
Chaque année, des milliers de jeunes Togolais terminent leurs études avec un même questionnement : rester au pays pour tenter sa chance dans un marché du travail étroit, ou partir, temporairement ou définitivement, chercher des opportunités à l’étranger ? Ce dilemme nourrit des décisions individuelles lourdes de conséquences pour les familles, l’économie et le développement national.
Le Togo présente des indicateurs qui montrent une dynamique migratoire nette: le solde migratoire reste globalement négatif, signe qu’il y a plus de départs que d’entrées. Par ailleurs, le gouvernement estime la diaspora togolaise à près d’un million de personnes, une réalité qui montre l’ampleur des départs sur plusieurs décennies.
Pourquoi les jeunes diplômés envisagent le départ
Plusieurs facteurs poussent les jeunes diplômés à envisager la mobilité. Beaucoup sortent des universités ou écoles sans débouchés clairs : postes publics peu nombreux, secteur privé peu formalisé et difficulté à transformer un diplôme en emploi décent. Les résultats de l’enquête Afrobarometer publiés en avril 2025, montrent que les raisons évoquées par les Togolais qui envisagent d’émigrer sont principalement économiques.
La recherche d’un travail ou de meilleures opportunités d’emploi est citée comme le principal motif par la plus grande partie des sondés (43 %).
D’autres raisons économiques complètent cette motivation : les difficultés économiques (26 %), la pauvreté/misère (18 %), et la recherche de meilleures opportunités d’affaires (7 %).
Collectivement, ces quatre raisons économiques représentent une écrasante majorité des motivations citées par ceux qui ont pensé à émigrer.
Le désir de quitter le pays est particulièrement marqué chez les Togolais à la recherche d’emploi (64 % d’entre eux) et chez les plus jeunes et diplômés.
Les coûts du départ : ce que les diplômés perdent (et gagnent)
Partir comporte des bénéfices tangibles : salaires plus élevés, formation complémentaire, expérience internationale, et capacité d’envoyer des rémittences. Ces éléments peuvent aussi profiter au pays si les compétences et capitaux reviennent (retour temporaire ou investissement).
Mais il y a aussi des coûts non négligeables : brain drain (fuite des cerveaux) dans des secteurs clés (santé, ingénierie, enseignement), fractures familiales, et un risque d’installation définitive à l’étranger, avec des pertes potentielles pour la capacité productive du Togo. L’Organisation mondiale de la Santé et d’autres études montrent que l’émigration de professionnels de santé est un défi majeur pour plusieurs pays africains.
Quelles réalités pour ceux qui choisissent de construire au Togo ?
Les jeunes diplômés qui restent font face à plusieurs réalités quotidiennes : marché informel dominant, difficulté d’accès à des crédits pour entreprendre, insuffisance d’opportunités de stage ou d’emplois structurés, et parfois rémunérations faibles. Toutefois, rester peut aussi constituer un acte stratégique : création d’entreprises, participation à l’économie numérique, exploitation de niches (agro-business, services digitaux, chaîne de valeur locale), ou engagement dans la société civile et l’administration.
Les initiatives de co-working, d’incubateurs et de programmes de formation professionnelle commencent à offrir des alternatives, mais elles restent souvent localisées et insuffisantes pour absorber tous les diplômés.
Facteurs qui influencent la décision individuelle
La décision de partir ou de rester n’est pas uniquement économique ; elle dépend également de la présence d’une diaspora, de l’appui financier, et de la mobilité propre à certaines filières, comme la santé, l’informatique ou le commerce international. Elle est aussi influencée par la réglementation et les voies légales (visas, accords de travail temporaires), ainsi que par les risques et perceptions, tels que la crainte d’exploitation à l’étranger ou le pessimisme quant aux perspectives locales.
Les jeunes évaluent souvent des trajectoires « mixtes » : partir pour acquérir compétences et ressources puis revenir, la logique de « migration circulaire » ou partir définitivement si les conditions de retour sont jugées médiocres.
Recommandations pour inverser ou réorienter le flux
Plusieurs leviers peuvent rendre la décision de rester plus attractive, ou du moins bénéfique pour le pays si le départ se produit. Notre principale recommandation adressée au gouvernement togolais, concerne la nécessité d’agir sur les causes profondes de l’émigration. Il faut que le Togo affronte les défis économiques profonds auxquels il fait face. Le gouvernement doit créer des perspectives pour la jeune génération.
Tant que ces perspectives et ces défis ne sont pas abordés, l’émigration, surtout des plus qualifiés, ne cessera pas. Le départ des individus les plus jeunes et les plus diplômés est particulièrement marqué. Si cette dynamique de départ des jeunes et des qualifiés persiste, elle risque d’entraîner un cercle vicieux de fuite de cerveau, ce qui pourrait dégrader davantage les conditions de vie des populations dans le pays.
Ceci est essentiel, car les raisons évoquées par la majorité des Togolais qui envisagent d’émigrer sont principalement économiques (recherche d’emploi/meilleures opportunités, difficultés économiques, pauvreté/misère).
Il faut également une valorisation de la diaspora par des mécanismes favorisant l’investissement de la diaspora (fonds, guichets dédiés, incitations fiscales), programmes de retour encadré.
Il faut également des plans spécifiques pour retenir les personnels de santé et d’éducation (conditions de travail, rémunérations différenciées, incitations non-financières), comme le propose l’Organisation mondiale de la santé dans son rapport « Migration of Health professionals in six countries: a synthesis report ».
Le dilemme « partir ou rester » des jeunes diplômés togolais reflète un déséquilibre structurel : un gisement de talents confronté à un marché qui n’offre pas assez d’opportunités formelles et attractives. Les politiques publiques peuvent réduire le nombre de départs non désirés, transformer la migration en échange gagnant-gagnant (mobilité circulaire, investissements de la diaspora) et, surtout, créer un environnement où rester devient une option viable et valorisante.