Âgé de 24 ans, Mouhamadou Kpaka est un jeune écrivain béninois, auteur d’un recueil de cinq nouvelles intitulé “La bataille du désert“, paru en Février 2023 aux Éditions Encres Universelles à Cotonou au Bénin. Il raconte à Dialogue Migration, les réalités vécues et ses interrogations sur des questions contemporaines et dévoile les mobiles de ses réflexions scénarisées dans son ouvrage, ainsi que ses expériences qui ont forgé sa personnalité et ses prises de position. Loin des clichés, et autres stéréotypes, Mouhamadou Kpaka, décrit le vécu de ses congénères et des conditions existentielles, qui n’offrent aux jeunes la plupart du temps d’autres choix que celui de l’ailleurs.
Qui est l’auteur de La bataille du désert ?
Je suis Mouhamadou Kpaka, écrivain. Je suis titulaire d’une licence en SVT (Sciences de la Vie et de la Terre, ndlr), passionné de la littérature de l’art et tout ce qui reflète de la beauté, c’est cela sans doute qui m’a poussé à la publication de mon livre La bataille du désert. Je suis également activiste écologiste. Je milite pour la sauvegarde de l’environnement et suis très attaché aux questions de liberté.
De quoi parlez-vous dans votre ouvrage ?
La bataille du désert, c’est un recueil de cinq nouvelles qui rapportent les thématiques relatives à l’Afrique contemporaine, notamment l’immigration clandestine, le chômage endémique, la recrudescence des coups d’Etats et plein d’autres maux. J’y ai aussi fait des touches sur le panafricanisme, sans oublier de magnifier la beauté Noire.
Pourquoi avoir choisi d’aborder ces thématiques-là ?
Aborder ces thématiques a été quelque peu suscité d’abord par ma vision panafricaniste, aussi ma vision de voir chacun s’épanouir dans tout ce qu’il fait. Vous savez, ce n’est parce qu’on est menuisier qu’on ne peut pas s’offrir une belle maison, une belle voiture, et vivre aisément. Ce n’est pas parce qu’on est agriculteur, ou paysan qu’on ne peut pas s’offrir ces choses-là. Mais au Bénin et Afrique en général, qu’est-ce qu’on constate ? Il y a certains métiers quand vous vous y spécialisez, vous êtes d’office condamné à vivre la précarité. Je vois que les aisés, ceux qui sont à l’abri du besoin, sont pour la plupart ceux qui font carrière en politique et qui occupent des postes juteux dans l’appareil étatique. Ce ne devrait pas être ça. Ce sont tous ces faits qui m’ont poussé à aborder ces thématiques.
Pour ma petite expérience, à la fin de ma licence en 2021, il fallait que j’obtienne le Master avant d’enseigner. Est-ce que mes parents et moi-même avions les moyens de m’inscrire dans un cycle de Master ? S’il n’y avait pas d’autres possibilités, peut-être que je vais m’embarquer dans la course vers un mieux-être ailleurs avec tous les risques que cela comporte.
Dans votre livre, vous parlez du Sahel, pourquoi ?
Dans le Sahel, il y a le terrorisme, je n’y ai pas été, mais les échos me sont parvenus. Ma lecture est qu’après le Sahara qu’en sera-t-il du Littoral ? Parce qu’après les pays de l’hinterland nous avons les pays du Golf (de Guinée, ndlr). Nous restons les bras croisés en regardant les autres se démerder. Avec leurs avancées vers la côte qu’en sera-t-il de nous notre cas ? C’est cette interrogation qui m’a poussé à parler du terrorisme dans la nouvelle La bataille du désert.
Vous y aviez parlé également de la migration, qu’est-ce qui vous a amenée à aborder cette thématique-là ?
Il y a eu un fait qui m’a marqué et qui m’a amené à aborder cette thématique. C’est l’histoire d’un monsieur qu’on appelle Edouard, qui a passé les quinze dernières années de sa vie au Nigéria. Il travaillait dans son village en tant qu’extracteur de vin de palme. Il faisait l’extraction et le transformait en Sodabi (alcool local). Quelqu’un est venu du Nigeria lui dire “là où j’ai quitté on recherche des bras valides, de la main d’œuvre pour s’occuper des tâches ; je crois qu’en t’y rendant tu vas faire fortune, tu auras de l’argent”. L’offre était trop alléchante, il n’a pas réfléchi, vu la précarité qui prévalait dans son village, à Agbangnizoun dans le département du Zou au sud du Bénin. Il n’a pas réfléchi par deux fois avant de s’embarquer dans cette aventure. Au Nigéria, il s’est rendu compte que ce n’est pas ce qui lui avait été promis. Mais là il doit être gardé en captivité, travailler dans une ferme, du matin jusqu’au soir sans repos. Il y est resté pendant quinze ans avant de trouver une formule pour s’enfuir avec quelques compagnons, puisqu’il n’était pas le seul Béninois dans cette condition dans cette ferme. Selon ses dires, il y avait des gens de divers horizons, Béninois, Togolais et autres de la région ouest africaine. Ils vivaient dans les mêmes conditions d’une forme d’esclavage aménagé. Il voulait rentrer chez lui quand il est passé par chez nous pour demander de l’aide auprès de mes parents qui lui ont apporté le peu qu’ils pouvaient. C’est en ce moment qu’il leur a narré les conditions de son départ du Bénin et du Nigeria. Nous, nous sommes dans la commune d’Abomey-Calavi, au Bénin. Il a déjà parcouru une très bonne distance avant de tomber sur nous… En quelque sorte c’est son histoire qui m’a motivé à aborder la thématique de l’immigration.
En dehors de ça vous avez parlé dans une autre nouvelle de “Visa Express”…
C’est aussi de l’immigration, et il fallait trouver un mobile au départ de Tchiké le personnage central, de la nouvelle “Visa Express”.
De par votre position d’écrivain, quelle est votre appréciation de ces jeux et autres processus d’immigration dont Loterie visa, Access Canada, Campus France et autres ?
Moi je suis un rêveur, un grand rêveur. Je veux d’une Afrique ou le niveau de vie est le même qu’en Europe ou en Amérique. Mais, comment y arriver ? Pouvons-nous vraiment y arriver dans ces conditions ? D’abord, il faut dire que nous manquons terriblement de compétences techniques. À mon entendement, les universités ne forment pas vraiment comme il faut. Elles font avec les moyens dont elles disposent. Comment voulez-vous que, dans ces conditions-là, on ait des biologistes de renom, des généticiens de talent ? D’ailleurs, la grande majorité de nos enseignants ont reçu une part de leur formation en occident. Donc concernant Loterie Visa, Access Canada, Campus France, moi je suis d’accord. D’abord je vais préciser que je ne suis pas contre l’immigration lorsqu’elle est effectuée dans les conditions requises, légales et réglementaires. Parce que voyez-vous, une bonne partie de l’Afrique est restée renfermée sur elle-même pendant des siècles. Des millénaires je dirais. Quelqu’un a même soutenu que ce repli de l’Afrique sur elle-même lui a couté beaucoup, notamment l’esclavage et la colonisation. Je crois que nous avons le devoir aujourd’hui en tant que jeunes africains d’aller chercher le savoir où qu’il se trouve. Que ce soit en occident ou ailleurs. Il faudra mettre en sourdine notre orgueil, et aller chercher ce savoir là, parce qu’on en a besoin pour développer nos pays.
Et qu’en est-il de la fuite des cerveaux, notamment ceux qui ne reviennent plus ?
C’est là où le bât blesse ; c’est cela le mal en réalité. Et la faute n’incombe pas à l’émigré, mais plutôt à l’Etat qui n’a pas su véritablement encadrer les conditions de son départ. Quand on observe bien, ceux qui vont et qui ne reviennent pas ne sont pas toujours ceux qui vont avec leurs propres moyens ; ce sont les boursiers. Ceux dont l’État finance même le départ. Il les laisse là-bas, et puis voilà. C’est parce qu’il a conscience qu’en revenant ici il ne peut pas leur donner les bonnes conditions pour qu’ils puissent exercer ce qu’ils ont appris. Il y a donc cette responsabilité patente même de l’Etat. Je dirai même une irresponsabilité de ne pas créer les bonnes conditions pour l’employabilité des talents que nous envoyons se former.
Alors, quelles sont vos perceptions sur la question des migrations en Afrique ?
Je crois qu’il est judicieux de faire un bref état des lieux de la chose, notamment les causes qui les motivent. Parce qu’il y a des gens qui n’ont pas d’autres choix que d’aller se chercher ailleurs. Je parcourais un réseau social la fois dernière et je suis tombé sur l’offre d’une agence qui se propose d’accompagner des candidats à l’immigration vers l’Allemagne pour les formalités y afférentes. L’agence disait que ce n’est plus la peine d’aller prendre le risque de mourir dans la Méditerranée alors qu’il y a cette possibilité là qu’on peut aisément emprunter et voyager paisiblement. En commentaire, un des internautes dit qu’il a déjà exploré diverses offres et que cela n’a rien donné, et que maintenant il a envie de prendre le large, de risquer la traversée du désert et de la Méditerranée. Et que dans son pays qu’est-ce qu’il vit qui n’est pas déjà la mort, et qui va le décourager de prendre ce risque ? Vous voyez ? Cela m’a beaucoup touché. Si nous n’attaquons pas le mal à la racine, jamais on n’arrivera à le vaincre. Nos États prennent des engagements démocratiques, ils disent qu’ils vont respecter les libertés des uns et des autres mais face à la réalité, ils passent à côté. Que ce soit au Bénin ou ailleurs, il y a des frustrations, des répressions parfois dans le sang. Il y a des chômeurs, il y a des travailleurs qui migrent et qui vont à l’aventure parce qu’ils n’ont pas d’emploi. Si on arrive à répondre de façon pratique à ces questions, on peut vaincre la question de l’immigration. Ma perception à moi, est que je ne condamne pas l’immigration. Si quelqu’un veut immigrer, aller se chercher ailleurs on a tous migré. L’homo sapiens a migré, l’homo sapiens sapiens a migré ; sans quoi l’humanité entière serait concentrée en Afrique. C’est la migration qui a repeuplé le monde. Donc si quelqu’un a en projet d’émigration, je vais juste lui conseiller de prendre les canaux formels, légaux et qu’il n’aille pas errer et se faire maltraiter par d’autres avant de prétendre au bonheur.
En mars 2023 ; une fièvre raciste s’est emparée de la Tunisie suite à des déclarations anti-migrants du président Kaïs Saïed, le 21 février 2023 appelant à l’arrêt des « hordes de migrants clandestins » subsahariens présents dans son pays. Que pensez-vous de cela ?
Aborder cette question va me faire découvrir sous une autre image. Je suis très cru quand il s’agit de ces questions. L’Afrique Noire, c’est-à-dire l’Afrique des tropiques doit se mettre en idée que le Maghreb n’est pas un ami. C’est le cas de la Tunisie que nous vivons actuellement. Je ne sais pas ce qu’il en sera de l’Algérie ? Le Maroc est un peu intégrationniste… Après la Tunisie, il y a l’Algérie, l’Egypte et la Libye qui mènent la vie très dure aux Noirs. Il est de la responsabilité de nos frères africains, de savoir orienter le chemin de leur départ. Ce que nous avons vu est une preuve de l’échec de nos organisations à l’échelle régionale, ou continentale. L’Union africaine a attendu quelques jours, voire une semaine avant de sortir un simulacre de dénonciation. Elle a dénoncé le fait, elle ne l’a pas condamné. Or le fait qu’un pays chasse les ressortissants d’un autre pays est un acte blâmable et condamnable. Je m’attendais même à ce qu’on enclenche une procédure de retrait de la Tunisie de l’Union africaine. En écoutant même les autorités du pays, ils disent “je suis ami aux africains, ma famille s’est mariée à des africains”, c’est tout comme si eux ne sont pas des africains. Donc il y a ces paramètres là que nos organisations doivent prendre en compte et sévir. C’est-à-dire faire loi ; ce qui n’est malheureusement pas fait.
On vous sent déterminé, quel est le sens de votre engagement ?
Ce qui me motive, c’est peut-être ma manière de voir les choses. Nous avons tous droit à une vie aisée. Que l’on soit président, paysan, ministre ou artisan, on a tous droit à une vie meilleure. Mais que fait-on pour que chaque couche de la population accède à ce bien-être ? Pour ma part je ne vois pas de choses concrètes. Il semble qu’il y a un ordre déjà établi, une caste réservée à laquelle il faut accéder avant de prétendre au bonheur. Ce qui ne devrait pas être le cas. Il y a tous ces faits qui me révoltent. Il y a l’injustice et il faut dire qu’elle est chronique et flagrante dans nos sociétés africaines. Je ne vais pas aller dans le détail, mais tout le monde le sait. Tout le monde sait que nous vivons dans une société où on banalise tout, et on relègue la justice sociale au dernier rang. Alors que ce devrait être le cheval de bataille des gouvernants. Une société où la justice n’est pas de mise, est une société déjà condamnée à l’échec. Tout ce que vous construisez aujourd’hui, il y aura des frustrés demain qui vont les détruire.
Est-ce que le sens de votre engagement ne se résume pas aussi aux auteurs qui vous ont bercé. Quels sont ceux que vous avez lu, ou les penseurs, qui vous inspirent ?
Je lis beaucoup Jean Pliya et quand vous le lisez, vous voyez qu’il exprime un ras-le-bol, et qu’il faut qu’il emprunte les lignes de ses livres pour se déverser. Son œuvre phare “Les tresseurs de corde” est un requiem, une condamnation du monopartisme en Afrique dans les années quatre-vingt. Il y a aussi un auteur américain, Jack London, qui est socialiste de conviction, un auteur très engagé qui a décrié les dérives du capitalisme inhumain, et fait l’apologie du socialisme, et prêché le bien-être de tous. Donc il y a ces auteurs-là dont les œuvres m’ont beaucoup influencé.
Egalement, il faut dire que je lis beaucoup les auteurs africains comme Sembene Ousmane, Cheikh Anta Diop qui est ma référence idéologique, Aimé Césaire, Victor Hugo et aussi quelques auteurs Français, dont Alexandre Dumas. Au Bénin, je lis beaucoup Florent Couao-Zotti, j’ai commencé par lire Félix Couchoro, et des jeunes auteurs, comme Alphonse Montcho, Théophile Sèwadé, Daté Atavito Barnabé-Akayi. Enfin, je lis un peu de tout ce qui me passe sur les mains.
Mouhamadou Kpaka, quelles sont vos perspectives ?
Actuellement c’est d’arriver à faire adopter ce recueil aux lecteurs. Mon ambition est que cet ouvrage soit lu et critiqué à la portée de ce qui y est. Après cela il y a d’autres projets d’écriture qui vont se concrétiser je ne sais encore quand. Au regard de mon engagement, si un jour j’écris des essais, ce serait sans doute sur le panafricanisme, l’oblitération de la démocratie et autres. Déjà, ‘’La bataille du désert’’ qui est un recueil de nouvelles, aborde les questions de notre quotidien, peut-être pas comme les gens l’auront voulu, mais à ma manière à moi.
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