Etudiante en 3e année en Economie agricole, Raya Sana est une jeune dame multitâche. Traductrice, interprète, formatrice, entrepreneure, agricultrice… l’étudiante de 22 ans touche à tout. Elle est également de celle qui aide les autres étudiants qui désirent aller étudier à l’étranger à monter leurs dossiers. Elle en fait une passion quand bien même elle a échoué à partir. Née d’un père burkinabé et d’une mère jordanienne, elle a une connaissance étoffée de différents pays où elle oriente les candidats. Rencontre avec celle qui aide les autres à réaliser leur rêve à travers le monde.
En janvier 2023, nous avions rendez-vous avec dame Raya au quartier Koulouba de Ouagadougou où est implantée son agence spécialisée dans le montage des dossiers pour les candidats à l’immigration. Stylo en main, elle nous accueille avec un grand sourire. A peine les salamalecs terminés qu’elle fond en excuse : “Donnez-moi juste quelques minutes pour gérer les dossiers des étudiants qui sont venus me voir. Je m’excuse”. En effet, un étudiant qui a tenté l’aventure l’année dernière avec une autre agence n’a pas eu gain de cause. Entre Canada et Chypre, l’étudiant est partagé. Et à la jeune dame de lui expliquer les conditions ainsi que le budget que cela implique.
La tête bien nouée avec un foulard, dans un style masculin, Raya, étudiante en Économie Agricole, habillée en tenue de son université, sirote son thé Lipton déposé sur ta table tout en nous prêtant une oreille attentive. Elle respire un coup puis lance : “Je suis fatiguée. Je viens directement de l’université. J’avais rendez-vous avec les deux étudiants qui viennent de partir”.
Quand on cherche à savoir d’où lui vient cette envie de travailler dans la migration, on n’est pas loin de penser à la destinée. Les parents de Raya se sont rencontrés en Jordanie où son père y était pour ses études. De leur union naquit, en Jordanie, la sœur aînée de Raya. Ils décidèrent par la suite de regagner le Burkina Faso. Au pays de Thomas Sankara, la mère de Raya travaillait comme traductrice en arabe. Elle y a ouvert son propre bureau de traduction il y a 23 ans. Après le décès de sa mère, il y a deux ans, Raya a pris la relève. L’évocation de cette disparition lui provoque encore des larmes aux yeux. Aujourd’hui, elle a repris le flambeau et poursuit l’activité de traduction, en mémoire de sa mère.
A côté de ce bureau, Raya Sana a lancé son agence spécialisée dans le montage de dossiers des candidats à l’immigration. Le nom de l’agence n’a pas été choisi au hasard. Laafi Faraj (“Laafi” : santé, paix en mooré et “Faraj” : ouverture de porte en arabe) reflète aussi bien les origines de Raya que la raison d’être de l’agence. Là aussi, elle dit poursuivre l’œuvre de sa mère. Cette dernière aidait les étudiants qui souhaitaient étudier à l’étranger à monter leurs dossiers.
La directrice de l’agence Laafi Faraj se fait aider dans ses tâches par deux salariées : une secrétaire et une comptable. Elle partage son temps entre l’université et son agence sans oublier des cours en langue qu’elle donne aux étudiants et aux particuliers. D’ailleurs, elle s’active à ouvrir son centre de langue dans les prochains mois sans oublier sa marque de vêtements qui verra le jour dans quelques semaines, selon ses révélations.
Laafi Faraj a trois ans d’existence. Une trentaine d’étudiants ont bénéficié de son expertise. Selon la promotrice, le retour sur le terrain est positif dans la mesure où les bénéficiaires recommandent l’agence à leurs proches qui souhaitent voyager. De son avis, le processus de montage de dossiers est simple. Il suffit que l’étudiant fournisse les documents qui sont entre autres les bulletins, le diplôme du Bac, son passeport, son curriculum vitae et bien d’autres documents nécessaires. Une fois cette étape franchie, il est question d’examiner la destination du demandeur en fonction des moyens dont il dispose. Ensuite, elle prend attache avec les universités du pays d’accueil. Si une université accepte l’inscription de l’étudiant, elle se charge de trouver un logement en prenant attache avec d’autres étudiants ou toute personne pouvant aider. Dame Raya dit disposer d’un bon carnet d’adresses dans bon nombre de pays, chose qui lui facilite la tâche.
Le budget de voyage varie selon les destinations. Si vous souhaitez vous rendre au Canada, il vous faut débourser la coquette somme de 2 700 000 de fcfa. La Turquie par exemple nécessite un pack de 3 500 000 de fcfa comprenant le billet d’avion, les cours de langue et les frais d’inscription à l’université. « Le pack est mieux », conseille-t-elle. Sa prestation se situe entre 250 fcfa et 500 000 fcfa. Mais il lui arrive de donner un coup de main gratuitement lorsqu’elle se rend compte que la personne n’a pas assez de moyens.
Toutefois, il lui arrive de déconseiller certaines destinations. Elle raconte : « Il y a une fille qui veut aller au Canada mais le coût est très élevé alors que sa mère est une commerçante de fruits. Le transport seul même est cher sans les autres frais comme le logement, la restauration… je l’ai conseillée. Je lui ai dit qu’elle ne part pas pour aider sa maman mais plutôt pour l’angoisser, parce qu’elle va faire des mains et pieds pour lui envoyer le peu d’argent qui provient de la vente de ses fruits “, explique-t-elle. Elle lui a donc proposé , la Turquie car, selon elle, “c’est un pays de commerce et elle peut envoyer des marchandises à vendre pour sa mère. En plus, il y a des bourses dont elle peut avoir la chance de bénéficier. Elle peut également étudier à moindre coût avec d’autres avantages”.
Ses atouts
A la question de savoir si elle ne contribue pas à la fuite des cerveaux, celle qui parle une dizaine de langues (Arabe, anglais, français, mooré, turc, allemand, italien, espagnol, mandarin, japonais) et qui compte désormais apprendre le russe, se veut ferme : « Il faut d’abord mettre le cerveau en valeur. Et quand le cerveau est mis en valeur, il ne fuit pas. Si le cerveau s’étouffe à cause du manque d’emploi alors, il ne vit pas. Si je trouve que tu es intelligent et que là-bas tu auras des opportunités, je n’hésite pas à t’aider ».
Les pays de prédilection des étudiants sont notamment le Canada, les Etats-Unis d’Amérique, la France, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, Chypre… Mais il n’y a pas que ces pays occidentaux. Les candidats vont également de plus en plus au Sénégal, au Ghana, au Kenya, en Afrique du Sud, en Côte d’Ivoire…
La polyglotte trouve que c’est « excitant » d’aider les autres : « Je n’ai pas pu aller quand je le voulais, mais j’ai décidé d’aider les autres et s’ils sont partis, c’est comme je suis partie également. Les aider ne me rabaisse pas, bien au contraire. Je suis contente de les voir arriver là où moi je n’ai pas pu grâce à mon aide ».
Origines multiples : une enfant de la migration
La mère de Raya, quand bien même jordanienne, a également une partie de son origine en Afrique. En effet, selon Raya, sa mère est en réalité palestino-jordanienne. Elle explique que son grand-père maternel a quitté la Palestine avec sa famille pour aller s’installer en Jordanie à cause de la guerre en Palestine et ils se sont naturalisés par la suite. Elle poursuit en révélant que son arrières grands-parents maternels étaient éthiopien et palestinien. C’est ce qui explique, selon elle, le teint “chocolat” de sa mère et des autres membres de sa famille. “Papa m’a dit que j’ai hérité du teint de mamy qui était éthiopienne”, justifie-t-elle son joli teint noir avant d’ajouter avec un éclat de rire : “Notre famille bouge beaucoup, c’est une famille d’immigrés”. La jeune dame est le produit de l’immigration, chose qu’elle apprécie bien en ces termes : “Je suis fière de mon chic métissage”. Elle confie qu’actuellement elle est en train de faire des recherches sur la civilisation éthiopienne parce que, de son avis, c’est également son histoire. Elle précise qu’en famille à Ouagadougou, l’arabe est plus utilisé comme langue de dialogue.
Ayant visité Dubaï (les Emirats arabes unis), la Tunisie, la Turquie, l’Algérie après avoir fait un tour chez ses grands-parents maternels en Jordanie, l’infatigable étudiante compte désormais se rendre au Japon, en Afrique du Sud, en Chine, au Brésil, en Arabie Saoudite d’où elle reviendra au pays avec du matériel agricole car son rêve, c’est de nourrir le Burkina Faso, dit-elle.
Si elle est peu régulière, ces dernières années, en Jordanie chez ses grands-parents, elle dit être permanemment en contact avec eux. « On s’appelle au moins trois fois par semaine au téléphone », relate-t-elle. Mais toutes les fois qu’elle y allait, « l’ambiance était familiale entre le repas en famille et les sorties en groupe », se souvient celle qui s’apprête cette année, pendant les prochaines vacances, à se rendre en Jordanie.
Raya se dit être fière d’appartenir à deux cultures mais reconnaît que c’est assez « compliqué » du moment où elle estime que certains faits et gestes ne sont pas acceptés de part et d’autre. « Dans l’éducation à la jordanienne on ne vouvoie pas nos parents mais ici au Burkina Faso les gens voient cela (ndlr: le tutoiement) comme signe d’impolitesse, surtout en milieu mossi (ndlr: une ethnie du Burkina Faso) », illustre -t-elle.
Dame Raya invite les femmes au travail et à ne pas céder à la facilité car « l’avenir c’est la femme », foi de Raya Sana, issue d’une fratrie de 5 enfants dont 4 filles et un garçon. Deux de ses sœurs sont à l’étranger pour des études.
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