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Sénégal : la santé mentale négligée des migrants de retour, une bombe sociale en retardement
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Sénégal : la santé mentale négligée des migrants de retour, une bombe sociale en retardement
Ayoba Faye 🇸🇳
Ayoba Faye 🇸🇳
August 04, 2023

Les Nations Unies estiment à 281 millions le nombre de migrants internationaux dans le monde en 2020, ce qui représente 3,6 % de la population mondiale. Mais ce n’est pas toujours facile pour les uns et les autres de quitter leur terre d’origine pour rallier, pour une raison ou une autre, une terre d’accueil. Les voyages des candidats à la migration peuvent parfois se solder par une issue dangereuse, voire mortelle, qui est souvent liée à divers facteurs sociaux, politiques, économiques, environnementaux et stratégiques pouvant avoir un impact profond sur la façon dont le voyage de migration est entrepris. Le monde n’a pas encore oublié la tragédie de Lampedusa en 2013, au cours de laquelle pas moins de 360 personnes ont perdu la vie.

Dans un document mis en ligne le 31 août 2021, les Nations Unies indiquent que les migrants et les réfugiés peuvent être exposés à divers facteurs de stress qui nuisent à leur santé mentale et à leur bien-être avant et pendant leur parcours migratoire et pendant leur installation et leur intégration. 

Aussi, ajoute l’organisation internationale, « de nombreux migrants et réfugiés n’ont pas accès aux services de santé mentale ou se heurtent à des obstacles pour en bénéficier. Ils sont également pénalisés par des perturbations dans la continuité des soins ».

Le poids du départ et de l’éloignement de la terre d’origine

Pour aborder le problème de la santé mentale des migrants, en particulier ceux qui partent dans des conditions irrégulières, Dialogue Migration est entré en contact avec des professionnels dans le domaine de la psychologie et de la psychiatrie. Le Docteur Léopold Gaston Boissy, qui sert à l’hôpital psychiatrique de Thiaroye (banlieue dakaroise) commence d’abord par diagnostiquer l’état psychologique du candidat à la migration. « L’état psychologique du migrant dépend des motivations premières du voyage et des phantasmes projetés sur la destination, mais surtout des réalisations futures. Si ce dernier est convaincu de son choix, il tiendra aussi dur que sera le chemin, mais à défaut le découragement sera au rendez-vous. C’est aussi la somme des épreuves endurées qui forgeront son mental. Il passera par des phases d’angoisse, de découragement, mais aussi d’espoir surtout à l’approche ou à l’arrivée à la destination », a indiqué le psychiatre.

Qui ajoute qu’après une désillusion en terre d’accueil, les conséquences sur la santé mentale des migrants peuvent être désastreuses. « Les symptômes passeront de la tristesse à la solitude, voire le regret quand il se rendra compte que ce n’est pas l’Eldorado rêvé. Il passera par des phases de dépression masquée avec plaintes somatiques multiples telles insomnies, douleurs multiples, dégoût, Syndrome de mal partout », affirme le Dr Boissy.

Son collègue psychologue, Serigne Mor Mbaye va plus loin. Lui qui a été copté par les autorités espagnoles pour le suivi psychologique et qui a fait plusieurs fois le déplacement dans les Îles espagnoles où échouent souvent les candidats à la migration irrégulière. « J’ai séjourné plus de trois fois dans les Îles Canaris, à Las Palmas et Tenerife où le gouvernement espagnol m’avait demandé de former des prestataires, assistants sociaux et éducateurs spécialisés qui sont chargés d’accueillir les migrants. Parce que ces dirigeants s’étaient rendus compte que les gens qui arrivent présentent des tableaux assez compliqués du point de vue de la santé mentale, des situation de stress post-traumatiques dues aux difficultés du voyage », raconte le psychologue sénégalais.

Avant de poursuivre: «  Parce que bien souvent il y a du stress avant le départ, pendant le voyage et à l’arrivée. Le stress de départ, c’est toute l’angoisse de devoir aller à un endroit. Pour la plupart, ils n’ont jamais voyagé dans ces conditions (pirogues). Lorsqu’il s’y rajoute les multiples naufrages, la promiscuité extrême, la maladie, les grandes chaleurs, le manque de nourriture, ils sont souvent plongés dans une position délirante, agités. Ceux qui survivent à ces écueils arrivent souvent avec des postures de traumatisme, d’angoisse et d’anxiété »



L’impact de l’hostilité et du mal de la terre d’accueil
Une fois sur la terre d’accueil, les candidats à la migration sont souvent confrontés à une autre réalité à laquelle ils ne sont pas forcément préparés. « Ils arrivent souvent au pays d’accueil avec leur traumatisme et leur fragilité. Et il y a bien souvent une déception qui s’en suit si les perspectives ne sont pas bonnes. Les perspectives sont parfois l’embrigadement dans des bâtiments fermés avec comme perspectives le retour. Ils n’ont aucune maîtrise de l’espace de la terre d’accueil. Cela rajoute à leur angoisse et stress. Ainsi, leur adaptation dans leur pays d’accueil pose problème », explique le Docteur Serigne Mor Mbaye.

Il ajoute que les migrants, surtout irréguliers, qui n’ont pas de suivi psychologique sont assaillis par des symptômes post-traumatiques, de grande angoisse et de réminiscence permanente de ce qu’ils ont vécu. « D’ailleurs, c’est pourquoi les gouvernements de ces pays d’accueil m’ont sollicité pour venir former des gens. Dans la formation, il y a une dimension culturelle. Parce quand un migrant crie “Bamba Bamba” ou les “deums (en wolof, êtres maléfiques surnaturels)” veulent me manger etc., ça les Espagnols ne peuvent pas décrypter. Il a fallu que je les explique les entités méso cosmiques, le système de représentation du monde que ces migrants ont. De quoi il s’agit quand ils évoquent certaines réalités. Lorsqu’une personne est délirante, le contenu de son délire est culturel », a-t-il raconté à Dialogue Migration.

L’absence de suivi psychologique au retour, une bombe en retardement
Si le Docteur Boissy affirme que « le non-suivi des migrants qui ont vécu des épreuves le long de leurs parcours migratoire a des conséquences sur leur vécu ultérieur. Avec des actes ratés ponctués de reviviscence et nervosité surtout quand des conflits surviennent avec les familles d’origine qui ne sont pas au courant », con collègue Serigne Mor Mbaye va beaucoup plus loin. Il soutient mordicus que les migrants de retour souffrent souvent de traumatismes qui peuvent les pousser à la radicalisation, si rien n’est fait pour les prendre en charge mentalement.

« Le plus dangereux, c’est que les pays d’origine ne font rien lorsque ces gens reviennent. C’est un danger pire que les Jihadistes et les forces occultes dont ils parlent (il fait référence aux récentes émeutes au Sénégal que le gouvernement attribue à des forces occultes). Parce que lorsque je leur parle sur place dans ces Îles, ce qu’ils me confient, c’est que s’ils retournent au pays, ils vont tout brûler et que tout le monde soit au même pied d’égalité. Dans les pays d’accueil, ils font ce qu’ils peuvent pour connaître nos catégories imaginaires et pouvoir lire les syndromes post-traumatiques des migrants », explique le psychologue.

L’impact psychologique de l’échec des candidats à la migration sur les femmes et les solutions préconisées

Ce n’est pas seulement le candidat à la migration qui souffre de l’échec de son aventure. À son retour, il contamine son mal-être à sa maman, qui le plus souvent est celle qui a financé son départ. « J’ai fait les sites de départ sénégalais, Kayar, Mbour, Kafountine, Guet Ndar, Touba Dialaw pour demander aux communautés si elles perçoivent des changements chez les migrants de retour. Ces communautés m’ont dit que ces gens sont dans un sentiment de désespoir. J’ai pu constater que ces retours sont l’échec des femmes. Parce que le plus souvent, ce sont les mères qui collectent l’argent de tontines ou des gains marchands pour le donner à leurs aînés pour aller en Europe et réussir socialement. Donc lorsque les enfants échouent, les mères s’installent dans un état psychologique fragile. Le suivi psychologique doit être étendu aux mères qui sont souvent financières du projet de départ », a renseigné le Docteur Mbaye.

Ce qu’il propose pour ramener ces jeunes à la vie sociale, c’est de les prendre en charge sur le plan mental. « J’ai pour projet d’installer des kiosques dans les sites de départ et mettre en place des équipes qui reçoivent s’occupent de la santé mentale des candidats de retour avant qu’ils ne tombent dans la maladie mentale. Mais également un observatoire mobile qui fait le tour des sites de départ pour parler aux gens », dit-il.

Le psychologue de conclure pour mettre en garde : « C’est capital de faire ça parce qu’on est en train d’accumuler énormément de jeunes qui reviennent avec leur traumatisme et symptômes post-traumatiques, qui deviennent menaçants pour leurs communautés familiales, mais aussi pour la société. Ces jeunes qui reviennent au pays après une aventure migratoire qui a avorté, si on ne s’occupe pas d’eux, ils peuvent enrôler par n’importe qui y compris les terroristes »


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