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Masika, l’histoire d’une jeune survivante de Beni en RD Congo
Contribution
Masika, l’histoire d’une jeune survivante de Beni en RD Congo
Laetitia Kasongo 🇨🇩
Laetitia Kasongo 🇨🇩
October 18, 2023

Je m’en souviens comme si c’était hier. Ce mois et cette année m’accompagneront jusqu’à ma tombe. Il était 19h quand tout a basculé.  Nous étions assis comme une famille normale au salon pour dîner. Ce jour fut le dernier que j’ai vu mon père, ma mère, mes frères et sœurs. Aujourd’hui, même si ma vie a changé, le danger est  toujours dehors. 

Je m’appelle MASIKA (nom d’emprunt) je suis la cadette et la survivante dans ma famille. Je n’ai ni père, ni mère et encore moins des frères et sœurs. Vous êtes curieux de savoir pourquoi ? 

Eh bien, c’était un samedi 19 octobre 2019 à 19h. Nous partagions le repas du soir, quand soudainement nous entendîmes les bruits des bottes. A l’extérieur, un silence régnait. Le ciel se grisait de fumées, des maisons partaient en fumée. Une panique avait fait sortir les habitants de la cité dans des maisons, les gens couraient çà et là. J’étais avec ma sœur aînée. Nous avons pris la direction de la grande route qui malheureusement était débordée par des rebelles ADF/NALU. Enfin à l’ abri dans un logement insalubre, ma sœur caresse affectueusement ma chevelure dense. Trop souvent, les rebelles ADF sont anonymes. Ici, ils ont un visage. 

Même s’il fait noir, les éclats des maisons qui brulaient renvoyaient la lumière sur leurs visages. Quelques minutes plus tard, j’entendis la porte du logement se refermer. Ils sont là à l’intérieur. 

Des raclements de bottes sur le sol, la porte du placard s’ouvre. Terrée sous la nappe, j’ai cessé de respirer, je sens mes muscles se contracter, je me dis que si on me trouve, je meurs. D’un coup, je sens l’odeur de l’alcool et du chanvre. La porte du logement se referme, mais pas suffisamment. Je vois tout. Je vois l’homme devenir un animal. S’éloigner de sa conscience. Des siècles d’évolution, pour en arriver là. Je me sens sombrer dans mon trou, en pleurs, le visage dévasté. Je hurle en silence, tandis que mes ongles grattent la terre. Je sais que de l’autre côté de la porte ma sœur le supplie. Ils fêtent, ils rient, ils chantent en arabe tout en violant ma sœur. Ils étaient une dizaine d’hommes. J’ai entendu la voix de ma sœur, de la supplication, au hurlement, jusqu’aux cris, puis un silence. Elle est morte. Les rebelles, insensibles, s’en moquent. J’ignore combien de temps cette scène a duré. J’ai vu la nuit disparaître et réapparaître. Puis, le chaos a pris fin, sans prévenir, la tornade s’est soudain dissipée. Je me sentais déshydratée, affamée, Dieu seul sait combien d’heures après le massacre, les ADF (Forces démocratiques alliées) ont disparu. 

Quelques années plus tard, je me suis décidée à quitter la ville de Beni pour m’installer à Goma. J’habitais à l’époque dans une famille d’accueil. Un jour, une opportunité de formation à toquer à ma porte. C’était une formation en ligne sur l’entrepreneuriat. J’ai participé et j’ai trouvé un moyen de m’orienter autrement. Je suis passé au journalisme, un métier qui m’a ouvert beaucoup d’opportunités, même je n’y ai pas trouvé ce que je cherchais, à savoir avoir la possibilité de raconter mon histoire pour défendre les droits de l’homme.

Après plusieurs mois de recherches, je me suis rapprochée des associations féminines qui luttent pour la même cause, j’ai remarqué qu’il manquait le volet approfondi d’aide psychosocial. C’est comme ça que j’ai eu l’idée d’ouvrir un centre de prise en charge psychosocial pour apprendre aux femmes et hommes qui ont des histoires comme la mienne ou pire à quitter l’état de traumatisme vers une guérison parfaite. 

Oui, j’ai été forte, je n’avais pas assez de moyen pour prendre un psychologue, mais je me suis servie de l’internet pour sortir du placard. Chaque jour, je lisais au moins un livre, j’écoutais une chanson et je faisais du bricolage pour ma guérison. J’ai vaincu la situation malgré au fil des années. Aujourd’hui j’ai une grande équipe de psychologues qui s’occupe des patients. 

Chaque jour, nous consultons au moins une femme violée qui n’a plus d’espoir. C’est en changeant de localité que j’ai su qui j’étais et ce qui était en moi. J’invite la jeunesse à changer de milieux quand c’est nécessaire pour se créer des opportunités. N’attendez pas de vivre une expérience comme la mienne ou d’expérimenter le chômage pour vous décider à quitter votre zone de confort.


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