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Rodriguez Katsuva, Co-fondateur de Congo-check: “Ma vie, mes voyages, mon expérience”
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Rodriguez Katsuva, Co-fondateur de Congo-check: “Ma vie, mes voyages, mon expérience”
Laetitia Kasongo 🇨🇩
Laetitia Kasongo 🇨🇩
January 23, 2023

Bienvenue sur “Dialogue Migration Podcast”. De Dakar à Goma, en passant par Conakry, Nouakchott, Cotonou, Ouagadougou et Niamey; nous allons revenir sur les mille et une facettes de la migration. Ce podcast est présenté par Laetitia Kasongo depuis la ville de Goma.

Aujourd’hui, nous recevons dans cette émission Rodriguez Katsuva. Il est journaliste, co-fondateur de Congo Check. Il a effectué une partie de ses études en République Démocratique du Congo (RDC) et l’autre partie en Europe. Mais, il a opté pour le retour au pays pour entreprendre, grâce à la migration. 

Rodriguez Katsuva, bonjour.

Rodriguez Katsuva: Bonjour chère journaliste, je suis Rodriguez Katsuva, journaliste, co-fondateur de Congo check, qui est un média de vérification des faits en RDC. Je suis détenteur d’un Master 2 en Management des Médias de l’École publique de journalisme de Lille. Je vis entre la République Démocratique du Congo (RDC), le Rwanda, la Belgique et la France. 

Laetitia Kasongo: Après ton diplôme, pourquoi as- tu quitté la ville de Béni? 

Rodriguez Katsuva: J’ai quitté la ville de Béni parce que je voulais d’abord trouver une  école où faire des études de médecine. Donc, je suis allé à Bukavu (NdlR: ville de la RDC sise sur la rive sud-ouest du lac Kivu et capitale de la province du Sud-Kivu). Mais très vite, j’ai voulu changer d’orientation parce que déjà à Béni je travaillais comme animateur d’émission. Cela m’a donné envie de faire du journalisme. J’ai très vite aimé le micro.

J’ai commencé à travailler à la radio en 2009-2010. C’était facile pour moi parce que je parlais déjà très bien “français” à l’époque et j’écrivais déjà très bien. C’est parce qu’aussi j’aimais beaucoup lire, et c’est ce qui m’a ouvert les portes de la radio. Même si je voulais continuer la médecine, le journalisme était déjà en moi. C’est ainsi que j’ai dû quitter la ville de Béni en ayant déjà une expérience en radio. Et donc, je voulais continuer les études de médecine ,mais j’ai dû arrêter très vite pour me réorienter vers le journalisme.

Laetitia Kasongo: Monsieur Rodriguez Katsuva, dis-moi comment et pourquoi tu es parti en Europe? 

Rodriguez Katsuva: J’ai travaillé comme spécialiste communication dans une ONG américaine. J’ai été invité pour un stage à Paris, et j’ai accepté de démissionner, de quitter un salaire confortable, à l’époque je gagnais un salaire autour de 2100 dollars. J’ai quitté tout ça pour un stage non payé de deux mois à la Radio France Internationale à Paris parce que la radio me manquait. La communication, c’est quand même très différente du journalisme. Même s’il y a beaucoup de similitudes, les règles ne sont pas les mêmes, les libertés ne sont pas les mêmes en journalisme qu’en communication. Donc, je voulais quand-même retrouver la voie du journalisme. Et c’est là que j’ai démissionné pour partir à Paris. J’ai fait mon stage, et je me suis inscrit pour mon Master là-bas, c’est comme ça que je suis parti en Europe.

Mais ma première occasion de voyager en Europe avant le stage de RFI, c’était lors du prix francophone de l’innovation dans les médias qu’on avait gagné avec Habari-RDC une plateforme des blogueurs. Et en tant qu’éditeur, j’avais participé au dossier qu’on avait soumis pour le prix. J’ai été alors invité à Paris pour recevoir le prix. C’est comme ça que je suis arrivé en France pour la première fois. C’était pour quelques jours, mais moi je m’étais dit, vu que je pars pour quelques jours, je vais en profiter pour créer des contacts, afin de pouvoir revenir. C’est ainsi que j’ai rencontré Cécile Mégie qui est d’ailleurs la directrice générale de RFI. Elle m’a expliqué le processus à mettre en place pour faire un stage à RFI. J’ai tout fait. J’ai commencé à produire des émissions, des chroniques pour RFI gratuitement en étant au Congo. Et c’est comme ça que j’ai été invité trois mois après pour aller faire un stage à Paris au sein de la rédaction de RFI. C’est ainsi que je suis allé en Europe. 

Laetitia Kasongo: Pourquoi as- tu opté pour le retour au pays? 

Rodriguez Katsuva: Le pays ne m’a jamais quitté. Je suis arrivé en Europe; j’ai très vite compris que ce n’était pas un eldorado comme on nous le vendait. En tout cas, le métier de journalisme est très précaire en France. Il faut le savoir. Je connais des pointes dans le travail de journalisme, des gens pour qui j’ai beaucoup de respect mais qui gagnent un salaire minimum. Voilà, c’est un métier très précaire en France. Mais être parti en France m’a permis de faire des études et d’avoir beaucoup d’expériences que je n’aurais pas eu peut-être sur le continent. Et surtout, une certaine notoriété dans le monde du journalisme mondial. ça m’a ouvert vraiment beaucoup de portes. La formation en France, l’expérience avec la Radio France internationale, tout ça sur mon CV m’a donné de la valeur et surtout, le fait de voir que tout était possible.

Avant même de partir, j’avais déjà lancé au pays Congo check qui était le premier média de vérification des faits en République Démocratique du Congo mais aussi en Afrique centrale et le premier d’ailleurs en Afrique francophone reconnu par le réseau international de fact checkers. Donc, je suis revenu au pays pour partager ce que j’ai appris là-bas. Avec mes deux collaborateurs, nous avons apporté chacun une pierre pour investir au pays. Aujourd’hui, on est un groupe média avec une télévision et deux chaînes radio, un site internet et un centre de perfectionnement en journalisme. On est content quand-même de pouvoir faire des choses au pays, et on continue en tout cas à avoir des liens avec des pays à l’étranger, la France principalement.

Laetitia Kasongo: Rodrigue, peux-tu nous expliquer ce que la migration t’a apporté sur le plan professionnel et personnel ?

Rodrigue Katsuva: En France d’abord, j’ai compris que si je voulais faire quelque chose ça devrait être dans mon pays. Et que je devrais profiter de toutes les opportunités découvertes en France pour essayer de les répliquer ensuite chez nous. Il ne s’agissait pas de vivre simplement en France, et de profiter du système français; mais plutôt d’apprendre et de bénéficier de cette ouverture que Paris m’a donnée. Mon séjour m’a permis d’être très ouvert avec les gens et de nouer certains partenariats qui continuent à nous apporter beaucoup de choses aujourd’hui.

Sur le plan personnel, c’était juste une prise de conscience de savoir que la France c’est bien, mais ce n’est pas ce que je veux. Je veux profiter de toutes les portes que la France m’a ouvertes; mais aussi apporter des choses à mon pays et à la France également. Pourquoi pas ? Donc je ne veux pas aller charger le système social français; mais je vais en profiter pour créer de la richesse pour moi-même, pour payer mes impôts en France et pour me lancer en tant qu’ entrepreneur en France, mais surtout avec un focus et un regard  sur mon pays. J’ai vu toutes les choses que je pouvais faire, à quel point mon pays est encore vierge, et qu’il y avait beaucoup de domaines à exploiter. J’ai compris que si je voulais gagner ma vie en tant qu’ aîné et vu que j’ai maintenant presque cinq enfants, ce ne serait pas avec la France. Il faudrait que la France me permette d’ouvrir d’autres portes. Donc, je peux aller toquer auprès de certaines entreprises, de certaines ONG, de certains fonds, directement partout en Europe; mais tout en sachant que ma base reste au Congo.

Laetitia Kasongo: Est-ce qu’on peut dire que la migration a des points positifs vu ton expérience?

Rodriguez Katsuva: L’immigration a toujours des points positifs. Quand on dit que “voyager est le plus grand livre du monde”, c’est vrai. Il est toujours intéressant de rencontrer d’autres cultures, des personnes qui pensent différemment et qui ont des histoires différentes des nôtres.

Cette prise de conscience, savoir qu’on n’est pas seul mais qu’on est une partie d’un grand tout. C’est vraiment une très grande expérience.

Mes voyages en France, en Centrafrique et dans les autres pays où j’ai travaillé m’ont apporté beaucoup de choses sur le plan personnel. Et dès qu’on gagne sur le plan personnel, on gagne aussi sur le plan professionnel.

Grâce à la France par exemple, il y a beaucoup de journalistes qui voyageront désormais entre la RDC et la France pour se former et revenir former les gens ici.

On est en train d’étendre le fact-checking au Burundi, au Rwanda, au Tchad, en Angola, au Gabon et dans plusieurs autres pays d’Afrique centrale, francophones comme lusophones. C’est possible grâce aux expériences que nous avons acquises que ce soit moi, que ce soit mes collègues de Congo Check.

L’émigration m’a apporté énormément… Et j’espère apporter énormément à tous les pays qui l’ont accueilli: la France, la Centrafrique, la Guinée Equatoriale, le Tchad, le Ghana, … J’ai été dans plusieurs pays et je ne peux pas les citer tous. Tous ces pays m’ont apporté beaucoup de choses.

Le Rwanda, c’est le premier pays où j’ai décidé d’aller m’installer en 2015 avec mes collègues. On a commencé à avoir plus d’opportunités en vivant au Rwanda parce qu’on avait accès à internet moins cher, de la sécurité et de l’électricité. Et cela fait partie des avantages de l’émigration. Donc, cela a commencé au Rwanda et pas simplement en France.

Laetitia Kasongo: Qu’est ce que le Tchad, la Belgique, la France et la République Centrafricaine entre autres t’ont apporté spécifiquement dans ton parcours ? 

Rodriguez Katsuva: Au Tchad, on a aidé à lancer un site de vérification des faits. En Guinée Equatoriale, j’y étais pour un reportage au profit de la Banque Africaine de Développement (BAD) et ça m’a permis d’ouvrir certains réseaux et de comprendre beaucoup de choses sur le continent. Cela a aussi facilité certains partenariats avec d’autres médias. En Centrafrique, je suis resté pendant un an pour former des journalistes locaux sur le fact checking. Aujourd’hui, la vérification des faits est en évolution là-bas avec la guerre d’influence franco-russe dans le pays.

Je suis fier d’avoir été à l’aune de la lutte contre la manipulation qu’elle quelle soit. La manipulation russe principalement car ils sont plus dans la propagande. Mais il y a aussi les chancelleries occidentales. Il arrive qu’elles taisent certaines informations ou qu’elles soient réticentes pour apporter certains éclaircissements. Tout ça m’a permis d’avoir un autre regard par rapport à moi-même, au métier et à tout ce qui est à faire sur le continent africain.

Laetitia Kasongo: Comment as-tu vécu l’instabilité dans certaine partie du pays comme dans le Nord Kivu et en quoi cela a affecté plus ou moins ta vie?

Rodriguez Katsuva: Je suis de cette région. Je suis né là- bas et c’est là que j’ai grandi. Je me souviens de Béni parce que j’y ai passé les deux dernières années de l’école secondaire. Donc, on se promenait jusque tard dans la nuit; on fréquentait une petite discothèque appartenant à un ami qu’on appelait Mukendi.

On était souvent là-bas jusqu’à 23 heures, on discutait. C’était là où on vendait les disques les plus originaux de toute la ville de Béni. On ne craignait rien. On rentrait à pied chez soi sans aucune inquiétude. Ce qu’on ne peut plus faire aujourd’hui. Même en plein centre ville de Béni, des attaques peuvent avoir lieu. Il y en a eu même récemment durant la fête de Noël dans le supermarché le plus fréquenté de la ville.

Donc, cela a un peu détruit ces souvenirs, cette image de Béni que j’avais et que je portais toujours en moi. Et c’est très triste.

Mais aussi, cela a influencé un peu ma carrière parce que si on s’est lancé dans le fact-checking; c’est à cause des massacres à Béni qui ont commencé depuis fin 2013 voire début début 2014.

Les gens se demandaient pourquoi la communauté internationale restait silencieuse par rapport aux meurtres et tueries qui ont eu lieu à Béni. 

Certains internautes, en voulant attirer l’attention de la communauté internationale, publiaient des images de gens coupés à la machette, des personnes mortes, des cercueils ou des corps déchiquetés. Malheureusement, ces images venaient souvent d’autres pays comme la Zambie, le Cameroun,…

On s’est dit que c’est un danger. On veut sensibiliser la communauté internationale pour qu’elle s’intéresse à la question de Béni; en même temps, on utilise des photos qui viennent d’ailleurs. La communauté internationale pourrait bien voir ces photos et dire que c’est au Cameroun. Donc, ce qu’on dit à Béni; c’est faux. Il  n’y a pas autant de massacre.

Ainsi, on a commencé à sensibiliser les gens pour leur dire que c’est  bien de partager des images vraies de Beni, la vraie situation à Béni.

Ensuite, il y a eu Ebola qui s’est rajouté à cette condition particulière de Béni. Et il y a eu beaucoup de rumeurs et chez nous la désinformation tue littéralement. A cause des rumeurs, les médecins expatriés dans le pays ont commencé à être attaqués et on disait qu’ils venaient voler les organes des personnes mortes d’ebola et qu’ebola n’existait pas et que tout ceci était créé pour tuer les peuples noires. Il y a eu même des politiciens qui ont profité de la situation pour répandre de fausses informations.

ça a fait un gros mélange. Et nous, en tant que professionnels, on a voulu s’attaquer aux rumeurs. Cette insécurité et cette instabilité nous a affectés professionnellement et personnellement. C’est pareil dans le Rutshuru situé à 69 Km de Goma, on voyageait quand on voulait. Mais là, on ne peut plus le faire.

Laetitia Kasongo: En tant que journaliste, quelle expérience sur le traitement de l’information liée aux conséquences du conflit dans certaines parties du pays et spécifiquement chez les déplacés ?

Rodriguez Katsuva: Malheureusement, ce que je peux dire, c’est que d’un côté, il n’y a pas de traitement qui soit juste ou qui se rapproche de la neutralité.

Les médias étrangers (Rfi, France 24, Le Monde, BBC, …), veulent certaines images ou vidéos de la part de leurs correspondants et ne mettent pas en exergue l’autre récit. Et les médias d’Etat en RDC veulent flatter les dirigeants. 

Du coup on a deux opposés. D’un côté, c’est la  loi du mort-kilomètre- Tant que ce n’est pas sensationnel avec des gens qui meurent de faim dans des camps de déplacés, les médias étrangers, ne vont pas venir les prendre. 

D’un autre côté, le gouvernement va essayer de cacher certaines vérités. Du coup on a un traitement biaisé et on a pas la réalité des faits. C’est ce traitement dichotomique que je déplore.

Laetitia Kasongo: Mesdames, Messieurs, nous sommes arrivés à la fin de ce premier numéro de Dialogue migration Podcast. Merci de l’avoir suivi et à bientôt !


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