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Organisation interne des communautés : une alternative à la fiabilité des statistiques sur la migration au Bénin
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Organisation interne des communautés : une alternative à la fiabilité des statistiques sur la migration au Bénin
Ange Banouwin 🇧🇯
Ange Banouwin 🇧🇯
October 30, 2023

Les données officielles de la migration au Bénin suscitent souvent des controverses. En effet, l’évolution des effectifs officiels des immigrants dans le pays donne lieu à des réserves de divers acteurs impliqués dans la migration. Face au défi que constitue la fiabilité des données statistiques sur les migrations malgré les enquêtes démographiques et les études scientifiques, une alternative se profile.

Au Bénin, la migration est définie comme « Tout déplacement dont la durée est de six mois ou plus » (OIM, 2018), tandis que la durée de séjour n’est pas prise en compte pour définir de façon conventionnelle la migration. 

En effet, le concept de migration désigne tout « Déplacement d’une personne ou d’un groupe de personnes, soit entre pays, soit à l’intérieur d’un État. La migration se rapporte aux mouvements de population sous toutes leurs formes, indépendamment de leur durée, de leur composition et de leurs causes. Elle englobe les mouvements de réfugiés, de déplacés, de migrants économiques et de personnes se déplaçant à d’autres fins, tel que le regroupement familial » (CNUCED, 2018). Cette définition conventionnelle est internationale et utilisée dans la littérature scientifique spécialisée de l’OIM, l’ONU, de l’observatoire ACP sur les migrations. Suivant des données statistiques, de diverses structures collectées et recoupées, de 2010 à 2018, cinq principaux pays de l’Afrique de l’ouest et trois pays asiatiques ont fourni un flux de 24.891 immigrants au Bénin. Les immigrants des trois pays asiatiques représentent environ 57% du flux des immigrants enregistrés. Le pays comptait selon les données officielles de la Banque mondiale 11, 94 millions d’habitants en 2018.  En 2013, le Niger était le premier pourvoyeur dans le stock des immigrants au Bénin selon les résultats du Recensement Général de Population et de l’Habitat de 2013 au Bénin (RGPH4). Mais, de 2010 à 2018, les flux des immigrants du Niger enregistrés au Bénin sont 425 tandis que les immigrants du Nigeria et du Togo enregistrés au Bénin sont respectivement de 5.371 et 3.856. Au cours de cette même période, 7.135 et 5.023 immigrants respectivement du Liban et de l’Inde se sont installés au Bénin. Les flux de ces trois pays asiatiques dépassent ceux des principaux pays de l’Afrique de l’ouest du stock migratoire de 2013. Ces flux migratoires montrent une émergence de l’immigration asiatique au Bénin. Les flux récents des migrants sont fondés sur l’immigration asiatique qui exerce un effet d’attraction à partir des opportunités d’emplois directs ou indirects qu’elle crée. 

Le talon d’Achille des données statistiques

De sources officielles, il est noté une émergence formelle de l’immigration asiatique au Bénin à côté de l’immigration ouest africaine. Des chiffres qui cachent la réalité, à raison. D’après l’étude réalisée par Koffi Benoît Sossou, intitulée “Travailleurs migrants au Bénin : contexte et défis’’ publiée en Octobre 2019, sur la base des données de la Direction de l’Emigration et Immigration, les immigrants asiatiques en provenance de, la Chine, l’Inde, le Liban, et le Pakistan, notamment, enregistrés annuellement au Bénin dépassent ceux de l’Afrique de l’ouest entre 2010 et 2018. Ceci est dû au fait que les immigrants asiatiques sont régulièrement enregistrés ce qui n’est pas forcément le cas des ressortissants de l’Afrique de l’ouest. Il s’observe que le groupe des pays asiatiques se concentre surtout dans le département du Littoral. Cependant, il se rencontrent en effectif réduit dans les départements des Collines, du Zou, du Borgou et de l’Alibori où ils s’adonnent pour l’essentiel à l’agrobusiness.

Par ailleurs, les immigrants de l’Afrique de l’ouest sont présents dans une proportion importante dans tous les départements du Bénin. Le groupe des pays du reste de l’Afrique est surtout présent dans les départements du sud Bénin. Il s’agit du Littoral, de l’Atlantique, de l’Ouémé, du Couffo et très faiblement dans les départements des Collines et du Plateau. Le chercheur relève que la très forte présence au sein du stock des immigrants de l’Afrique de l’ouest est due à la migration de proximité et à la mise en application du protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des biens et des personnes, y compris le droit d’établissement. 

Evolution des vagues d’immigrants post-2011 au Bénin

L’évolution des effectifs des immigrants au Bénin est réalisée à partir des données relatives au stock des immigrants du RGPH4 et des flux récents des immigrants fournis par la DEI. Selon les données de l’OIM publiées dans le document du profil migratoire de 2011, un essai de périodisation des vagues migratoires au Bénin est réalisé. Il en découle que l’histoire migratoire du Bénin a connu quatre phases principales. Une phase précoloniale et coloniale, une phase couvrant l’indépendance et la période révolutionnaire (1960-1972), une phase allant de la période révolutionnaire à la veille de la Conférence nationale (1972-1990) et une dernière phase commençant avec la Conférence nationale de février 1990. Cette dernière phase est celle de l’immigration vers le Bénin : entre 1992 et 2002, le nombre d’immigrants est passé de 78 000 à 156 748 en 2002. Les migrants représentaient environ 2% de la population totale du Bénin en 2002 et 5 % de la population active. Les communautés les plus nombreuses étaient les Nigériens (34,8 %), les Togolais (22,1 %), les Nigérians (20,5 %), et les Burkinabés (4,6 %). A noter que la pyramide des âges des flux migratoires de 2010 à 2018 montre une base et un sommet plus rétréci que ceux de la pyramide des âges du stock migratoire de 2013. La première étude de valorisation du stock migratoire du Quatrième Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH4) a conclu à la féminisation de la migration au Bénin tandis que les flux migratoires récents ont révélé que la migration féminine est visible, certes, mais reste inférieure à la migration masculine. 

De la fiabilité des données statistiques

C’est un secret de polichinelle qu’il y a une forte proportion de Nigériens au Bénin. Cependant, il existe des explications à la chute relative de leur effectif dans les données officielles. Cette communauté fait partie des communautés qui sont les plus intégrées, et ayant une organisation interne relève le Secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (CSA-Bénin), Coordonnateur de la Plateforme multi-acteurs de la migration au Benin (PMB), Anselme Coovi Amoussou.  

« Cette organisation interne des Nigériens et des autres communautés chez nous, nous a conduit à considérer que nous pouvons nous appuyer sur eux pour avoir des statistiques fiables. Plus fiables que les statistiques officielles qui paraissent assez modestes. Parce qu’il leur arrive assez souvent au cours de nos activités de contester les chiffres officiels », relève-t-il. Ils ont des cahiers dans lesquels on inscrit les gens et savent par exemple que quand on vient à Cotonou, il y a tel responsable qu’il faut aller voir pour signaler sa présence pour être intégré à la communauté. Une mine d’informations qui échappe à l’administration publique. 

A travers ses analyses, Kossi Benoit Sossou relève qu’il existe deux explications alternatives possibles à la baisse importante des immigrants du Niger au cours de la période étudiée (2011-2018). La principale explication est que les migrants en provenance du Niger ont observé que la migration irrégulière paraît plus bénéfique en situation de migration en réseau que l’enregistrement à l’entrée du territoire au Bénin. Il conclut donc qu’il s’agit d’une baisse apparente. Cependant, relève-t-il que les patrons qui pour la plupart sont détenteurs des boutiques s’acquittent des redevances locales. Il note que les premiers immigrants du Niger installés s’appuient sur la migration de réseau pour avoir la main d’œuvre utile au secteur informel d’activités économiques et ces premiers immigrants installés disposent de la liste des travailleurs migrants qu’ils utilisent. « Avec ces travailleurs migrants dans le secteur informel, ils se sont dotés d’organisations de ressortissants et se rencontrent périodiquement avec les responsables de l’UR-CEDEAO » commente-t-il.  De ses enquêtes, il conclut que les responsables de ces organisations évoquent « les faux effectifs » de leurs ressortissants dans les documents de RGPH. Ils déclarent détenir les « vrais effectifs » et fournissent les preuves de leur grande capacité de mobilisation de leurs ressortissants présents dans les différentes entités administratives du Bénin. Les responsables à la base ne produisent pas les listes de leurs ressortissants. Ils ne les montrent pas. Mais, la réalité est que ces listes sont décentralisées et ne sont disponibles que dans les organisations locales.  « Cette situation de baisse apparente des immigrants en provenance du Niger souligne la nécessité d’actions coordonnées pour mieux gérer les espaces transfrontaliers », invite Koffi Benoit Sossou. 

Raisons de faible statistique et atouts des données officielles   

L’attitude des migrants nigériens pourrait s’expliquer selon Anselme Coovi Amoussou, Secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (CSA-Bénin), Coordonnateur de la Plateforme multi-acteurs de la migration au Bénin (PMB). « Dans l’informel, ils sont livrés à eux-même. Mais ce n’est pas seulement eux. Je me rappelle, il y a quelques années j’ai participé à une étude sur l’informel au Bénin et ce que j’ai remarqué plus que tout est que les camarades de l’informel en sont arrivés dans un état d’esprit tel qu’ils n’attendent rien de l’Etat ; c’est qu’ils n’attendent même pas pour être déçu. Ils ont cultivé cet esprit-là, du style à se dire : “Dans tous les cas, nous, on nous a oublié, personne ne s’occupe de nous”. Je pense que les migrants de l’informel au Bénin doivent être dans cet état d’esprit là aussi », fait-il observer. Cependant, selon l’étude réalisée par Koffi Benoit Sossou, les forts effectifs de l’immigration du Nigeria et du Togo au Bénin dans les sonnées officielles s’expliquent par les effets du corridor Abidjan-Lagos où les efforts réciproques sont déployés dans le cadre d’une coopération entre les autorités policières de ces trois pays depuis 2005 par des accords de coopération bilatérale. « Ce sont ces efforts qui améliorent les statistiques migratoires entre ces pays » note le chercheur. Les immigrants enregistrés aux frontières de 2010 à 2018 de ces pays et qui ont accepté leur suivi au Bénin pour l’obtention du permis de travail sont de 5.371 et 3.856 immigrants respectivement pour le Nigeria et le Togo.  La réceptivité des acteurs des actions de prise de conscience des effets bénéfiques de la migration régulière et sécurisée le long du Corridor Abidjan-Lagos est un facteur de la réussite de ces enregistrements volontaires des immigrants du Nigeria et du Togo au Bénin de 2010 à 2018, note-t-il.  Au total, les différents projets exécutés au profit des migrants de ce corridor ont montré ainsi leurs effets par rapport aux ressortissants du Niger non bénéficiaires de ces projets, souligne le chercheur. Il s’agit notamment du projet d’amélioration de l’accès aux services sociaux des Migrants travailleurs marginalisés et vulnérables (PASSOM). Ce projet conduit par les ONG IDID, Bénin Alafia et VADID est soutenu par l’Union Européenne. Un projet qui de l’avis du chercheur a eu d’importants acquis que sont : un centre de veille, d’écoute et d’assistance-conseils aux migrants, une recherche-action sur les circuits migratoires et sur les conditions socioprofessionnelles des migrants marginalisés et vulnérables, et l’installation de 14 plateformes communales. Notamment, ce projet a pu prendre en charge 150 et 200 migrantes respectivement sur le plan social et professionnel et sur le plan sanitaire. Et le réseau de solidarité ainsi créé a permis une prise de conscience des effets positifs associés à la migration régulière et sécurisée. Ce qui fait dire à Koffi Benoit Sossou, que le défi majeur que révèle cette analyse est la nécessité des actions similaires aux projets du corridor pour persuader les immigrants du Niger installés et les candidats à se déclarer de façon volontaire.


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