Pour fuir la luxure du mari de sa mère, Mirabelle, 18 ans, décide de quitter la cellule familiale au Nigéria, pour le Burkina Faso, abandonnant sa mère et ses cinq cadets. Mais au pays d’accueil, l’illusion tourne court pour la jeune fille. Venue avec la promesse d’un travail bien rémunéré dans des magasins au Burkina Faso, Mirabelle se rend compte sur le terrain qu’il s’agit d’une arnaque. Elle sera contrainte par la suite de vendre ses services sexuels à un proxénète. Une aventure qui se solde par la naissance d’un enfant dont le père refuse la paternité. Assagie par les épreuves de la vie, Mirabelle devient une chantre des bonnes mœurs auprès de ses sœurs. Rencontre avec une jeune dame dont l’existence semble agitée.
Burkina Faso, un dimanche. Le ciel est ensoleillé sur la capitale Ouagadougou. Ce qui n’a pas empêché notre rendez-vous avec Mirabelle, chez sa tutrice qui l’héberge depuis huit mois. A notre arrivée, Mirabelle est affairée à la cuisine. Elle prépare de la bouillie pour son bébé en pleurs. Des pleurs dus certainement à la faim, mais aussi à cette canicule du mois de mars. Chaleureusement et avec sourire, la jeune femme nous accueille avec un bonsoir avec un accent anglophone. Après avoir nourri son bébé, elle nous lance à brûle-pourpoint: « je suis à vous ». Avant d’enchaîner.
Vie tumultueuse
« Je suis Mirabelle. Je viens du Nigeria, de la ville de Owerri, de Imo State », c’est ainsi qu’elle commence son récit. Elle se souvient d’être arrivée au Burkina Faso en mars 2021. « Nous sommes venus par la route en passant par le Bénin. Le voyage a duré quatre jours. C’était fatiguant car on changeait de bus », raconte-t-elle. De sa ville natale Owerri, elle débarque donc au Faso sans savoir dans quelle ville elle se retrouve. Son ticket de voyage lui rappellera qu’il s’agit de Bobo Dioulasso. De là, elle sera conduite dans un village du nom de Poura-Carrefour. « Nous étions très nombreuses. Je n’en connais pas le nombre », se rappelle-t-elle.
C’est dans un salon de coiffure, au Nigéria, où elle et son amie se sont rendues pour se faire belles, qu’elles ont entendu un groupe de femmes parler des opportunités de travail au Burkina Faso. Elles disaient « qu’au Burkina Faso, on gagne beaucoup d’argent en peu de temps en travaillant dans les magasins », rapporte-elle. Intéressée, elle se renseigne et sera mise en contact avec un homme qui doit la convoyer au Burkina Faso. Arrivée à destination, la donne change. Dans un premier temps, on lui signifie que le coût de son transport de Owerri à Poura-Carrefour, est de 1.300.000 fcfa, et qu’elle doit s’en acquitter. « En réalité, le transport ne vaut même pas 100.000fcfa », dit la jeune dame. Ensuite, il ne s’agissait pas d’un travail rémunéré dans un magasin comme on lui a fait croire, mais plutôt de la prostitution. « On nous logeait dans des maisons qu’on appelle colline ; une sorte de tentes faites avec des sacs en plastique », nous dit-elle, décrivant les conditions dans lesquelles elle vivait avec les autres filles. Entre deux soupirs, elle confie : « On ne travaillait que la nuit. Le travail était dur. Le travail commençait à 17h pour prendre fin vers minuit ou plus ».
Lorsque nous cherchons à connaître le montant de son gain dans cette activité nocturne, elle lève un regard vers le ciel, mordant sa lèvre inférieure comme pour se donner une certaine contenance, puis répond : « Je gagnais beaucoup d’argent mais cet argent n’avait pas de sens ». En réalité, poursuit-elle, « je ne pouvais pas dépenser cet argent puisque je travaillais pour un proxénète ». Mirabelle n’a pas le choix, et devait travailler dur pour pouvoir rembourser ses fameux 1.300.000 fcfa. Yeux imbibés de larmes et gorge enrouée, elle confie : « je gagnais entre 20.000 et 25.000fcfa les jours où les affaires marchaient bien, et entre 10.000 et 15.000 FCFA les autres jours ». La prestation coûtait 1.000 FCFA par client. Elle devait payer son loyer qui s’élevait à 30.000fcfa par mois, sans oublier le droit du sol qui s’ajoute à toutes ces dépenses. Elle a pu rembourser les 1.300.000 FCFA au bout de cinq mois. Acquittée de ses dettes, elle fut ‘’libérée’’. Elle va quitter, avec soulagement, sa ‘’maison’’ colline de Poura-Carrefour pour Ouagadougou.
Ouagadougou, une autre apocalypse
Croyant changer de style de vie en se rendant à Ouagadougou, Mirabelle va vite déchanter. Elle est contrainte de poursuivre la même “activité”. « C’est difficile. C’est grâce à Dieu que je vis. Je ne connais personne ici. Ce qui rend la vie difficile surtout que j’ai un enfant dont le père n’est pas avec moi ; il n’a d’ailleurs pas accepté la paternité de l’enfant ».
Dès lors, la jeune mère se débrouille toute seule pour se nourrir, nourrir son enfant, payer le loyer et les factures. Pire, aucun membre de sa famille n’était au courant de son départ pour le Burkina Faso : « Quand je suis partie pour le Burkina Faso, ma mère n’était pas au courant. C’est trois mois après que je l’ai appelée. Elle a pleuré de toutes ses forces au téléphone, croyant que j’étais morte. Qu’elle priait chaque jour pour que je revienne mais elle était tout de même contente que je sois en vie ».
Quand bien même elle regrette les conditions dans lesquelles son enfant est né, en lui, elle semble retrouver le sourire, l’espoir et le réconfort. « Mon enfant, c’est ma vie », se réjouit-elle.
Les circonstances de la vie ont volé à Mirabelle son adolescence et l’ont rendu très tôt mature. A seulement 18 ans, elle est mère. Chose qui lui a donné une autre compréhension de la vie. « Quand j’étais à l’école il y a un livre que j’ai lu et il est intitulé ‘’tout ce qui brille n’est pas de l’or’’. A l’époque je n’avais rien compris de la signification mais aujourd’hui tout est clair. Ensuite une chanson de l’artiste Salatiel avec le titre Anita qui dit que ‘’tout ce qui brille n’est pas de l’or ici dehors’’ »
Entre deux sanglots, Mirabelle confesse : « je n’ai que des mauvais souvenirs. Quand je me rappelle les moments passés avec les ‘’clients’’, je deviens triste ».
Reconversion
Le désir de Mirabelle est de rompre avec son passé douloureux caractérisé des choses qu’elle « regrette ». Elle dit avoir tourné la page, tout en lançant un message à ses petites sœurs : « quelles que soient les difficultés que vous traversez avec vos parents, il est toujours mieux de vivre avec eux, parce que personne au monde ne peut vous aimer comme vos parents ». Une reconversion qui atteste une prise de conscience chez Mirabelle désormais assagie. « Quand j’étais avec ma mère, elle m’interdisait certaines choses et je pensais qu’elle ne m’aimait pas, mais aujourd’hui, j’ai tout compris surtout que je suis devenue une mère à mon tour ».
Tirant les leçons de vie, Mirabelle estime que la vie peut parfois être surprenante et bouleversante, mais qu’il faut continuer à se battre tout en espérant un lendemain meilleur. Celle qui dit adorer le soumbala (condiment culinaire préparé à partir du grain de néré) du Burkina Faso et qui se plaint de la forte chaleur, déconseille la migration aux plus jeunes : « Quand on est trop jeune, il y a des risques ».
Et si c’était à refaire ? A cette question, elle répond sans ambages : « ce n’est pas un bon chemin ». Aujourd’hui, Mirabelle apprend auprès d’une dame, depuis environ de trois mois, la confection de perruques. Le journalisme, son rêve d’enfance, taraude toujours son esprit.
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