
À l’ère du numérique, les réseaux sociaux façonnent les rêves, les ambitions et les perceptions de toute une génération. Au Togo et dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, des milliers de jeunes se connectent chaque jour à Facebook, TikTok, Instagram ou YouTube pour suivre le quotidien de ceux qui ont franchi les frontières. Ils y voient des images séduisantes de la vie en Europe, en Amérique ou au Canada : selfies enneigés, appartements modernes, soirées étincelantes. Ces récits virtuels alimentent un rêve migratoire puissant, souvent idéalisé, parfois déconnecté de la réalité. Mais que se cache-t-il vraiment derrière ces publications ? Comment ces plateformes influencent-elles les décisions, les espoirs et parfois les désillusions ? À travers les témoignages de jeunes Togolais, ce reportage explore le lien entre réseaux sociaux et migration, entre fantasme d’ailleurs et dure réalité.
Une fenêtre ouverte sur l’ailleurs
Aujourd’hui, un simple défilement sur TikTok, Instagram ou Facebook suffit pour plonger dans une autre réalité. Celle d’un « ailleurs » qui semble plus doux, plus prospère, plus enviable. Pour de nombreux jeunes Ouest-Africains, les réseaux sociaux sont devenus les vitrines modernes de la migration.
« Je suis plusieurs pages sur les réseaux sociaux qui parlent de la vie à l’étranger, surtout en Europe, au Canada et aux États-Unis. Certains partagent des conseils utiles pour étudier ou travailler à l’étranger, d’autres exposent une vie de rêve qui peut être trompeuse. Grâce à cela, j’ai compris qu’il faut bien se renseigner, car tout n’est pas aussi simple qu’on veut le faire croire », explique Edem B., jeune diplômé en biologie vivant à Accra.
Pour Cesar N., étudiant à l’INJS (Université de Lomé), en suivant ces pages, l’envie est forte. « Hum… Une seule envie, c’est d’y aller ! Le marketing est bien fait, ça donne l’impression que la belle vie ne se trouve qu’en dehors de l’Afrique », confie avec enthousiasme César N.
« Je consulte chaque jour des contenus sur la vie à l’extérieur. C’est instructif sur les réalités, parfois dures, de la vie de migrant. Mais on y trouve aussi des opportunités d’études et des conseils pratiques », ajoute Yendoumi, diplômé en Communication à l’Université de Lomé.
Quand les réseaux remplacent l’information officielle
En l’absence d’accès facile à une information claire et encadrée sur la migration, beaucoup de jeunes se tournent vers les réseaux sociaux pour s’informer. Mais cette source est souvent entachée de désinformation, de témoignages biaisés et parfois même d’arnaques.
« Beaucoup de vidéos en ligne ne montrent que le bon côté de la vie à l’étranger. On voit les belles maisons, les voitures, les sorties… mais rarement les galères : le froid, la solitude, les petits boulots épuisants. Certains font ça pour bien paraître, pour rassurer leur famille ou leur entourage. Il faut faire très attention », met en garde Edem B.
« Il y a du vrai, mais aussi beaucoup de mensonges. Certaines personnes enjolivent leur vie à l’étranger pour se faire admirer », affirme César N.
Yendoumi, quant à elle, a la chance d’avoir une amie à l’extérieur qui est une source d’informations sur les réalités de l’autre côté. « Moi, j’ai une amie en Europe avec qui je parle tous les jours. Elle montre souvent une vie parfaite sur ses statuts, mais dans nos discussions privées, elle avoue que tout est loin d’être facile. Beaucoup cachent les aspects négatifs », confie Yendoumi.
« Je fais plus confiance aux structures officielles. Les ambassades, les ONG donnent des informations plus fiables, même si ça prend plus de temps. Les réseaux sociaux, c’est bien, mais il faut croiser les sources », recommande Julien Amouzou, étudiant à l’Université de Lomé.
Entre pression sociale et quête d’un avenir meilleur
Dans l’imaginaire collectif, partir à l’étranger est souvent perçu comme un symbole de réussite. Les réseaux sociaux, en amplifiant cette image, renforcent la pression sociale, familiale et personnelle que subissent ceux qui restent.
« Bizarrement, avoir un enfant ou un proche à l’étranger est vu comme une fierté. Dans notre société, c’est rassurant, voire prestigieux », estime César.
Edem B. souligne le poids de cette attente. « C’est une pression qu’on ressent souvent, surtout quand on voit des gens de notre quartier ou de notre famille partir et envoyer de l’argent. Parfois même, des parents posent des questions comme : “Et toi, tu pars quand ?”», partage Edem B.
« Jusqu’à aujourd’hui, je sens cette pression. Ma famille admire ceux qui sont à l’étranger, comme s’ils avaient mieux réussi que moi. C’est pesant », admet Yendoumi.
À contre-courant, Julien Amouzou affirme avec assurance : « La réussite n’est pas nécessairement dans l’émigration. On peut réussir chez soi. Chaque chose en son temps. »
Vers une utilisation plus responsable des réseaux
Les réseaux sociaux ne sont pas à diaboliser. Ils peuvent aussi devenir un outil d’éducation et de préparation si leur usage est encadré. Mais pour cela, il faut repenser la manière dont on communique sur la migration.
Plusieurs pistes se dessinent :
Les réseaux sociaux sont devenus un miroir puissant. Mais un miroir peut déformer la réalité autant qu’il peut la refléter. Dans la quête d’un avenir meilleur, il est urgent de rendre ce reflet plus fidèle, plus juste, et surtout plus humain.
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