Elles sont réputées à Cotonou et environs. Il s’agit des cafétérias dénommées : ‘’Chez Diallo”. Majoritairement tenues par des Guinéens, dont certains en sont les propriétaires, ces fast-foods populaires des quartiers de Cotonou et environs occupent une place importante au sein de cette communauté.
A Cadjèhoun, quartier situé au cœur de Cotonou, ce matin de mars 2023, l’ambiance est au service des commandes des clients installés sur les tabourets tout autour de la cafétéria. Située dans un angle de rue donnant vue sur l’artère principale où passent autos, motos et piétons, elle offre une vue sur le mouvement urbain de Cotonou. La télévision qui retient l’attention de nombre des clients diffuse les programmes d’une chaîne d’information. Abdoul, le principal serveur, n’a pas de répit au rythme des commandes qui s’enchaînent. Un fait habituel dans ce lieu, comme bien d’autres du genre, réputés pour leurs prestations.
Daouda, le principal cuisinier et le plus ancien a plus de deux décennies de métier. Il finit à peine sa permanence de la soirée et le temps de deviser entre collègues et rentrer chez lui, il livre la recette des lieux. « Nous fonctionnons sans arrêt, 24h sur 24. Certains ont tout à la maison, mais à cause de l’ambiance, ils passent ici. Quand ils viennent, ils sont satisfaits. Nous ne négligeons pas la clientèle », indique-t-il.
Le personnel de service est de plusieurs origines. « Ici on est mélangé, il y a des Guinéens, Burkinabés, Nigériens, Maliens et Ghanéens. Il n’y a pas à être obligatoirement Guinéen pour travailler avec nous. Si tu es capable de faire quelque chose, s’il y a de la place on t’engage et tu travailles », développe-t-il.
L’homme à tout ou presque tout réalisé dans ce secteur avoue-t-il :« tout ce que j’ai pu réaliser, c’est dans cette activité. Il y a longtemps que je le pratique. J’ai grandi dedans je dirai ! C’est grâce à ce métier que je me suis marié et fait des enfants, réalisé ce que je peux réaliser,… J’ai déjà fait près de 25 ans au Bénin dans le secteur », précise-t-il.
De l’appellation ‘’Chez Diallo’’
L’inscription sur la plupart des enseignes des cafétérias “Chez Diallo’’, parfois accompagnée d’un supplétif comme ‘’Chez Super Diallo A B’’ à Kouhounou, s’explique par une logique identitaire. « Ici, quand les clients viennent, ils nous appellent tous “Diallo“. C’est parce que la plupart des Guinéens portent le nom Diallo. Donc quand on dit Diallo en même temps on sait que ce sont les Guinéens.», explique Daouda. Ceci, bien que le patron des lieux qui détient également d’autres cafétérias du genre à Porto-Novo selon ses employés, ait inscrit comme nom de son établissement “Ets Aladji Fouta-Djalon“. Le propriétaire de la cafétéria “Chez Super Diallo A B”, il est lui aussi propriétaire d’autres cafétérias dans la ville.
Nombre de ces cafétérias, autrefois construites en matériau précaire, ont connu une mue à la suite à des opérations de déguerpissement du domaine public dans le cadre de l’aménagement urbain de la ville de Cotonou enclenché en 2016. Auparavant, celle où travaille Daouda s’étendait jusqu’aux abords du passage piétons sur le trottoir. « C’est avec le déguerpissement des occupants du domaine public, qu’on a démoli et reconstruit en dur la cafétéria, sinon c’était en bois », précise-t-il. La clôture de la maison mitoyenne a été cassée et la cafétéria construite en matériaux durs avec un décor plus attrayant.
Aujourd’hui, d’autres communautés comme les Nigériens et les Sénégalais s’investissent dans le secteur. Sans oublier les Béninois qui commencent également à s’y intéresser, notamment la communauté Adja du sud-ouest du pays, à travers des Cafétérias dénommées “Chez Dadjè”, appellation identitaire de leur communauté. Serges Folly est l’un de ces Béninois.
Profils des employés des cafétérias ‘’Chez Diallo’’…
Contrairement à la tendance qui porte à croire que les travailleurs dans les cafétérias “Chez Diallo” sont recrutés depuis le pays d’origine par un patron, chacun est recruté par un concours de circonstances. « Quand tu viens en aventure, tu te cherches… », précise Daouda. Les employés ne sont liés ni par un contrat ni un lien de parenté, comme bon nombre de personnes le pensent. « Ce n’est pas sur un contrat que je suis venu ici. C’est ici, à Cotonou, qu’on s’est connu et non depuis mon pays. », déclare-t-il.
Arrivé au Bénin, il y a environ 8 mois de la Guinée Conakry, Mohamed, âgé de 18 ans, a des rêves plein la tête. Il envisage notamment de migrer en Algérie ou au Maroc. Pour pouvoir poursuivre son aventure, il travaille pour constituer un pécule. Bien que son projet soit précis et clair dans sa tête, il n’a pas encore un terme défini. La recherche de fonds pour le voyage peut prendre plus ou moins de temps que prévu. « Si après un an ou deux ans tu n’as pas pu réunir assez d’argent, tu ne peux pas retourner. Il faut que tu trouves un peu avant de partir », nous dit un de ses collègues de travail.
Ibrahim travaille dans une cafétéria à Zogbo. Il a passé une année en Côte d’Ivoire, huit mois au Mali et est à sa deuxième année au Bénin. En Côte d’Ivoire, il était employé dans une boutique. Au Mali, il est resté pour attendre son argent afin de rallier le Bénin où il a déjà travaillé à deux différents endroits. Son objectif, en prenant le chemin de l’aventure, est de faire des économies afin de se marier, construire et aider sa famille. Avec ses activités, il envoie un peu d’argent à sa famille, nous indique-t-il. Par ailleurs, il se sent bien dans sa société d’accueil. « En Afrique de l’ouest les gens ne sont pas compliqués comme en Afrique Central, surtout qu’on est dans l’espace CEDEAO » apprécie-t-il. Il note la paix relative dans son pays d’accueil où il n’y a pas des manifestations dans les rues qui pourraient créer des tensions. Selon ses explications, son travail n’est pas lié à un contrat de travail formel. « Tu travailles, tu prends ton argent… », dit-il. Il reste encore indécis quant à ses projets : retourner au pays avant de se projeter vers l’Europe ou s’installer à son compte. « Si je travaille, et j’ai un peu d’argent je vais ouvrir une cafétéria ici » en attendant de voir laquelle des options va s’offrir à lui.
Avis d’usagers des cafétérias
« Quand on vient dans les cafétérias, on dit simplement Diallo, pour désigner le serveur », soutient Immaculée Somissou, une habituée des cafétérias. Elle apprécie l’accueil et les mets servis.
Choupa Violette, quant à elle, venue avec son ami dans une cafétéria trouve que la nourriture est bien faite. Un avis qui reste partagé chez certains.« Tout d’abord l’accueil est bien, ils te parlent comme s’ils te connaissaient et tu te sentiras à l’aise… C’est bien. », note-t-elle.
Violette affectionne également la cohabitation entre Béninois et Guinéens ainsi que d’autres ressortissants africains et témoigne : « On a des locataires nigérians qui vivent avec nous. Ils se rapprochent vite des autres, ils savent aimer leur prochain. Et ils sont plus courtois ».
La présence de cette communauté à travers ces cafétérias à un poids positif certain sur l’économie du Bénin en garantissant une main d’œuvre abondante et la pratique de certaines catégories d’activités économiques souvent abandonnées par les autochtones.
C’est à cette conclusion que sont arrivés les experts de la fondation Friedrich Ebert Stiftung (FES) et de la Plateforme Multi-acteurs de la Migration au Bénin (PMB) dans le cadre de la semaine du migrant tenue du 15 au 23 novembre 2022.
Ces activités qui apportent leur pierre à l’édification de l’économie nationale au Bénin, notamment par le paiement des taxes, ont encore de beaux jours devant elles.
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