C’est en 1980 qu’il a débarqué en Haute Volta, le Burkina Faso d’aujourd’hui. Arrivé au pays des “hommes intègres” dans le cadre de ses études universitaires, suite à la fermeture de l’Université de N’Djamena, une des conséquences de la guerre civile qui a éclaté le 12 février 1979 au Tchad, Ngonndingamlemgoto Alram Nguebnan Ngarndolédjim s’est définitivement installé à Ouagadougou, sa ville de rêve d’enfance.
Cinéaste, conteur professionnel, enseignant dans les Universités et Instituts du Burkina Faso, c’est avec joie que Ngonndingamlemgoto nous a accueilli au siège de sa compagnie théâtrale Le Roseau. Entre nostalgie et rêve d’un avenir meilleur pour son pays, le Tchad, il se raconte dans un style captivant de conte.
C’était un fameux 12 février 1979, quand éclata la guerre civile au Tchad et que la vie estudiantine à N’Djaména allait connaître un tournant bouleversant que s’ouvrit une nouvelle page d’histoire de Ngonndingamlemgoto Alram Nguebnan Ngarndolédjim. Le conflit tchadien perdurait presque dix mois, obligeant la fermeture de l’Université de N’Djamena où celui que les intimes appellent affectueusement “Ngone” était inscrit en Lettres Modernes. Suite à cette fermeture brusque, étudiants et élèves devaient regagner leurs localités d’origine. C’est ainsi que Ngone eut regagné Bébidja, son village maternel. Là-bas, l’étudiant enseignait le français au collège qui venait de voir le jour tout en espérant un retour à la normale du cours de la vie afin de regagner la capitale pour poursuivre ses études. Mais plus le temps passait, plus la crise prenait de l’ampleur. Il fallait trouver une alternative pour permettre aux étudiants de regagner les amphithéâtres. C’est ainsi que l’Etat leur a autorisé à se rendre à l’étranger pour poursuivre leurs études.
Chaque étudiant devait choisir trois destinations par ordre de préférence. La Haute Volta, la Côte d’Ivoire et le Sénégal étaient les pays d’accueil soumis au choix de Ngone. Et c’est en Haute Volta qu’il sera envoyé, comme du reste souhaité. “C’était une explosion de joie”, dit le futur étudiant de l’Université de Ouagadougou devenu aujourd’hui Université du professeur Joseph Ki Zerbo.
Voir Ouagadougou et Bobo-Dioulasso était un rêve d’enfance pour lui. En effet, dit-il, “dans un livre de calcul de l’école primaire, j’avais l’habitude de lire l’histoire d’un train qui quittait Abidjan en Côte d’Ivoire pour rallier les deux plus grandes villes du Burkina Faso (Haute Volta à l’époque), Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Et depuis, je souhaitais visiter ces deux villes avant de mourir”.
S’installer à Ouagadougou était un rêve d’enfant
Chose qui fut désormais faite le 8 décembre 1980 à 13h00, se souvient avec précision l’étudiant Ngone, 30 ans après. Ils étaient au nombre de 26 étudiants tchadiens à fouler le sol de la Haute Volta ce jour-là, sous la direction de la Coopération française qui avait déjà apprêté des logements pour eux. “Quand je suis sorti de l’avion, j’ai d’abord embrassé le sol”, se remémore-t-il de son acte. Le risque de dépaysement était nul car pour lui, le climat est identique à celui de N’Djamena.
A l’Université de Ouagadougou, Ngone s’était inscrit en Linguistique. Il se souvient que leur intégration était sans aucune difficulté : “selon l’histoire, les gourmantché et les mossis sont venus du Tchad donc à l’université les étudiants Burkinabè nous considéraient comme des parents”, raconte-t-il tout fier.
Enseignant de la langue française, metteur en scène, conteur professionnel, comédien de cinéma, Ngone, respectueusement appelé «l’ancêtre» par des jeunes dans le milieu culturel, est un homme pluridisciplinaire. Son histoire est aussi longue que son nom. Amoureux du théâtre depuis son enfance, il pratiquait cet art avant de s’envoler pour Ouagadougou où sa première préoccupation était d’intégrer une compagnie théâtrale. C’est ainsi que «l’ancêtre» a intégré la troupe “Les amateurs” du théâtre voltaïque, devenu plus tard Atelier de théâtre burkinabè. Il y était de 1981 à 1995. Par la suite, l’homme de culture a créé sa propre troupe, la compagnie théâtrale “Le Roseau” au quartier Wemtenga en plein cœur de Ouagadougou.
43 ans hors de son pays natal
Dans sa carrière, il a formé plusieurs jeunes et dit continuer à le faire puisqu’il enseigne actuellement au Centre de formation et de recherche en art vivant de l’Espace Gambidi. Il donne également une formation en Art de l’oralité à l’Université du professeur Joseph Ki Zerbo à l’UFR LAC.
Après près de 43 ans passés au Burkina Faso, loin de son Tchad natal, le septuagénaire est nostalgique. “Je n’attends qu’une occasion pour rentrer chez moi au Tchad qui me manque tant”, exprime-t-il son envie de repartir voir ses proches qui lui manquent énormément surtout que depuis lors, il n’est reparti qu’une seule fois au Tchad. Et cela remonte à 2009 dans le cadre d’une représentation théâtrale. S’il est resté autant d’années à l’étranger, raconte-t-il, c’est à cause de l’insécurité à laquelle son pays est en proie depuis des années du fait d’incessantes guerres qui s’y déroulent.
Le metteur en scène dit avoir renoncé à son voyage au Tchad, billet d’avion en main, lorsqu’il a appris la prise du pouvoir par Hissène Habré dont il dénonce, avec véhémence, la dictature qui est à l’origine de plus de 40. 000 morts de 1982 à 1990.
Aujourd’hui, le comédien qui a joué dans plusieurs films dont ‘’Massoud’’ de son compatriote Emmanuel Mbaidé Rotoubam dit se sentir mal à l’aise en voyant de nombreux jeunes étudiants tchadiens à l’étranger (estimés à plus de 3 000 au Burkina Faso) : “Il m’arrive souvent de verser des larmes en voyant ces fils valeureux partir du pays”, se désole-t-il.
Toutefois, il demeure optimiste car pour lui, «voyager, c’est s’instruire”. De ce fait, c’est aussi une occasion pour eux, poursuit-il, de s’inspirer de bons exemples d’ailleurs pour repartir construire leur pays.
“Nos dirigeants n’ont pas su créer des conditions d’épanouissement pour les jeunes“
Migrant de son état, il estime que la migration est un phénomène qui est aussi vieux que le monde donc, naturel. Il dénonce, par conséquent, la manière dont les migrants africains sont traités en Occident. Il pointe un doigt accusateur sur les adultes mais surtout sur les dirigeants qui “n’ont pas su créer des conditions d’épanouissement pour les jeunes”.
Membre fondateur des clubs de l’organisation de l’Union africaine (OUA), “Papa Ngone”, c’est ainsi que les plus jeunes l’appellent, invite la jeunesse africaine à «lutter pour réaliser l’union africaine des peuples». Pour lui, compter sur les dirigeants du continent qui sont au pouvoir pour leurs «intérêts égoïstes»est une peine perdue qui n’aboutira pas à la concrétisation de cet idéal commun. «Il faut que la jeunesse trouve un vrai cadre de lutte pour arracher cette union africaine des peuples qui va faire décoller l’Afrique. Les hommes politiques sont dangereux et font toujours des fausses promesses», conseille ainsi le conteur professionnel à la jeunesse africaine.
Il plaide pour la libre circulation des biens et des personnes et demande la suppression des visas entre les Nations africaines. Son deuxième plaidoyer porte sur le brassage culturel. “La culture est le meilleur socle du développement”, foi de celui qui se définit comme un combattant de l’Unité africaine. Il appelle la jeunesse africaine à un retour aux sources. Pour lui, bon nombre des citoyens africains sont sans identité culturelle.
Morceau choisi
“Nous sommes devenus des êtres hybrides. Les gens sont venus nous faire miroiter leur culture et nous avons abandonné la nôtre. La meilleure façon de détruire un être humain, c’est de le détruire culturellement et c’est ce que nos ennemis ont réussi à faire. Nous sommes comme un arbre avec les racines en l’air”, se désole-t-il.
Il garde, néanmoins, une note d’espoir car pour lui, les jeunes africains sont en train de “se réveiller sur la question culturelle”. “J’ai bon espoir que dans un avenir plus ou moins lointain, l’Afrique va diriger le monde dans son enracinement culturel”. Il conclut en invitant les jeunes à cultiver l’amour entre eux et à continuer à se battre pour un monde idéal.
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