Djasrabe Kimassoum Yilmian, plus connu sous le nom de Ray’s Kim, est un artiste rappeur tchadien engagé. Le verbe tranchant, la plume bien aiguisée, il dénonce et critique la mal gouvernance qui plombe le développement de son pays. Ray’s Kim se fait le porte-parole des jeunes marginalisés et autres oubliés de la République. Plusieurs fois primés meilleurs artistes, Ray’s Kim a à son actif 4 albums. Militant depuis plusieurs années dans des organisations de la société civile, l’artiste grande gueule est sur tous les fronts pour l’instauration de la démocratie dans son pays. C’est ainsi qu’il rejoint le parti politique “Les Transformateurs” du Dr Succès Masra en 2018. Il en est le porte-parole. Il sera blessé à balles réelles lors des manifestations organisées par son parti. La dernière en date est celle du 20 octobre 2022. Comme à son habitude, il était en première ligne. La répression fut violente puis sanglante. Il sera annoncé comme mort à la mi-journée. Fort heureusement, Ray’s Kim a pu échapper à la terreur de cette journée historique. Il sera réduit au silence, à la clandestinité puis contraint à l’exil. Fidèles lecteurs et auditeurs de “Dialogue Migration Podcast” Ray’s Kim est de passage à Ouagadougou et nous l’avons reçu pour vous. A la présentation, Masbé NDENGAR.
Bonjour Ray’s Kim et comment vous vous portez aujourd’hui ?
Bonjour Masbé et bonjour à tous les auditeurs. Je vais pas mal, je vais bien, Dieu merci. Et content d’être avec vous à Ouagadougou.
Qu’est-ce qui s’est réellement passé le 20 octobre 2022, date qui est à l’origine de votre éxil ?
Cela n’est pas un secret de polichinelle. Le peuple tchadien a décidé de rappeler à l’ordre les dirigeants du Tchad qui avaient promis devant le monde entier, devant les partenaires qu’ils n’avaient que 18 mois pour organiser des élections libres et transparentes pour mettre qu’un civil puisse diriger le pays. On a constaté qu’au bout de cette échéance, ces dirigeants n’ont pas pensé honorer leur parole. Ils sont passés par un soi-disant dialogue pour pouvoir manigancer leur continuité à la tête du pays et le peuple étant souverain et propriétaire du pouvoir a décidé de leur rappeler que leur parole devrait être respectée et a décidé de manifester dans les rues pour se faire entendre. C’est alors avec un plan machiavélique, qu’ ils ont décidé de tuer plus de 300 personnes, d’arrêter plus de 1000 personnes et de faire disparaître plus 200 personnes. Jusqu’à aujourd’hui la douleur est comme telle. Il y a des camarades qui sont en prison dont nous demandons incessamment leur libération puisque la Constitution du Tchad nous permet d’organiser des manifestations, de protester, de contester si les choses ne marchent pas et nous n’avons qu’usé de ce droit pour nous faire entendre. Mais malheureusement, ayant déjà un plan de succession dynastique, de confiscation du pouvoir, ces dirigeants ont préféré utiliser la force que d’entendre raison, voilà pourquoi il y a eu la marche et il y a eu répression. Quand on veut s’imposer au pouvoir par la force, il faut écraser les voix discordantes du Tchad et écarter tous ceux qui voient l’avenir du Tchad autrement afin de continuer de jouir allègrement du pouvoir.
Où étiez vous quand les forces de l’ordre ont commencé à tirer sur les manifestants ?
Il y a des choses qu’on peut comprendre. Il y a des choses qui se passent sur le terrain sur lesquelles on n’a pas besoin de donner des détails. J’étais à N’Djamena, dans le 7e arrondissement lorsque tout se déroulait.
Le premier ministre Saleh Kebzabo a dit que les manifestants étaient munis d’armes blanches et ont été drogués. Que répondez-vous ?
Peut-être drogués par cette très grande envie de voir un jour le changement dans ce pays. Drogués par leur conviction et par leur détermination. Mais drogués par une substance quelconque, je ne pense pas.
Vous avez dressé un bilan. Où avez vous obtenez-vous ces chiffres dans la mesure où vous êtes hors du pays ainsi que les dirigeants de votre parti ?
Ce sont des camarades de lutte qui me les ont transmis et vous savez que chez Les Transformateurs, on est un parti organisé avec des données (nom, prénoms, numéros de téléphone…) Après le 20, il a fallu dresser un bilan et lorsqu’on regarde de gauche à droite et on voit que X ou Y n’est pas là, on essaye de chercher et on se rend compte qu’il a été soit tué, soit arrêté ou encore porté disparu. Il y a également des parents qui s’approchent du parti pour déclarer l’absence de leurs proches. C’est ce qui nous a permis de dresser une liste complète : nom, prénoms, contacts… C’est ce qui me donne la facilité de vous parler de ce bilan.
Pensez-vous que seul le maintien au pouvoir justifie cette répression sanglante comme vous l’avez décrit ?
Absolument. Moi je ne comprends pas ce qui peut être une autre raison pour les dirigeants de réprimer les tchadiens. S’ils n’avaient pas déjà en tête de se maintenir au pouvoir, on aurait simplement encadré la marche et tout se serait bien passé. Mais lorsqu’on va à l’encontre de la volonté populaire c’est qu’on veut imposer une forfaiture.
Comment est-ce que vous vous êtes retrouvé hors du pays ?
J’ai quitté le pays plus de deux semaines après le 20 octobre. Étant recherché dans tous les coins et recoins, j’ai trouvé refuge chez X puis chez Y jusqu’à ce que je puisse quitter le pays, pour plus ou moins voir les choses de façon claire parce que j’étais comme dans un gouffre et je ne savais pas ce qui se passait dehors parce que j’étais coupé du monde. Il a fallu usé de beaucoup d’ingéniosité pour que je puisse me retrouver hors du Tchad.
Dans quel pays vous vous êtes retrouvé pour garantir votre sécurité ?
Le risque zéro n’existe pas en matière de sécurité et ce peu importe le pays dans lequel on se. Il était question de retrouver le pays le plus proche et c’est ce qui a été fait.
Et c’était quel pays ?
Quand je parle du pays le plus proche, c’est naturellement le Cameroun.
Le Cameroun, puis d’autres pays et aujourd’hui vous êtes de passage au Burkina Faso (Ouagadougou). Comment se passe votre vie en dehors de votre pays ?
Ce n’est pas facile de tout laisser du jour au lendemain et de partir loin de son pays. Ce n’est pas facile de vivre loin de sa famille, loin de son pays où on a des projets à réaliser pour sa société. Et du jour au lendemain on se retrouve à vivre une vie qu’on n’avait pas imaginée. C’est un poids lourd à porter et nous espérons que les choses reviendront à la normale et de la manière la plus démocratique qui soit et que la sagesse reprenne le dessus afin qu’on puisse repartir au Tchad et contribuer positivement à la vie politique de notre pays.
Vos camarades du parti Les Transformateurs sont réduits au silence et contraints également à l’exil. Est-ce que vous avez de leurs nouvelles ? Comment se portent-ils en occurrence le Dr Succès Masra ?
Aujourd’hui dire que quelqu’un se porte bien, ce serait trop dire. Succès, il fait de son mieux pour être fort. Sinon être le premier responsable d’une organisation politique qui a perdu 300 membres engagées et d’une manière la plus animale qui soit, il faut être un Dr Succès Masra pour garder la tête haute et continuer à chercher des solutions pour que justice soit rendue à toutes ces personnes tombées et à ceux qui sont en prison ou portés disparus. Il fait de son mieux et il tient comme un bon guerrier.
Votre parti a porté plainte à la Cour pénale internationale (CPI). C’est contre qui au juste ?
Contre les dirigeants de la transition. Contre ceux qui ont donné l’ordre d’utiliser un usage disproportionné de la force afin d’abattre leurs concitoyens. Il faut que justice soit rendue pour le repos de ceux qui sont tombés injustement. Mais également des réparations à ceux qui sont incarcérés. Et il y a beaucoup de blessés en prison. Récemment on en a sorti trois personnes dont une a rendu l’âme et les deux autres sont toujours en soin. Je connais d’ailleurs celle qui a rendu l’âme. Il faudrait que tout cela soit réparé et si la justice de notre pays a décidé de condamner des gens qui ont usé de leur droit constitutionnel je pense qu’il faut porter plainte ailleurs, voilà pourquoi le choix de la CPI.
Comment avez-vous été accueilli par vos compatriotes ou les populations du pays d’accueil ?
Il n’y avait ni une organisation ni un comité d’accueil. Nous y sommes allés naturellement. On ne vivait pas comme des hommes normaux et il fallait accepter sa situation en tant que quelqu’un qui est en danger et qui cherchait à se mettre à l’abri. Vous savez qu’en tant que défenseur de la justice et de l’égalité partout où on passe il y a de l’émotion et surtout qu’on a été annoncé mort et quand on retrouve des amis, il y a toujours de l’émotion et une grande joie. Tout se passe un peu bien partout où nous passons.
Justement comment avez-vous vécu l’annonce de votre mort ?
C’était fort. J’étais coupé du monde pendant deux semaines et le temps que je retrouve la connexion, j’ai vu des signes de condoléances sur les réseaux sociaux (repose en paix, etc.) avec mes images je me demandais si c’était un rêve. Je me sens comme un revenant. Je me suis dit à un moment donné que c’est quand tu n’es plus là que les gens expriment leur amour et j’ai vu cette expression à mon égard mais c’était lourd à porter et même jusqu’à aujourd’hui c’est très lourd à porter parce que partout où je passe les gens me le rappellent. Il y a des gens qui tombent dans mes bras en pleurant. On part d’émotion en émotion.
Envisagez-vous retourner un jour dans votre pays ?
Bien sûr ! chaque jour qui passe mon désir de rentrer au pays pour pouvoir retrouver une vie normale et ma famille reste intacte. Je tiens tellement à mon pays et chaque matin je prie pour que les choses rentrent dans l’ordre afin que nous puissions regagner nos familles respectives.
Les amis, la famille, l’ambiance du pays ainsi que la chaleur du pays doivent vous manquer beaucoup ?
Énormément ! Ça me manque tellement. Je suis très attaché à ma famille. Ne pas les voir ou juste parler avec eux par téléphone… beaucoup de choses me manquent au pays et j’ai juste envie de retrouver mon pays de la plus belle manière sans conditions.
A quel moment avez vous décidé de faire votre entrée en politique ?
Je le répète à qui veut l’entendre parce que je n’ai jamais pensé faire la politique un jour. Parce que chez nous en Afrique en générale et au Tchad en particulier la politique est collée au roublardise et au mensonge. Nos parents, quand tu viens leur parler de politique, ils ne te prennent pas au sérieux. Et moi je voyais chez les politiciens des personnes anormales qui veulent atteindre leur but par tous les moyens en utilisant la ruse. Et il a fallu que Succès rentre au Tchad et m’a contacté. Ensuite on a discuté pendant des semaines et on s’est mis d’accord. Moi j’ai toujours milité dans des associations, des mouvements citoyens, etc. parce que je suis en quête du changement dans mon pays, je voudrais vraiment voir ce changement avant de m’en aller. Je suis prêt à toquer à toutes les portes où les gens réfléchissent au changement du pays. C’est ainsi qu’il m’a détaillé son programme politique et m’a convaincu et je lui ai donné ma parole. Je lui ai dit que son programme m’intéresse parce que c’est que je faisais déjà et si on peut mettre nos énergies ensemble pour revendiquer ce changement, je suis partant .
Et c’est en quelle année ?
C’était en 2018. Je suis membre fondateur du parti Les Transformateurs. Je n’ai pas rejoint le parti. J’étais membre depuis les débuts du mouvement avant qu’il ne devienne un parti politique.
Est-ce que vous travailler actuellement à l’unité des tchadiens autour des défis communs ?
C’est la chose la plus importante. Aujourd’hui l’unité des tchadiens est mise à mal à cause des manigances politiciennes et de la théorie du diviser pour mieux régner. Ils ont préféré mettre les musulmans et les chrétiens, les nordistes et les sudistes en affront. C’est de la pure politique la plus machiavélique qui soit parce que le peuple tchadien malgré la différence est un peuple uni ou cohabitent agriculteurs et éleveurs. Ils ont compris que les tchadiens étant unis peuvent décider de qui peut diriger et qui ne doit pas diriger alors il faut semer de la zizanie au sein de la société, il faut diviser les gens selon leur confession, leur région, leur communauté afin de pouvoir perdurer au pouvoir. Malheureusement, cela a réussi au Maréchal Idriss Déby Itno pendant trois décennies. Aujourd’hui on veut prolonger avec le fils qui doit continuer. Et ça le peuple tchadien devrait ne devrait pas l’accepter et prioriser son unité. Les tchadiens sont divisés et ce qui peut les unir aujourd’hui c’est la justice et l’égalité. Il faut être juste et dire les choses telles qu’elles sont, il faut pouvoir se pardonner nos égarements d’hier et repartir sur des nouvelles bases. Il n’y a que la justice qui peut tout réparer dans le pays.
Comment voyez-vous l’avenir de votre pays ?
L’avenir est un peu sombre parce que si on a des dirigeants qui veulent user de tous leurs moyens pour rester au pouvoir, le rêve d’un Tchad démocratique, épanoui et qui marche ses deux jambes s’éloigne de jour en jour. Lorsqu’on décide de se maintenir au pouvoir par les armes, c’est qu’on ne priorise que la sécurité. Le fait que le Tchad soit une zone sensible avec l’expansion du djihadisme symbolisé par des groupes tels que Boko Haram, fait penser à certains qu’il doit être dirigé par un militaire. nous disons non. Nous avons besoin de démilitariser la gouvernance en mettant un homme qui sera désigné par le peuple tchadien lors d’élections libres et transparentes. Ce n’est qu’à travers ce prisme qu’on aura la lumière au Tchad parce qu’aujourd’hui tout est sombre avec de la peur partout. Tant que ceux qui tiennent le pouvoir ne mettent pas en place les projets qui répondent aux aspirations du peuple, ça fera de telle sorte que l’ambiance au pays soit toujours morose.
Un message particulier qui vous tient à cœur pour le peuple tchadien ?
Notre détermination reste intacte. Nous allons lutter jusqu’à ce qu’il y ait changement. Comme l’a toujours dit le président Succès Masra, la communauté internationale doit choisir entre un Tchad démocratique et un Tchad dynastique. On veut un pays où nos enfants vont grandir, être libres et réaliser leurs rêves. On ne veut pas être dans une prison à ciel ouvert où une minorité à travers une gouvernance gabégique tient le reste du peuple en otage. Aucun projet de société réel ne permet actuellement de permettre aux jeunes de s’épanouir après l’obtention de leurs diplômes. Je pense que la détermination reste inchangée. Peu importe notre position, nous nous devons de lutter d’abord pour l’unité du peuple tchadien et pour l’établissement de la démocratie dans notre pays. Un jour nous arriverons au Tchad démocratique que nous appelons de nos vœux car les 80% de tchadiens qui aspirent à la liberté l’auront voulu.
Merci à vous M. Ray’s Kim.
Nous étions avec le rappeur tchadien Ray’s Kim porte-parole du parti politique Les Transformateurs. Il a été contraint à l’exil suite aux manifestations du 20 octobre 2022, qualifiées de jeudi noir. Au micro Masbé NDENGAR a la prochaine pour un autre numéro.
Quick Links