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Intégration socioprofessionnelle : dans l’univers d’un photographe ivoirien vivant au Bénin
Témoignage
Intégration socioprofessionnelle : dans l’univers d’un photographe ivoirien vivant au Bénin
Ange Banouwin 🇧🇯
Ange Banouwin 🇧🇯
August 30, 2023

Parti de son pays de la Côte d’Ivoire, son pays d’origine, pour des raisons professionnelles, dans le tumulte de la crise politique de 2010-2011, Jacob Kossonou vit au Bénin depuis une douzaine d’années. Employé hier dans un laboratoire photo, il est aujourd’hui patron de son propre studio photo-vidéo dans le pays et s’intègre à la communauté béninoise. Dialogue Migration fait une immersion dans son univers  professionnel au Bénin, avec un focus sur son intégration et ses perspectives ainsi que son périple d’Abidjan à Cotonou durant la crise ivoirienne.


C’est à Aïdégnon, un quartier périphérique de Cotonou au rez-de-chaussée de l’immeuble Foundohou’’ que se situe le studio photo-vidéo de Jacob Kossonou. Le patron du Studio ‘’Etoiles du Monde’’, emploie une secrétaire de nationalité béninoise pour assurer la permanence dans son établissement. Il travaille également avec une équipe de collaborateurs béninois en cas de sollicitations pour des tournages. D’une demande à une autre de la clientèle environnante, Jacob a tissé des liens avec des connaissances de son actuel pays d’adoption qui lui permettent de faire tourner son entreprise ; et reste partagé entre des prestations privées et des contrats avec des structures de la place. 

Aujourd’hui, Jacob Kossonou se définit comme un professionnel ‘’tout-terrain’’ comme l’illustre le nom de son studio “Etoiles du Monde”.

« Je suis un photographe, je peux dire international ou bien photographe sans frontières », s’enorgueillit-t-il. Dans son environnement, il passe pour quelqu’un de sociable, et son voisinage ainsi que les usagers rencontrés dans son lieu de travail le trouvent bien intégré. « C’est quelqu’un de très sympathique. Si on ne vous dit pas qu’il est ivoirien, vous ne le saurez pas ; Seulement son accent pourrait peut-être le trahir. Sinon, ça fait des années qu’on vit ensemble ici. », témoigne Mathias Sogbossi, un de ses voisins. 

Un soir de mai 2023, à l’heure de la descente alors que Jacob était parti loin de son studio, l’un de ses voisins d’immeuble avait activé l’éclairage pour éviter de laisser les lieux dans l’obscurité puisque sa secrétaire était de repos. Un geste qui témoigne des relations fraternelles et humaines qu’il entretient avec son voisinage. 

Dans son quartier de résidence, situé non loin de son studio, même les enfants lui expriment proximité et attachement qui sont perceptibles à travers les échanges engagés dès son apparition.

Une intégration au fil des expériences

Après plus d’une décennie passée au Bénin d’où il est déjà reparti deux fois pour rendre visite à ses parents en Côte d’Ivoire, Jacob Kossonou a beaucoup appris de la culture béninoise et a apprécié des traits du mode de vie dans le pays. « On dit quand tu vas dans un pays où les gens marchent avec la tête, il faut marcher avec la tête », justifie Jacob s’exprimant sur son intégration. Alors qu’il était employé, il a dû travailler sur lui-même pour s’accommoder à ses collègues Béninois. Il se souvient de ses premiers dépaysements qui aujourd’hui sont de l’ordre des anecdotes pour lui. « Moi, quand j’étais arrivé, je ne comprenais pas le fon (ndlr-langue locale prédominante au sud du Bénin). Mais aujourd’hui, je comprends bien un peu. Quand je suis venu, j’ai vu les Zémidjan-men (ndlr-conducteurs de taxi moto) qui sont en jaune. J’ai dit, c’est quoi ça ? On m’a dit que c’est des mototaxis. Des trucs que je n’avais jamais vu auparavant en Côte d’ivoire », relate-t-il. Dès que Jacob a débuté le travail, il a commencé par acquérir du matériel à usage personnel, usuel dans son domaine qu’est la photographie. « Quand mon employeur avait revu à la baisse les conditions de mon contrat après quelques années, j’ai fait deux mois avant de partir. Mon premier lieu d’implantation était au cœur de Cotonou. Et petit à petit, je me suis lancé… », indique-t-il. C’est avec le déclenchement des opérations de libération des espaces publics par les autorités du pays en 2017 qu’il a quitté les lieux pour la périphérie de Cotonou où il est jusqu’à présent.

« J’avais demandé une permission de deux semaines pour aller à Abidjan, avant d’aller au village, et j’ai dépassé les délais. Quand je suis arrivé, ils ont dit qu’à partir d’aujourd’hui on ne va plus payer ta maison. Et le peu d’argent que j’avais sur moi, j’ai ouvert mon studio avec », narre-t-il au sujet des raisons de son départ de son précédent poste. Le laboratoire photo qui l’employait était en face de l’entrée secondaire d’un établissement scolaire privé de renom à Cotonou.  Un jour, il est allé manger dans un restaurant, un de ses clients qui l’a aperçu a payé sa commande sans qu’il ne le sache. Voulant régler sa facture, il l’en est informé, et lorsqu’il a voulu exprimer sa gratitude à son bienfaiteur que celui-ci  lui remettra encore dix mille francs CFA.  Un acte de générosité parmi tant d’autres que Jacob n’a pas oublié.  En tant qu’étranger au Bénin, il ne pouvait compter que sur ses revenus de fins du mois difficiles à l’époque. Il lui arrivait même d’avoir recours  à des avances sur salaire pour subvenir à ses besoins élémentaires. Et voici quelqu’un qui lui fait un geste. Lui qui n’avait aucune famille dans les environs.  « Il m’a dit qu’il aime les ivoiriens. Je ne sais pas trop s’il a vécu en Côte d’Ivoire, mais c’est un homme d’affaires », indique Jacob. « En dehors de ça, des gens me sont venus en aide plus que cela, mais cette expérience m’a marqué », avoue-t-il. « Moi, ce qui m’a fait grandir, ce n’est pas l’argent, ce sont mes relations », soutient  Jacob Kossonou.  

Le périple d’Abidjan à Cotonou

Jacob Kossonou a connu les affres de la crise de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, avant d’atterrir au Bénin. Il était à Abidjan et travaillait pour Sékongo Nagnéh, un photographe de renom (ndlr-Photographe de Laurent Gbagbo) qui avait des studios photos dans le pays. « A Abidjan, on avait deux studios, un à Septième tranche à Angré et un autre à la Pharmacie Nouveau quartier, dont  j’étais le gérant. De là, on m’a envoyé à Yamoussoukro du côté du Lac aux Caïmans en 2011 », raconte-t-il. Il y officiait en tant que photographe cadreur et faisait également les traitements d’image avec Photoshop. « Il y a eu le temps de la crise qui a mis sens dessous dessus le cours normal de la vie et j’ai dû regagner le village. J’étais là-bas quand m’a contacté mon employeur qui était à l’époque le DG de la Douane du Bénin. Il m’avait dit qu’il avait besoin d’un photographe professionnel. J’avais été recommandé par monsieur Lamine, un technicien sénégalais qui traitait nos matériels basés sur Kodak à Abidjan.  Sa structure avait une annexe au Bénin, et faisait la navette entre la Côte d’ivoire et le Bénin. C’est par lui que les matériels du studio où je devais venir travailler au Bénin ont été envoyés » indique-t-il.   

Jacob Kossonou se souvient comme si c’était hier, des conditions dans lesquelles il a regagné son village avant de rallier Cotonou. « Ma femme était à terme, et elle devait accoucher. On devait aller à l’hôpital et il n’y avait pas de voiture. C’était vers la fin de l’année 2010 et on ne savait pas comment gérer ça. J’ai appelé un ami mécanicien, qui nous a accompagnés, parce qu’à zéro heure, les voitures ne sortent pas. Il y avait le couvre-feu. Ma femme a accouché aux environs de quatre heures de mon deuxième enfant », raconte-t-il. 

En début d’année 2011, quand la situation a dégénéré à Abidjan, alors qu’il était en poste à Yamoussoukro, sa femme l’a appelé, Jacob est venu à Yopougon pour l’accompagner à Adjamé où étant, ils ont pris le bus pour leur village, Bondoukou. Jacob décrit des scènes d’hélicoptères et des gens qui couraient partout. « Il n’y avait pas de Gbaka (ndlr-bus de transport en commun à Abidjan). On a finalement fait le trajet à pied, quand on a trouvé le bus, je n’ai pas dormi à Abidjan. Je suis retourné pour aller à Yamoussoukro », relate-t-il. De retour à Yamoussoukro, d’où on entendait les tirs de mortiers, Jacob n’en pouvait plus et avait des maux de tête, car son petit frère était à Abidjan. « Je l’appelle et il me dit ça ne va pas. Quand tu sors, même pour prendre du pain, c’est pour faire des rangs et on marche sur des cadavres dans la rue », relate-t-il. Il restera à peine une semaine à Yamoussoukro avant de prendre la route pour son village. Son jeune frère, lui, a été coincé à Abidjan, plus d’issues pour sortir de la ville.  De ses allégations, lors du trajet pour son village, les étudiants, les policiers, militaires et gendarmes n’étaient pas les bienvenus au niveau des barrières érigées sur le corridor.  « Moi quand je partais, j’avais ma pièce d’identité. Quand on arrive aux postes de contrôle, ils soulèvent nos pantalons pour voir s’il y avait des traces de rangers. Le gars qui était à côté de moi, ils l’avaient trop fatigué. Il a dit qu’il était informaticien et qu’il portait parfois des bottes pour aller au champ. C’est quand il est arrivé à destination à Bongrou qu’il m’a dit qu’il était un officier », narre-t-il. Sur le corridor, c’est là où on s’attend le moins qu’on voit des barrières des hommes armés, soutient Jacob. Indiquant qu’ils demandent des présents ou de l’argent et il faut s’exécuter  pour ne pas être descendu du véhicule, ou les supplier pour vous laisser continuer le trajet au cas où vous n’en aviez pas. 

A la suite de son périple, Jacob Kossonou avait regagné son village Bondoukou qui est situé à l’Est de la Côte d’Ivoire, à la frontière avec le Ghana. Suite à son opportunité de venir travailler au Bénin, « J’ai pris des raccourcis. Je ne suis plus venu à Abidjan.  Vu ma situation, mon employeur m’a demandé de venir et une fois au Bénin, il va me payer. Je suis passé par Badoukro pour tomber à Domagnikro, qui est au Ghana et j’ai pris un bus de là en direction pour le Bénin », relate-t-il. 

Avec ses expériences, « Moi depuis la Côte d’Ivoire, je me disais que tout le monde est étranger. Aujourd’hui, celui qui est au Bénin peut se retrouver en Côte d’Ivoire ou en Europe. Il devient quoi ? Donc, on peut dire que tout le monde est étranger. Si on peut comprendre ça, ce serait bien », conseille Jacob. 

En perspectives, Jacob pense peut-être retourner dans son pays pour ses vieux jours après avoir fait des réalisations lui permettant de passer sa retraite à l’abri du besoin. 


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