Du 02 au 07 juillet 2023, environ 700 migrants subsahariens ont été expulsés massivement par les autorités tunisiennes de la ville balnéaire de Sfax. Ces migrants dont parmi eux des femmes et des enfants, ont été conduits à la frontière tuniso-libyenne puis laissés à eux-même en plein désert sans eau ou nourriture.
Dans cet article, Dialogue Migration a recueilli les analyses de l’universitaire Issa Yonlihinza, également spécialiste des questions migratoires au GERMES (Groupe de recherche) à l’université Abdou Moumouni de Niamey et celui de Sophia Anne membre de l’ONG Alarm Phone Méditerranée.
De la situation des migrants expulsés de Sfax vers la frontière entre la Tunisie et la libye
Dans une vidéo partagée par Humain Rigth Watch sur son site et sa page Youtube, on voit des femmes, des enfants et des jeunes hommes assis en plein désert, laissés à eux-mêmes. Cette situation est consécutive aux opérations d’expulsion massive menées par les autorités de la ville de Sfax. Ces migrants subsahariens sont expulsés qu’ils soient en situation régulière ou non et “sans aucun respect des procédures légales” déplore Human Rigth Watch.
L’organisation internationale qui milite pour les droits de l’Homme Humain Rigth Watch a interpellé les autorités tunisiennes à mettre fin aux expulsions collectives et permettre d’urgence un accès humanitaire aux migrants et aux demandeurs d’asile africains déjà expulsés vers une zone dangereuse (…). “Non seulement il est inadmissible de maltraiter des personnes et de les abandonner dans le désert, mais en plus, les expulsions collectives sont contraires au droit international” s’insurge l’ONG.
Pire, selon Alarm Phone Méditerranée est un réseau de militantes qui a pour objectif de soutenir la mobilité des personnes traversant la Méditerranée, , des migrants ont dû marcher à pied pour rejoindre des villages, puis mis aux arrêts. “Des personnes ont marché plusieurs dizaines de kilomètres pour rejoindre des villages avant d’être à nouveau arrêtées et déportées. A chaque instant qui passe, la situation des migrant.e.s expulsé.e.s se dégrade et chaque jour le bilan s’alourdit.” déplore Sophia Anne, membre du réseau Alarm Phone.
Quelle justification pour ces expulsions massives ?
Selon Human Right Watch, les expulsions des migrants par les autorités tunisiennes ont débuté dès le 02 juillet 2023. Elles ont expulsé environ 500 à 700 personnes de la ville de Sfax.
Tout est parti selon les témoignages d’une bagarre entre un jeune camerounais et un autre tunisien qui a entraîné la mort de ce dernier. Analysant la situation, le Docteur Issa Yonlihinza, spécialiste des questions migratoires au GERMES, affirme que “les autorités tunisiennes ont profité de cette situation pour cacher leurs incapacités de répondre ou de relever les défis auxquels elles font face”.
“Aussi, poursuit-il, la migration était avant bien accueillie en Libye et Algérie. La migration a aussi développé des activités dans les zones peu peuplées. À chaque fois que les États ont des problèmes internes, le migrants devient le bouc émissaire et le politique dresse les citoyens contre les migrants”.
L’instabilité politique de la Tunisie constitue un blocage pour le Président Kais Saied. Il (Kais Saied) a dissous le Parlement et le gouvernement en juillet 2021, et il a depuis gouverné par décret. Saied a justifié ses actions par le besoin de lutter contre la corruption et l’inefficacité du gouvernement, mais la classe politique tunisienne l’accusent d’avoir établi un régime autoritaire.
Selon l’universitaire Yonlihinza, la Tunisie, pays instable politiquement, agit au nom des États européens: “L’État tunisien a agi sous la pression des pays européens, plus précisément de l’Italie” affirme Docteur Yonlihinza.
Selon lui les pays européens, “dans le cadre de l’externalisation de leurs frontières depuis l’effondrement de l’État libyen, ont poussé les pays africains à mettre en place des politiques nationales pour réguler le flux de la migration”. Le rôle de la Tunisie dans ce ballet a été retardé par les différents mouvements d’instabilités politiques qu’a connu la Tunisie.
Difficile de donner le nombre précis de migrants
Selon Alarm Phone Méditerranée, il est difficile de donner le nombre exact de migrants qui ont été expulsés. “Nous avons été contactés par des groupes de plusieurs centaines de personnes, aussi bien à la frontière libyenne, qu’à la frontière algérienne, mais nous savons que ces chiffres ne sont pas représentatifs de la réalité. Beaucoup d’organisations de la société civile et de citoyen.ne.s solidaires sont en contact avec d’autres groupes”, précise-t-il.
Par ailleurs, pour un membre de l’organisation, beaucoup de personnes rapportent que leur téléphone avait été cassé par les autorités tunisiennes lors de leurs arrestations. “On peut donc imaginer qu’il existe des centaines d’autres personnes dans le désert, avec lesquelles tout contact est impossible.” affirme Sophia Anne. Cependant, Alarm Phone Méditerranée attire l’attention sur les chiffres qui sont donnés par les autorités tunisiennes. “Il faut se méfier des chiffres fournis par les autorités, prévient-il.
Le 5 juillet 2023, Moez Barkallah (député élu de la ville de Sfax ) avait déclaré ,dans l’émission Midi Show, que depuis le premier jour de la fête de l’Aïd El Idha, près de 1000 personnes étaient déportées par jour. Les autorités tunisiennes ont intérêt à gonfler les chiffres de ces déportations pour gagner l’adhésion d’une partie de la population, mais aussi, pour montrer aux pays européens qu’elles prennent au sérieux le rôle de garde-frontières que l’Union européenne leur a assigné.”
L’accès difficile aux migrants pour les organisations humanitaires
Depuis les débuts de l’opération d’expulsion des migrants de la Tunisie, les humanitaires peinent à avoir accès aux sites où les migrants sont refoulés. “Nous nous sentons complètement démunies. Nous recevons des appels de détresse de personnes complètement déshydratées, qui craignent pour leur vie, qui n’ont nulle part où aller ou encore qui sont prises entre les tirs croisés des autorités tunisiennes et libyennes ou algériennes. Les zones frontalières où se trouvent ces personnes sont des zones militaires dont l’accès est strictement interdit et la solidarité citoyenne est donc très difficile, voire impossible à mettre en œuvre. Pourtant, cette solidarité locale ne manque pas ! Beaucoup de personnes souhaitent aider mais ne le peuvent pas, en raison de l’inaccessibilité des personnes et de la criminalisation de toute forme de solidarité avec les migrant (es). La situation est trop grave pour que nous baissions les bras. Aux côtés de la société civile tunisienne, nous continuerons à répondre aux appels de détresse jusqu’à ce que toutes les personnes soient ramenées en lieu sûr et leurs droits respectés. Nous continuerons à dénoncer ces pratiques inhumaines et le durcissement des politiques d’externalisation des frontières en Tunisie.” Conclut Sophia Anne.
Les migrants subsahariens ont vu leurs situations se dégrader avec le discours du Président tunisien Kais Saied. un discours raciste tenu le 21 février 2023. Des propos qui ont été rapidement condamnés par l’Union Africaine et les organisations internationales de défense des droits de l’Homme.
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