
Longtemps éclipsée par les routes migratoires maghrébines, la Mauritanie s’est imposée en 2024 comme le principal point de départ des migrants irréguliers vers l’Espagne. Ce basculement géographique, révélé par le rapport annuel sur la sécurité nationale espagnole publié le 22 mai 2025, traduit une reconfiguration profonde des dynamiques migratoires en Afrique de l’Ouest, portée par l’instabilité au Sahel et les nouvelles stratégies européennes de contrôle des frontières.
Selon les chiffres espagnols, plus de 25 000 migrants sont partis de Mauritanie en 2024, un chiffre supérieur aux départs combinés depuis le Maroc et l’Algérie. Cette dynamique a contribué à un record absolu de 61 372 arrivées par voie maritime en Espagne, en hausse de 10,3 % par rapport à 2023. En tête des pays d’origine : le Mali, avec une flambée de 543 % des arrivées, suivi du Sénégal, de l’Algérie et du Maroc.
Ce changement de cap s’explique en partie par l’aggravation des crises dans le Sahel, notamment au Mali. Résultat : la route atlantique via la Mauritanie est devenue, malgré sa dangerosité, une échappatoire majeure pour des milliers de jeunes en quête d’un avenir en Europe.
Une route de l’exil toujours plus mortelle
Cette route vers les Canaries n’est pas sans coût humain. En 2024, plus de 500 corps de migrants ont été repêchés au large des côtes mauritaniennes. Depuis janvier 2025, déjà plus de 100 décès ont été recensés, confirmant que l’Atlantique reste l’un des passages migratoires les plus meurtriers au monde.
Ce drame humain survient alors que la Mauritanie renforce considérablement son arsenal sécuritaire. Entre janvier et avril 2025, plus de 30 000 migrants ont été interceptés, et 88 réseaux de passeurs démantelés, selon les autorités mauritaniennes. Des barrages routiers aux descentes dans les quartiers populaires, les contrôles migratoires se sont multipliés.
Nouakchott rejette le rôle de “garde-frontière” de l’Europe
Face aux critiques croissantes d’ONG et d’acteurs internationaux, la Mauritanie tient à faire entendre sa propre voix. Dans une tribune publiée dans Le Monde, le ministre mauritanien des Affaires étrangères, Mohamed Salem Ould Merzoug, rappelle que son pays « n’est pas le garde-frontière de l’Europe », et que sa politique migratoire répond d’abord à des enjeux de sécurité nationale et de souveraineté.
Un partenariat renforcé avec l’UE pour freiner les départs
Cette position s’inscrit dans un contexte de coopération renforcée avec l’Union européenne, actée par un accord signé en mars 2024. Celui-ci prévoit 210 millions d’euros d’aide européenne, la construction de centres de rétention, et le soutien aux forces de sécurité mauritaniennes. Objectif : endiguer les départs.
Les premiers résultats sont visibles : entre janvier et avril 2025, les arrivées en Espagne ont chuté de 33,8 % par rapport à la même période l’an dernier. Mais derrière cette baisse statistique se cache une autre réalité : un verrouillage croissant des frontières qui pousse les candidats à l’exil à emprunter des routes toujours plus périlleuses.
Vers une gouvernance concertée des migrations ?
Dans sa tribune, Ould Merzoug plaide pour une responsabilité partagée face aux défis migratoires. Il appelle à un partenariat avec l’Europe « fondé sur la confiance, l’écoute et la solidarité », axé non pas sur la peur des arrivées, mais sur des solutions durables : emploi des jeunes, développement local et investissements dans les zones de départ.
Le ministre mauritanien invite également les États d’Afrique de l’Ouest à harmoniser leurs politiques migratoires et à mutualiser leurs efforts sécuritaires. « Aucun pays ne peut répondre seul à ces défis », affirme-t-il, insistant sur la nécessité d’une gouvernance régionale de la migration.
Changer de regard sur la migration
« La migration ne doit pas être perçue uniquement comme un problème à contenir, mais aussi comme un levier de développement, de mobilité professionnelle et d’intégration régionale », conclut le chef de la diplomatie mauritanienne. Une vision ambitieuse, mais encore éloignée de la réalité sur le terrain, où les contrôles, les expulsions et les drames en mer continuent de rythmer le quotidien des exilés.
Alors que l’Europe cherche à externaliser toujours plus sa politique migratoire, la Mauritanie se retrouve au centre d’une équation complexe, entre coopération sécuritaire et exigences humanitaires. Reste à savoir si cette double posture de rempart et de refuge peut être tenue sans compromettre les droits fondamentaux des migrants.