
La nouvelle est tombée comme un couperet. Le 4 juin 2025, le président américain Donald Trump a signé un décret interdisant l’entrée aux États-Unis aux ressortissants de douze pays, dont sept États africains. Il s’agit de l’Afghanistan, du Myanmar, du Tchad, de la République du Congo, de la Guinée équatoriale, de l’Érythrée, d’Haïti, de l’Iran, de la Libye, de la Somalie, du Soudan et du Yémen.
La décision visant le Tchad est motivée selon la Maison Blanche, par un « taux élevé de dépassement de durée de séjour, pour 2022 et 2023 », qui « est inacceptable et indique un mépris flagrant des lois américaines sur l’immigration ».
En 2017, le Tchad avait déjà été intégré à la liste des pays visés par le décret anti-migration de Donald Trump pour manquements à la sécurité et manque de coopération avec Washington. Une interdiction finalement levée en avril 2018.
Toutefois, depuis le 25 mars, la délivrance de visas américains aux ressortissants tchadiens a été suspendue pour une durée de 90 jours.
En réponse à cette nouvelle décision de Donald Trump, les autorités de N’Djamena ont annoncé une mesure de réciprocité. « Le Tchad n’a ni des avions à offrir, ni des milliards de dollars à donner, mais le Tchad a sa dignité et sa fierté », a écrit le président Mahamat Idriss Déby Itno sur sa page Facebook officielle.
Mais derrière ces déclarations politiques et les logiques de souveraineté, ce sont des individus, des familles et toute une jeunesse qui voient leurs perspectives bouleversées. Car l’impact est humain, profond et intime.
« J’avais obtenu une bourse, et maintenant tout est compromis »
Amina Mahamat, 23 ans, ne peut cacher son émotion. Titulaire d’une licence en économie à N’Djamena, elle attendait un dernier entretien pour finaliser l’obtention d’une bourse d’études pour un programme de spécialisation en politique du développement dans une université américaine. « Je suis à la dernière étape pour pouvoir procéder à la demande de visa, et là, tout s’écroule », confie-t-elle d’une voix tremblante. « Ce n’était pas juste un voyage. C’était mon avenir, c’était mon rêve. »
Comme Amina, plusieurs jeunes Tchadiens se voient brutalement stoppés dans leur élan. Beaucoup avaient misé toutes leurs économies, parfois même contracté des dettes pour entamer le processus d’obtention de visa ou suivre les cours préparatoires. Certains sont désormais dans l’impasse.
Le professeur Ahmat Mahamat Hassan, juriste et analyste politique, souligne l’inégalité de cette mesure : « C’est les citoyens tchadiens qui perdent le plus. Le Tchad n’est pas la destination préférée des Américains. Mais de nombreux Tchadiens se rendent aux États-Unis pour des perfectionnements ou des études. Cette décision brise une dynamique d’ouverture. »
Un climat international tendu
À Washington, l’exécutif américain justifie cette mesure par des motifs sécuritaires. Dans une vidéo postée sur X, Donald Trump cite une attaque récente survenue à Boulder, dans le Colorado, où un ressortissant égyptien en situation irrégulière a blessé 12 personnes lors d’une marche en soutien aux otages israéliens. « L’attaque terroriste a mis en évidence les dangers extrêmes que représentent pour notre pays l’entrée de ressortissants étrangers qui n’ont pas été correctement contrôlés », a-t-il déclaré. Il évoque également le cas des personnes « qui dépassent la durée de leur visa », insinuant une perte de contrôle sur les flux migratoires.
Dans cette ligne, les États-Unis reprochent aux autorités tchadiennes un taux élevé de dépassements de séjour. Le ministère tchadien des Affaires étrangères a réagi officiellement par communiqué le 11 juin, reconnaissant que ce facteur a été déterminant dans la décision américaine. « En valeur absolue, le total des personnes concernées s’élève à 454, tous types de visas confondus, selon les données de l’année 2022-2023 », indique le texte. Le ministère précise cependant que des efforts sont entrepris pour régulariser la délivrance de documents officiels et faciliter les échanges diplomatiques à venir.
Le document indique également qu’un groupe de travail conjoint a été mis en place pour discuter des moyens d’atténuer les effets de la mesure. Les deux pays ont convenu que les visas délivrés avant le 9 juin date d’entrée en vigueur du nouveau « Travel ban », ne seront pas annulés, que les fonctionnaires en mission pourront continuer à voyager et que les binationaux seront autorisés à entrer sur le territoire tchadien sous certaines conditions.
« On nous ferme la porte au nez »
Ngarassoum Edgard, enseignant à N’Djamena, avait économisé pendant trois ans pour offrir à son fils une opportunité d’études aux États-Unis. « Il avait décroché un stage de trois mois dans un laboratoire. On avait tout préparé. Et là, on nous ferme la porte au nez. Comment leur expliquer que ce n’est pas leur faute ? »
Le Pr Ahmat Mahamat Hassan insiste sur la nécessité pour le Tchad de mieux gérer l’émission de ses documents officiels : « Il faut que nous-mêmes fassions attention à la délivrance de nos documents. Quand des passeports tchadiens tombent entre de mauvaises mains, cela rejaillit sur toute la communauté. »
Une jeunesse prise au piège mais pas sans espoir
Alors que les échanges éducatifs et professionnels entre les États-Unis et plusieurs pays du Sud sont remis en question, les jeunes se sentent injustement pris pour cibles. Ils sont pourtant ceux qui, demain, bâtiront les ponts nécessaires entre les nations.
La Commission de l’Union africaine, dans une déclaration officielle, a appelé les États-Unis à « adopter une approche plus consultative » et s’est dite « préoccupée par le possible impact négatif de telles mesures sur les relations interpersonnelles, les échanges éducatifs, les échanges commerciaux et, plus largement, les relations diplomatiques soigneusement entretenues depuis des décennies ».
Amina Mahamat, malgré sa déception, refuse de renoncer à ses ambitions. « Si ce n’est pas les États-Unis, ce sera ailleurs. Mais un jour, j’apporterai quelque chose à mon pays. Ils ne pourront pas nous voler nos rêves. »