De 1991 à 2002, la guerre civile qui a éclaté en Sierra Léone a fait au moins 120 000 morts (200 000 morts selon la CIA), des milliers de personnes mutilées (amputation des mains pour les empêcher de travailler et surtout de voter) et plus de 2,5 millions de personnes déplacées. Elle a détruit des familles, déstabilisé tout un pays, installé le vide et laissé un traumatisme éternel chez les personnes qu’elle a directement impactées, selon L’IRIN, un service du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies. La guerre est dégueulasse !
Dans cet enfer, a vécu Mariama Konté jusqu’à l’âge de 10 ans, née d’un père sénégalais et d’une mère sierra-léonaise, en 1990 dans la banlieue chic de Freetown. Sa vie (ainsi que celle de toute sa famille) a basculé en 1999, quand son père, un riche diamantaire, est capturé lors d’un voyage d’affaires à l’est du pays, en plein conflit et tué par les rebelles.
« Le diamant m’a volé mon enfance et mon père »
Notre interlocutrice qui vit aujourd’hui dans la commune de Mboro, à 100 kilomètres de Dakar, avec son mari et ses trois enfants, a désigné son coupable. Et figurez-vous que chaque individu aimerait accueillir ce dernier dans son foyer. « Le diamant m’a volé mon enfance et mon père. Le diamant, ce n’est pas bien », confie cette désormais mère au foyer, qu’on a trouvée en train de préparer le repas du soir.
En effet, les mines de diamant de la Sierra Léone sont à l’origine de la guerre civile qui a duré plus de 10 ans dans ce pays. Selon le Tribunal international militaire de Nuremberg, qui l’a reconnu coupable et condamné, Charles Taylor est le principal responsable de la guerre civile de Sierra Leone. L’ancien Président libérien, qui désirait étendre sa domination aux riches provinces diamantifères de Sierra Leone, a toujours soutenu, militairement, économiquement et politiquement, le RUF de Foday Sankoh.
Pour en revenir à notre sujet, il a fallu des conciliabules de plusieurs semaines pour convaincre Mariama de nous replonger dans cet épisode sombre de son histoire. La raconter, c’est pour elle, accepter de revivre le cauchemar de la disparition de son père et du basculement de sa famille dans l’insécurité absolue et la précarité. « Je n’arrive toujours pas à faire le deuil de mon père. Pour ça, il faut que je sache d’abord comment il est mort. J’étais si jeune à l’époque. Mon père, Ousseynou Konté et un de ses amis et partenaires se dirigeaient vers la Province de Kono (Est de Sierra Léone) à la recherche de diamants, quand ils ont été interceptés par les rebelles qui se dirigeaient vers la capitale, Freetown, où ils avaient prévu de tuer tout le monde », raconte Mariama.
Pour un petit rappel historique, en fin 1998, alors que la Sierra Léone est en pleine guerre civile, une offensive massive permet aux rebelles du RUF (sigle en anglais, Front Révolutionnaire Uni) et de l’AFRC (sigle en anglais, Conseil des Forces Révolutionnaires Armées) d’occuper pendant 3 semaines, en janvier 1999, la capitale Freetown. Durant ces 3 semaines, Freetown est mise à feu et à sang lors de l’opération No Living thing (en français, « plus rien de vivant »). Ce, après la condamnation à mort de leur chef historique, Fodey Sankoh. Le résultat est dramatique, plus de 6 000 morts seront recensés et des dizaines de milliers de personnes quittent la capitale comme elles le peuvent.
« Comment mon frère a risqué sa vie en débarquant d’Italie pour nous sauver »
Mariama, sa maman Diankey Grewou, ses deux frères et sœurs, vécurent les journées les plus longues et les plus sombres de leur vie dans ce sauve-qui-peut général. Surtout après la nouvelle du décès du père de famille. « Il n’y avait plus personne pour nous protéger. Dehors, c’était le chaos. Les écoles et les commerces étaient tous fermés. On ne pouvait pas tenir plus de deux semaines dans notre luxueux domicile. Les brigands, profitant de la situation, ciblaient les quartiers résidentiels pour commettre vols avec assassinat », raconte notre interlocutrice qui ajoute : « c’est dans ces circonstances que mon grand frère, Ibrahima, a débarqué d’Italie en urgence pour nous sortir du pays. Je me rappelle encore de ses larmes quand ma mère lui a raconté dans le véhicule qui nous menait vers la Gambie comment papa a été tué par les rebelles. C’est à mon frère qu’on doit notre survie. Le diamant, c’est mauvais ».
Sur la mort de son père, Mariama de révéler : « ça ressemble à une légende, mais maman croit fermement à cette histoire rapportée par un de mes oncles qui était parti rechercher la dépouille de mon père. Selon lui, devant l’impossibilité de transpercer son corps de balles, à cause d’un blindage mystique, les rebelles l’ont enfermé dans son véhicule avec son ami avant d’y mettre le feu ».
Mariama ne se rappelle plus trop comment son frère est parvenu, en janvier 1999, à les sortir de l’enfer de Freetown pour les déposer à Banjul où résidaient certains membres de sa lignée maternelle. Mais elle se souvient qu’un mois après leur arrivée, sa maman l’a transportée à Dakar (Sénégal) pour la confier à sa tante paternelle qui réside au quartier Petit Mbao avant de repartir en Gambie. Elle vivait sa neuvième année.
La reconstruction d’une vie
On ne se relève pas d’une enfance tragique marquée par la guerre, le chaos et la perte d’êtres chers dans des circonstances aussi dures que celles dans lesquelles le père de Mariama Konté est parti. Mais la réalité inhérente à toute tragédie est qu’il y a des êtres qu’elle sépare et d’autres qu’elle rapproche et unit. Après deux ans passés chez sa tante à Petit Mbao (périphérie Dakar), elle a été convoyée auprès d’une autre tante à la Médina (près du centre-ville de Dakar) pour poursuivre ses études dans un collège de la capitale. « Ce n’était pas facile pour moi de tout reprendre à zéro. De passer de l’opulence de mon
quartier résidentiel de Freetown à une vie dans une famille nombreuse au revenu modeste. Mais, malgré mon jeune âge, je savais l’enfer d’où je venais fraîchement. Je me suis alors adaptée », dit-elle.
Avant d’expliquer pourquoi elle a arrêté l’école : « L’adaptation à la vie de famille était une chose. Mais continuer les études dans un tout nouveau système basé sur la langue française en était une autre. J’avais commencé avec le système anglophone au Sierra Léone et c’était un peu compliqué pour moi. Et puis les moyens n’étaient pas au rendez-vous. Donc, j’ai décidé d’arrêter en classe de 4e ».
« Le Diamant m’a séparé de mon père, l’Or m’a uni avec mon mari »
Entre les tâches ménagères dans une autre maison familiale à la Médina et des activités de petits commerces dans les rues très animées de ce quartier populaire de la capitale sénégalaise, Mariama a croisé celui qui allait devenir son mari. Un bijoutier du nom de Oumar Mbow, qui fondait l’or dans un des comptoirs de son père. « Je passais devant cette cantine pour aller vendre mes bouteilles de jus naturels. Et souvent, je trouvais un jeune homme devant sa machine à fondre du métal. La forte chaleur qui se dégageait des lieux ne semblait pas l’impacter. Au début, il achetait deux bouteilles de jus bissap et on papotait sur tout et rien. Mais au fils des mois, nous avons tissé une relation amicale puis amoureuse. J’étais fascinée pas son talent à dompter les métaux. Et il trouvé beaucoup de plaisir à me montrer comment », confie Mariama.
Qui poursuit avec un brin de sourire taquin comme pour narguer le destin: « c’est comme ça qu’il m’a montré à plusieurs reprises, comment faire passer l’or de l’état de poudre à celui liquide. Et comment le transformer en différentes formes en bijou, bracelet, chaîne etc. En fuyant la malédiction du diamant, je suis tombée sur de l’or béni. La Diamant m’a volé mon père. L’or m’a donné un mari. »
Mariama se maria donc avec son amoureux Oumar à la Médina. Mais le décès du père de ce dernier oblige le couple et ses deux enfants à rentrer au village de Mboro en 2020. A ce jour, ils ont mis au monde un troisième bout de chou. Oumar qui tient sa bijouterie sur place, cherche tant bien que mal à prendre soin de sa tendre Sierra-léonaise qui ne veut plus entendre parler de Freetown. Mariama, qui se rend de temps en temps en Gambie pour voir sa maman, a réussi à se reconstruire une toute nouvelle vie au Sénégal avec son mari. Dialogue Migration a réussi à arracher à ce dernier un mot et pas des moindre : « La guerre est certes sale. Mais elle m’a au moins permis de rencontrer l’amour de ma vie ».
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