A proposActualitésEspace dialogueRessources & Données
Agadez, carrefour saturé : femmes et enfants refoulés sans refuge
Actualités
Agadez, carrefour saturé : femmes et enfants refoulés sans refuge
Youssouf Abdoulaye Haidara 🇳🇪
Youssouf Abdoulaye Haidara 🇳🇪
June 30, 2025

Agadez, ville-carrefour du Sahara, sature jusqu’à l’abdication. Chaque semaine, des camions venus d’Algérie abandonnent à Assamaka des grappes de migrants : femmes enceintes, nourrissons, adolescents hagards. Les centres de transit de l’OIM, pensés pour un repos éclair, suspendent leurs activités faute de lits. C’est le quotidien d’un Nord nigérien débordé par deux fronts : les refoulements algériens et les retours libyens. Dans ce couloir de sable, l’urgence humanitaire se heurte à un budget exsangue, tandis que les enfants errent, papiers absents, avenir en suspens. Derrière les chiffres, une question perce le silence : combien de nuits encore avant qu’une place se libère, ou qu’un drame éclate ? Pour l’instant, Agadez observe impuissante, ce sablier humain qui se vide du côté de la frontière.

Assamaka, petite localité frontalière au nord du Niger, se trouve aujourd’hui au cœur d’une crise discrète. Les expulsions successives d’Algérie y déposent chaque semaine de nouveaux groupes de migrants, dont une forte proportion de femmes et d’enfants. Les centres d’accueil gérés par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) affichent complet; les portails restent fermés et les familles bivouaquent dans la rue, faute de place.

« On vient de m’annoncer que plus de 150 femmes et enfants sont dehors parce que le centre est plein », rapporte Azizou Chefou, coordonnateur d’Alarm Phone Sahara (APS). L’information lui parvient en temps réel, en pleine interview, confirmant l’ampleur de la saturation. Pour les humanitaires présents, la scène n’a plus rien d’exceptionnel : l’affluence dépasse les capacités d’hébergement.

Le débordement s’explique d’abord par la cadence des refoulements depuis l’Algérie. À chaque convoi, les forces de sécurité algériennes déposent les migrants côté nigérien, sans tri préalable. Les centres de transit, construits pour des séjours courts, sont devenus des zones d’attente prolongée. À cette pression s’ajoute un flux en provenance de Libye, deuxième facteur identifié par APS. Les retours massifs s’enchaînent, tandis que les ressources humanitaires dans la région restent limitées ; seules quelques organisations, dont l’OIM et la dynamique d’APS, assurent une présence continue.

Parmi les nouveaux arrivants, la situation des enfants apparaît la plus critique. Un rapport de Médecins sans frontières, cité par APS, estime à environ 700 le nombre d’enfants migrants ayant besoin d’assistance dans la région d’Agadez. Ces mineurs se répartissent en deux catégories : les enfants accompagnés et ceux non accompagnés. Pour les premiers, les autorités locales d’Assamaka ou de Bilma (pour le flux venant de la Libye) procèdent systématiquement à un enregistrement, avant un passage vers les services de santé gérés par l’OIM. Malgré cette prise en charge initiale, les récits recueillis par APS révèlent des réalités troublantes. « Ces enfants sont utilisés par leurs propres parents ou des amis des parents dans le phénomène de la mendicité en Algérie », déplore le Dr Chefou. L’enfant, parfois très jeune, devient un outil de survie économique pour l’adulte qui l’accompagne.

Les enfants non accompagnés – eux – passent directement sous la tutelle de l’État nigérien. « Ce sont les autorités qui vont assurer l’accompagnement de l’enfant jusqu’aux retrouvailles avec ses parents ou un membre de sa famille », précise le coordonnateur d’APS. Concrètement, les directions régionales et départementales se chargent de vérifier l’identité, de rechercher la famille biologique et, si possible, de réinsérer l’enfant dans son milieu d’origine. La procédure, bien que pensée pour protéger, s’allonge quand le mineur n’a aucun document ou quand la famille reste introuvable. 

À ces difficultés matérielles s’ajoute une composante sociale : la stigmatisation.

Autour des centres d’accueil, ces enfants et leurs mères sont fréquemment perçus comme une menace pour les mœurs locales. Les propos dépréciatifs, parfois des gestes d’hostilité, accroissent la vulnérabilité des plus jeunes, déjà fragilisés par le parcours migratoire et le refoulement. APS alerte sur ce risque : «  l’hostilité du voisinage peut dégénérer et compromettre le travail de protection mis en place par les autorités et les ONG » Averti le coordonnateur d’APS.

« Les enfants viennent essentiellement des localités du Niger et du Nigeria voisin »

Les origines de ces enfants se situent principalement au Niger et au Nigeria voisin. Certains ont été emmenés en Algérie pour mendier; d’autres ont servi comme domestiques dans des foyers. Dans plusieurs cas signalés par APS, des enfants sont nés en cours de route, sans acte de naissance ni nationalité clairement établis. Cette absence de statut civil complique encore la réunification familiale et la scolarisation éventuelle. « Nous ne devons pas nous voiler la face, les enfants viennent essentiellement des localités du Niger et du Nigeria voisin. Certains sont retirés des classes de cours pour prendre part à l’aventure en compagnie d’une personne autre que leurs propres parents » déplore Azizou Chefou qui estime que « ces parents doivent revenir à la raison et abandonner cette pratique de mendicité qui ne contribue en rien à l’avenir de leurs enfants ».

Pour l’heure, la réponse humanitaire reste confinée à l’urgence : offrir un repas, une couverture, un examen médical et, quand c’est possible, un billet de bus vers la ville d’Agadez. Mais les acteurs sur place soulignent que cette aide, nécessaire, ne constitue qu’un pansement. Sans solution structurelle, le cycle continue « les camions franchissent la ligne de démarcation, déposent leur cargaison de vies bouleversées, puis repartent vers le nord. Assamaka absorbe le choc et, chaque soir, compte les places manquantes sous un ciel déjà chargé de nouvelles inquiétudes » contemple impuissant l’humanitaire Azizou Chefou.  


Tags

afriqueHautmigrationsune
Previous Article
Dare to Dream? How Trump’s migration policies shattered hopes of some young Africans
Youssouf Abdoulaye Haidara 🇳🇪

Youssouf Abdoulaye Haidara 🇳🇪

Producteur de contenus

Récemment publié

Vision panafricaine et quête des horizons nouveaux, l’histoire de Gérôme
2025-06-30T12:32:08

S'abonner à notre newsletter !

Liens Rapides

ContactFaq

Réseaux sociaux