des autorités gabonaises de restructurer le secteur informel est présentée comme une mesure destinée à mieux organiser l’activité, à soutenir les opérateurs nationaux vers la formalisation via des procédures simplifiées, un appui technique et fiscal, et des dispositifs de financement adaptés. Toutefois, la concentration des mesures sur certains acteurs non-nationaux soulève des questions sur l’égalité de traitement au sein du secteur.

Les non-nationaux représentent une part importante des acteurs du commerce informel dans plusieurs pays africains et contribuent significativement à l’économie locale. Leur exclusion pourrait limiter l’efficacité de la réforme, alors même que l’objectif déclaré est de renforcer l’autonomie économique des Gabonais, en particulier des jeunes.

Dans ce contexte, certaines communautés établies depuis plusieurs décennies au Gabon continuent de jouer un rôle actif dans le commerce local et dans le développement de certains secteurs. Les réactions de Gabonais résidents ou expatriés mettent en évidence l’importance de ces contributions pour l’économie et la stabilité du secteur informel.

La mise en œuvre progressive de la réforme, accompagnée par les collectivités locales, apparaît donc essentielle pour atteindre les objectifs de formalisation et de structuration du commerce, tout en préservant l’équilibre entre acteurs nationaux et non-nationaux.

Qui est étranger, et qui ne l’est pas?

La question mérite d’être posée : « Qui est étranger, et qui ne l’est pas ? » Si l’on condamne les représailles contre les Africains hors de leur continent, le pire serait qu’ils en soient victimes sur leur propre sol.

Les autorités gabonaises devraient, au minimum, revoir une décision qui fragilise l’unité africaine, tout en continuant d’assurer l’organisation et la régulation des activités économiques sur leur territoire. À défaut, elles risquent de fournir un prétexte pour stigmatiser et fragiliser non seulement les Africains vivant à l’étranger, mais aussi les communautés déjà résidentes sur le sol gabonais.

Comme le dit un adage : « Celui qui ne connaît pas la direction du vent doit éviter de souffler le piment en poudre. » L’erreur est humaine, mais persister dans l’erreur est diabolique.


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