Des jeunes guinéens de retour au bercail après avoir tenté de traverser clandestinement la méditerranée sans succès, il y en a beaucoup. Boubacar Sow est l’un d’eux. Comme tous les autres, il était parti de la Guinée dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais comme on pouvait s’y attendre, la suite a été infernale. C’est ce qui ressort de son récit. Dialogue Migration est allé à sa rencontre.
Âgé de 32 ans, Boubacar Sow commence son récit en ces termes: « Tout d’abord, vous savez, l’homme est toujours à la recherche du bonheur. C’est la raison de mon départ ». A en croire le jeune migrant de retour au pays, ce sont des amis à lui qui l’ont encouragé à l’émigration clandestine. « J’ai échangé avec plusieurs de mes amis qui ont émigré clandestinement et qui sont rentrés en Europe via la Méditerranée. Ils m’ont encouragé à tenter ma chance», s’est-il justifié.
Avant le départ
Boubacar Sow était dans le commerce. Il a pratiqué sans grandes difficultés cette activité pendant plusieurs années en Guinée avant d’aller la poursuivre en Côte d’Ivoire. Mais en 2017, il a tout arrêté et décidé de rejoindre l’Europe.
« J’ai fait du commerce en Guinée plusieurs années avant d’aller en Côte d’Ivoire et continuer la même activité durant 2 ans. Tout allait bien », dit-il.
Les risques de la clandestinité
Aussitôt parti de la Guinée, les difficultés commencent pour Boubacar Sow. C’est à Bamako que les toutes premières lui tombent dessus.
« On a acheté un billet de 90.000 FCFA pour aller directement à Agadez. A ce niveau, on a rencontré tellement de difficultés, car il y avait des passagers qui avaient acheté des billets depuis deux mois mais ils n’avaient pas encore bougé. La voiture dans laquelle on devait voyager était sur cale ». C’est finalement à bord d’un autre véhicule que le jeune et plusieurs autres qui avaient acheté leurs billets, partiront pour Agadez. Mais bien avant, ils ont dû mettre la pression sur le syndicat de la gare routière. L’acte avait porté fruit pour certains d’entre eux. En tout cas, aux dires du jeune, son billet lui avait été remboursé de 50%.
A la frontière du Mali avec le Burkina Faso, lui, les autres guinéens et leurs compagnons en partance pour l’Algérie dans le but de traverser la Méditerranée par la suite, ont connu d’autres difficultés. « A la frontière entre le Mali et le Burkina Faso, tous les voyageurs d’origine guinéenne ont été dépouillés de leurs passeports. Nous avions aussi subi des tortures et même l’emprisonnement à la frontière », laisse entendre Boubacar, avant d’ajouter : « tous les passagers guinéens ont payé 5 000 FCFA pour récupérer leurs passeports, contrairement aux autres voyageurs venant des autres pays qui n’ont payé que 2 000 FCFA. Du Burkina, nous sommes arrivés au Togo. Les agents postés à la frontière du Togo n’ont demandé que la carte de vaccination. Après le Togo, cap sur le Bénin où ils nous ont réclamé la carte de vaccination béninoise. Pour l’avoir, nous avions payé naturellement 2 000 CFA sans aucune consultation, car les cartes que nous détenions n’étaient plus valables ».
Au fur et à mesure que le voyage se poursuivait, il devenait infernal. A la frontière du Niger, Boubacar Sow et les autres migrants ont été arrêtés et jetés en prison. Mais à travers une protestation d’ensemble qu’ils ont menée contre ceux qui les détenaient, ils parviennent à s’échapper. « Nous étions plusieurs détenus et nous nous sommes organisés pour nous opposer en groupe contre eux. Dans l’ensemble, nous avons réussi à nous échapper de la prison ».
Après cette évasion, Boubacar Sow est arrivé à Agadez. De ce côté aussi, il a fait face à des difficultés financières. Pour se trouver un hébergement par exemple, il a déboursé 250 000 francs CFA. D’Agadez, il s’est embarqué pour la Libye. Chose qui lui a coûté 150.000 francs CFA. En plus du coût, le voyage était pénible.
« On a reçu chacun deux flacons d’eau de 10 litres, pas plus. Nous avons voyagé sous un soleil de plomb. Dans le désert, tu ne vois personne. C’est un trajet de 7 jours entre Agadez et la Libye. Des jours sans manger. Seulement de l’eau pour sauver son âme ».
A la frontière du Niger avec la Libye, les passeurs ont mis Boubacar Sow et ses compagnons en contact avec un individu chargé de leur trouver un hébergement avant leur arrivée à Tripoli, la capitale libyenne. « Nous avions été mis en relation avec un autre monsieur détenteur d’un grand foyer, où il fallait aussi payer un montant de 150 dinars pour accéder à un foyer », a-t-il expliqué.
Pour arriver à Tripoli, ce ne fut pas non plus aisé. Boubacar Sow et trois autres migrants ont été cachés sous les bagages chargés dans un pick-up. C’est la seule manière pour eux d’atteindre la capitale libyenne sans être repérés et arrêtés par la police malgré les risques de suffocation.
« De Saba, on nous a mis à quatre dans un pickup en mettant des bagages très lourds sur nous. Une manière de nous cacher de la vigilance des policiers sur le trajet. Dans le pick-up, sous les bagages, on manquait d’air. J’avais très mal quand j’étais sous les bagages. Ils étaient lourds et la distance était énorme », s’est rappelé le jeune migrant.
C’est dans ces conditions que Boubacar Sow et ses compagnons arrivent à Tripoli. Trois jours après, ils se déguisent en maçons pour être embarqués dans un pick-up qui était à destination de Grigarage qui est un point d’embarquement des migrants pour leur traversée de la Méditerranée. Le prix à payer par tête équivalait à 10 millions de francs guinéens. Boubacar Sow s’en acquitte et le passeur l’embarque avec plusieurs autres migrants nuitamment. Seulement, après cinq heures de navigation en mer, ils frôlent la mort.
« Nous avions embarqué aux environs de 2 heures du matin. Après 5 heures de navigation, la barque a lâché en pleine mer. C’est ce qui a conduit à son renversement et tous les passagers se sont retrouvés dans l’eau », nous dit Boubacar.
Comment a-t-il été sauvé ? Le jeune migrant guinéen n’en sait rien car juste après le naufrage, a-t-il confié, il avait perdu connaissance. A son réveil, a-t-il poursuivi, il était dans une prison en Libye. Boubacar a tenté trois fois de rejoindre l’Europe par voie clandestine sans succès. L’ensemble de son voyage lui a coûté 4 millions de francs CFA.
Le retour au pays
Après ses tentatives infructueuses d’aller en Europe, il prend la direction du Maroc, la suite a été décevante. Il décide de rentrer au pays pour se reconstruire. Tout ce qu’il avait auparavant comme biens (motos, moutons et boutique) n’est plus qu’un lointain souvenir. Pour savoir s’il tient toujours à aller en Europe clandestinement, il a répondu : « Je ne vais plus partir clandestinement. J’ai perdu assez d’argent, assez de temps et j’ai trop souffert. J’ai un grand regret aujourd’hui. Je suis l’aîné de la famille. J’avais une partie des charges de la famille avant mon départ. Aujourd’hui, j’ai tout perdu ».
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