Le Rapport mondial sur les crises alimentaires (GRFC 2023) a accouché d’un autre rapport du Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS). Selon le Dr Abdoulaye Mohamadou, Secrétaire exécutif de cette dernière organisation, environ 28,60 millions de personnes sont touchées par l’insécurité alimentaire et nutritionnelle dans la région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. Il alerte en ajoutant que ce chiffre pourrait atteindre 41,47 millions si des réponses adaptées ne sont pas apportées pendant la période de soudure de juin à août 2023.
Le Dr Mohamadou évoque une conjonction de plusieurs facteurs complexes de vulnérabilité qui affectent les conditions de vie des populations dans cette zone. Parmi ceux-ci, la crise sécuritaire à caractère régional occasionnant des déplacements massifs de populations.
Augmentation des conflits armés et accroissement des populations déplacées
Le Rapport du CILSS 2023 s’est arrêté principalement sur le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Nigéria (au Nord) et le Tchad (à l’Ouest) pour mettre le curseur sur l’intensification des conflits et l’insécurité civile et transfrontaliers qui continuent d’entrainer une détérioration de la situation alimentaire et nutritionnelle. Ce, en raison de la persistance de la crise sécuritaire dans le bassin du lac Tchad et la région des trois frontières au sein du Sahel central, et une intensification du kidnapping et du grand banditisme au nord-est et centre-nord du Nigéria.
« L’insurrection dans le bassin du lac Tchad est à l’origine de l’un des conflits les plus prolongés au monde, marqué par des enlèvements, des attaques suicides, des recrutements forcés et opportunistes, des violences sexistes et des violations des droits de l’homme », indique-t-on dans le document parcouru par Dialogue Migration.
Il est ajouté, de même source, que « de même, dans le Sahel central, la présence de groupes extrémistes couplée à l’instabilité politique a entraîné une recrudescence de la violence, du terrorisme et des conflits armés. Il est particulièrement préoccupant que les zones frontalières du nord des pays côtiers, à savoir le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée et le Togo, aient connu une recrudescence de la violence qui se propage depuis le Sahel central ».
Le nombre d’évènements d’insécurité et de conflits dans les cinq pays a augmenté de 58% en 2021 par rapport à l’année précédente et de 27% en 2022, selon le Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED). Pendant le premier trimestre de 2023, la fréquence des événements d’insécurité est élevée et correspondait à la même grandeur observée en 2022, fait constater ACLED dans son rapport publié en mai 2023.
Cette instabilité et cette crise sécuritaire ont entraîné un déplacement massif de populations et une perturbation des moyens d’existence, de la transhumance pastorale, des marchés et du commerce. « Dans les zones les plus gravement touchées, la fourniture d’une assistance humanitaire reste très compromise. En témoigne le fait très préoccupant qu’environ 42 700 personnes dans les régions de la Boucle du Mouhoun et du Sahel au Burkina Faso et environ 2 500 dans la région de Ménaka au Mali sont projetées être en catastrophe pendant la période de juin à août 2023 », peut-on lire dans le document de 36 pages produit par le CILSS.
7,8 millions de personnes déplacées et exposées à l’insécurité alimentaire
Une crise croissante de déplacement est notée dans la région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, avec 6,62 millions de personnes déplacées internes (PDI) dans les cinq pays touchés par les conflits et 1,24 million de réfugiés et demandeurs d’asile dans 15 pays en fin de 2022, selon les chiffres de 2022 du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
« Le Nigéria et le Burkina Faso comptent à eux seuls 83% des PDIs de la région, avec ces populations en augmentation rapide. Le nombre de PDIs au Nigéria est passée de 3,18 millions en janvier 2022 à 3,57 millions à la fin de 2022, à la suite des conflits persistants dans le nord-est du pays et à l’augmentation de l’activité criminelle dans les régions du nord-ouest et du centre-nord », rapportent les enquêteurs du CILSS.
Le rapport souligne également que rien qu’au Burkina Faso, le nombre de PDIs a augmenté de plus de 40 fois entre 2018 et 2022, passant de 47 000 à 1,88 million, et a atteint 2.07 millions en mars 2023. Ce qui en fait l’une des crises de déplacement à la croissance la plus rapide au monde, selon l’IDMC de mai 2022.
Au nord du pays, de nombreuses villes et villages sont assiégés par des groupes armés depuis le début de 2019, ce qui rend extrêmement difficile l’accès à la nourriture, à l’eau et aux autres biens et services de base pour les habitants.
1,4 million de réfugiés et demandeurs d’asile dans la région
Le rapport fin 2022 du Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) établit qu’il y avait 1,24 million de réfugiés et demandeurs d’asile dans la région, dont presque la moitié était accueillie au Tchad, principalement en provenance du Soudan.
« Depuis la recrudescence du conflit armé au Soudan à la mi-avril 2023, de nombreuses personnes ont été contraints de fuir, avec le nombre de réfugiés au Tchad en passant de 592 000 en décembre 2022 à 680 000 en fin de mai 2023. Le Niger reste le deuxième pays à abriter le plus grand nombre des réfugiés et demandeurs d’asile, avec des réfugiés principalement en provenance du Nigéria.
Ensuite viennent la Mauritanie avec des réfugiés principalement en provenance du Mali et le Nigéria avec des réfugiés principalement en provenance du Cameroun », note ledit rapport.
Lequel indique que les déplacements des populations accroissent la pression sur les services sociaux de base, dont la congestion entraîne une pénurie de services essentiels tels que l’alimentation et les articles non alimentaires, le logement, la protection, la nutrition et les services de santé.
Le CILSS donne comme exemple la région de Ménaka, au Mali, où la détérioration sans précédent de la sécurité a conduit à ce que 50 000 personnes déplacées internes trouvent refuge dans des centres urbains ; lesquels ne disposent pas d’infrastructures suffisantes pour couvrir tous leurs besoins en termes d’alimentation, d’eau, de logement et de santé.
« De même, le déplacement des populations a exacerbé la demande sur des ressources naturelles limitées, y compris les terres agricoles, les pâturages et l’eau, tant pour les populations déplacées que pour les populations hôtes », souligne le document.
Les marchés perturbés par la forte demande des personnes déplacées, la transhumance du bétail aussi
Le déplacement massif des populations causé par les conflits dans la région a eu un impact majeur et négatif sur la disponibilité alimentaire et les marchés en limitant la production locale de cultures et en augmentant la dépendance des ménages déplacés aux marchés pour se procurer de la nourriture. Une situation qui a eu une incidence sur les prix déjà affectés par l’inflation.
« Cela a été le cas particulièrement dans des marchés situés en zones d’insécurité au Burkina Faso et au Mali, où les prix des céréales de base demeuraient entre 17 et 33 pour cent au-dessus de leurs niveaux de l’année précédente », relève le rapport.Il n’y a pas que les êtres humains qui sont impactés par cette insécurité et ces déplacements forcés. « Les conflits et les mauvaises conditions de sécurité ont entravé des transhumants, avec des déplacements massifs des troupeaux atypiques vers les zones soudaniennes et les pays côtiers observés. Ceci a entraîné par endroits une forte concentration des troupeaux et l’épuisement des pâturages et des points d’eau, la détérioration de l’état corporel du bétail et une augmentation des affrontements entre agriculteurs et communautés pastorales concernant l’utilisation des terres. (…) En avril 2022, l’insécurité a bloqué plus de 1,3 million de têtes de bétail dans plusieurs zones frontalières en Afrique de l’Ouest, notamment dans la région de Tahoua au Niger et dans la zone des trois frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger », renseigne le CILSS. Non sans ajouter que « l’ensemble de ces conditions a entraîné des pertes économiques et alimentaires ».
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