Dans son livre “De si longues nuits: La solitude des épouses d’émigrés en Afrique de l’Ouest”, Aurélie Fontaine essaye de déconstruire le narratif autour du phénomène migratoire. La journaliste part du constat selon lequel en Afrique de l’Ouest, en Europe, on parle souvent de ceux qui tentent d’atteindre les côtes européennes, de ceux qui réussissent et de ceux qui, tragiquement, meurent sur le chemin. Et dans cet ouvrage, elle a préféré mettre le curseur sur les oubliés du phénomène et particulièrement sur les épouses des émigrés, celles qui restent au pays, qui attendent. Elle raconte leur solitude, leur rêve d’argent envolé, et la maltraitance morale, parfois physique qu’elles vivent. Non sans attirer l’attention sur le fait qu’après avoir attendu de longues années, certaines parviennent à se délier d’un mariage et des longues nuits dont elles ne veulent plus.
Présentez-vous brièvement à nos lecteurs?
Je suis journaliste et j’ai travaillé en tant que correspondant pour de nombreux médias francophones pendant dix (10) ans dans différents pays africains dont le Sénégal où j’ai vécu pendant cinq ans. C’est d’ailleurs au pays de la Teranga que j’ai commencé à écrire ce livre.
En tant que journaliste, j’ai eu à collaborer avec France 2, BBC Afrique, RFI, Jeune Afrique, Ouest France, le Point Afrique, la Radio et Télé Suisse (RTS), la Radio télévision belge (RTBF), Medi1 qui est la radio francophone marocaine.
Je suis de retour en France, en Bretagne dans le Finistère plus précisément depuis deux ans et demi maintenant.
D’où vous est venu l’idée d’écrire l’ ouvrage: “De si longues nuits – La solitude des épouses d’émigrés en Afrique de l’Ouest” ?
Quand j’étais au Sénégal, j’avais lu le roman policier “Hivernage” de la Franco-sénégalaise, Laurence Gavron. Dans cet ouvrage, il y avait un petit paragraphe sur les épouses d’immigrés. Et l’auteure évoquait la solitude qu’elles vivaient.
Je me suis dit que c’est dingue parce que cela faisait deux ans que je vivais au Sénégal et que je n’avais pas entendu parler de la question. C’était à l’époque où il y avait beaucoup de jeunes hommes qui quittaient les côtes sénégalaises en pirogue. Et ça, on en parlait beaucoup sans se poser la question de ceux ou celles en particulier qui restent. Je n’avais jamais lu ou entendu parler de cette question et je m’y suis intéressée.
Les femmes d’émigrés se confessent rarement dans des livres. Comment êtes-vous arrivé à les convaincre et les faire sortir de leur réserve ?
Ce n’est pas propre aux épouses des émigrés. Pour n’importe qui, c’est difficile de se confier sur ses histoires ou expériences personnelles à des gens qu’on ne connaît pas en l’occurrence des journalistes. Il faut gagner la confiance des personnes. Avec la photographe Laeïla Adjovi, on a rencontré des femmes au Sénégal à Louga, en Côte d’Ivoire à Abidjan et au Burkina Faso à Béguédo. Et c’est essentiellement au Sénégal qu’on a dû prendre plus de temps pour rencontrer des femmes. On les a réunis ensemble. On leur a présenté le projet en les rassurant sur le fait qu’elles ne sont pas enregistrées. Pour les images, la photographe faisait de sorte qu’on ne voit pas leur visage.
Et une fois qu’on a commencé à poser des questions brutes, factuelles, des questions sur les émotions et les sentiments; elles se livraient très facilement. Cela leur faisait du bien de parler de leurs histoires en sachant que leur anonymat sera respecté et qu’elles n’allaient pas être pointées du doigt. Donc, elles racontent leurs histoires personnelles mais aussi celles de centaines de milliers d’épouses d’immigrés. Elles sont ainsi un peu dépossédées de leurs histoires dans le sens qu’elles restent anonymes. Et cela fait du bien tout simplement. Surtout qu’elles sont restées toutes ces années à garder cela en elles tout en essayant de garder la tête haute et de sauver la face par rapport à l’entourage. En effet, il y a d’énormes désillusions de se rendre compte que ce n’est pas le rêve qu’on leur avait vendu notamment sur l’argent. Financièrement parlant, au final, c’est faux. Cela existe mais pour un nombre très restreint de femmes et de familles.
Est-ce qu’il y a une anecdote qui vous a particulièrement marqué ?
Je dirais une situation où c’était très compliqué de rencontrer une femme à Louga qui voulait se séparer de son mari qu’elle n’avait pas revu depuis des années. Son mariage était arrangé. Et comme elle avait un amoureux depuis longtemps et elle voulait rester avec lui. Ainsi, pour que sa belle famille ne sache pas qu’elle nous parle, nous avions pris rendez-vous avec elle chez une de ses amies et nous avions échangé pendant trente minutes. Pas plus! J’ai trouvé ça dingue qu’elle ait dû se soustraire aux yeux des autres pour raconter sa propre histoire.
Vous êtes allés recueillir des témoignages dans plusieurs pays. Y a-t-il une spécificité d’un pays à l’autre?
Au Sénégal et au Burkina, on n’a pas trouvé trop de différences. Au Burkina par exemple, on est allé à Beguedo, une petite ville du centre est du pays. En fait, dans les années 1970, il y a avait beaucoup d’entrepreneurs italiens dans cette région. Et quand ils sont rentrés en Italie, ils ont proposé aux hommes Burkinabé de ce petit coin-là de les suivre en Italie pour travailler. A l’époque, il n’y avait pas de problèmes pour obtenir un visa. Ces “Burkinabé italiens”, comme on les appelle, ont à leur tour fait venir leurs proches et petit à petit la communauté s’est agrandie en Italie. A Beguedo aujourd’hui, il y a énormément d’immigrés. Et donc, il y a beaucoup de femmes qui vivent sans leurs maris.
En Côte d’Ivoire et particulièrement à Abidjan, le contexte est totalement différent parce que c’est une grande ville d’Afrique de l’ouest où le profil des femmes est différent. Elles sont en grande partie de la classe moyenne. Or, à Beguedo au Burkina et à Louga au Sénégal, c’était plutôt des femmes de classes populaires qui étaient dans des situations de pauvreté.
A Abidjan, c’est la classe moyenne ou la classe CSP+, des femmes qui avaient fait des études. Et là, on voulait montrer que ce n’était pas seulement un attachement financier mais qu’aussi se marier à un immigré est une question de statut social. Parce que ces femmes-là étaient plus ou moins indépendantes financièrement. Même si certaines d’entre elles ont aidé leurs copains ou leurs époux pour financer le voyage, etc., c’était certes une considération financière de pouvoir avoir plus d’argent pour la santé et l’éducation des enfants, une vie meilleure tout simplement; mais aussi une question de statut social.
Vous semblez sortir l’aspect triste et malheureux de la migration chez ces femmes. Est-ce que vous faites ressortir également l’autre face joyeuse de la femme d’immigré en Afrique d ’Ouest?
On fait ressortir en tout cas de l’espoir. Parce qu’elles ont toujours l’espoir qu’une situation meilleure va arriver malgré les années. Et puis aussi, j’avais rencontré des lycéennes et des collégiennes à Louga qui expliquaient qu’elles voyaient bien leurs grandes sœurs, leurs tantes, leurs grandes cousines épouser des immigrés et qu’au final cela ne leur rapportait pas grand chose de bon. Si ce n’est pas beaucoup de solitude, beaucoup de désespoir, beaucoup de tristesse. Elles disaient qu’elles ne voulaient pas compter sur des hommes pour subvenir aux besoins de la famille.
La migration est de nos jours dépeinte comme un mal avec des récits souvent sensationnels et déshumanisants. Est-ce qu’il ne faudrait pas déconstruire ce narratif et montrer les côtés gais du phénomène?
Je pense que c’est aux journalistes d’en parler. Il est vrai que ce constat est bien réel et qu’on peut le lire et le voir dans les médias. Mais c’est effectivement aux journalistes de prendre cette question à bras le corps.
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