
Dans le nord du Kenya, une contestation locale met en lumière les dilemmes migratoires que traverse une grande partie du continent africain. Au cœur du débat : le “plan Shirika”, une initiative gouvernementale visant à intégrer les réfugiés dans les communautés locales. Mais face aux promesses du président William Ruto, les dirigeants de la communauté turkana crient à l’injustice et à l’exclusion.
Le vendredi 28 mars 2025, les autorités communautaires du comté de Turkana, situé à la frontière du Soudan du Sud, ont exprimé leur opposition à ce projet d’intégration. Pour Daniel Epuyo, député de Turkana Ouest, « le gouvernement n’a pas respecté la constitution en imposant un plan sans la moindre consultation publique ». Dans une région déjà marquée par une double crise alimentaire et hydrique, la perspective d’intégrer des dizaines de milliers de réfugiés soulève plus de craintes que d’espoirs.
Une initiative panafricaine ?
Le président Ruto, de son côté, présente le plan Shirika comme une réponse innovante et courageuse à un défi continental. Inspiré de la vision de l’Union Africaine de « solutions africaines aux problèmes africains », il entend transformer les camps de réfugiés de Kakuma et Kalobeyei en communautés intégrées, où les réfugiés et les populations locales bénéficieraient d’opportunités équitables en matière d’éducation, de santé et d’emploi.
Mais cette vision, pourtant louable, se heurte à une réalité locale : les communautés d’accueil, comme celle des Turkana, vivent elles-mêmes dans des conditions précaires, avec un accès limité à l’eau potable, aux soins de santé et à l’éducation. Elles s’interrogent : comment partager ce qu’on ne possède déjà pas en suffisance ?
Un enjeu continental, des réactions locales
La situation au Kenya fait écho à une tension constante en Afrique de l’Ouest et ailleurs sur le continent : l’hospitalité africaine, souvent valorisée et célébrée, se heurte de plus en plus à la pression sur les ressources locales, surtout dans les zones rurales fragiles.
Au Togo, au Niger, au Burkina Faso ou en Côte d’Ivoire, des communautés accueillent depuis des décennies des populations déplacées, souvent victimes de conflits ou de catastrophes naturelles. Pourtant, peu de gouvernements prennent le temps de co-construire des solutions avec les populations hôtes. Ce qui engendre frustrations, incompréhensions et parfois même des violences.
Intégrer sans consulter : une erreur fréquente
L’opposition des leaders turkana au plan Shirika ne doit pas être perçue comme un refus catégorique d’aider les réfugiés, mais plutôt comme un appel à une démarche inclusive. En ne consultant pas les communautés locales, le gouvernement kényan alimente la défiance et risque d’aggraver les tensions sociales.
Ce scénario devrait servir de leçon pour les autres pays africains : la gestion des flux migratoires, qu’ils soient internes ou transfrontaliers, ne peut se faire sans l’implication des premiers concernés. Il ne suffit pas d’avoir une volonté politique ou des appuis internationaux. Il faut écouter les voix locales, identifier les vulnérabilités, et créer un espace de dialogue ouvert où tous les acteurs (réfugiés, hôtes, élus, ONG, institutions) peuvent co-construire des solutions durables.
Un débat plus large sur l’intégration en Afrique
Le cas du Kenya relance également un débat essentiel sur la citoyenneté, l’appartenance et les droits : jusqu’où un pays africain peut-il intégrer les réfugiés, dans un contexte où même ses propres citoyens vivent dans la précarité ? Et que signifie vraiment l’intégration dans des sociétés déjà marquées par des inégalités profondes ?
Ce débat doit désormais sortir des cercles politiques et académiques pour toucher les communautés elles-mêmes. C’est tout l’enjeu de plateformes comme Dialogue Migration, qui ont pour mission de replacer l’humain au cœur de la migration et de permettre aux récits locaux d’éclairer les décisions politiques.
La migration est et restera une réalité africaine. Qu’elle soit volontaire ou forcée, elle exige des réponses concertées, solidaires et respectueuses des droits de tous. Le plan Shirika peut être une opportunité… mais seulement s’il devient aussi le fruit d’un dialogue honnête entre l’État, les réfugiés et les communautés hôtes.
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