Le flux d’informations traitant la question des migrations laisse croire que les Africains se déplacent plus hors du continent africain qu’à l’intérieur de cette zone. Qu’en est-il réellement ?
Selon le rapport 2019 des Nations Unies sur la migration, entre 2011 et 2017, plus de la moitié des migrants nés en Afrique vivaient dans un autre pays africain (52,7 %). L’autre moitié réside entre l’Europe (26,3 %), l’Asie (11,4 %), l’Amérique du Nord (8,0 %) et le reste du monde (1,6 %).
Les données de l’étude de Nations Unies recoupent celles publiées par l’organisation mondiale des migrations (OIM) publiées en 2021. « Je ne pourrai pas vous donner de chiffre précis, mais l’estimation globale est que la migration au sein de l’Afrique est plus importante que la Migration de l’Afrique vers les autres continents », a indiqué à “Dialogue Migration”, Robert Kotchani, représentant régional de l’Afrique de l’Ouest du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme (HCDH).
Selon M. Kotchani l’analyse de ces flux migratoires intercontinentaux au plan sous régional, permet de constater qu’il était plus facile de se déplacer à l’intérieur de la région ouest-africaine.
Même s’il est « laborieux de trouver des données consensuelles qui reflètent l’état réel de la migration », le représentant régional du HCDH indique que si on se réfère aux données publiées par les centres numériques de l’OIM en janvier 2021, « la décennie dernière, l’Afrique a un nombre cumulé de 42 millions de migrants (intracontinentaux et extracontinentaux)».
M. Kotchani précise que « 70 % des mouvements migratoires qui se font en Afrique de l’Ouest se font au sein même de la région ouest-africaine ». L’expert du HCDH explique cette particularité de sous-région ouest africaine par l’existence d’un traité sur la libre circulation des personnes entre pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), matérialisé par la mise ne place d’une carte d’identification communautaire. « Quand vous êtes Sénégalais et que vous avez la carte d’identité numérisée de la Cedeao, vous pouvez circuler dans tous les pays de la sous-région. Alors que jusqu’à récemment, un Camerounais qui devait se rendre au Gabon, devait payer un visa », précise M. Kotchani.
Selon des chiffres établis par une étude publiée sur le site des Nations Unies en 2020, les niveaux de migration en Afrique de l’Ouest restent aujourd’hui élevés. Le nombre total de migrants a plus que doublé au cours des 30 dernières années. La plupart des migrants d’Afrique de l’Ouest bougent vers un pays voisin. Toutefois, les déplacements à destination d’autres régions ont augmenté.
Au milieu de l’année 2020, 64 % des migrants d’Afrique de l’Ouest vivaient dans un autre pays de la région, contre 80% au milieu de l’année 1990. Les niveaux les plus élevés de migration intra régionale proviennent de pays à faible revenu ou enclavés, à l’exception de la Côte d’Ivoire, indique néanmoins le rapport chiffré publié par l’Onu.
La même source ajoute que plus de 97 % des migrants du Burkina Faso vivent dans un autre pays d’Afrique de l’Ouest, tout comme plus de 90 % des migrants du Niger et plus de 75 % du Bénin, de Côte d’Ivoire, du Mali, et du Togo.
Quant aux migrants ressortissant des zones côtières les plus prospères, notamment le Nigeria, le Ghana et le Sénégal, ils vivent de plus en plus hors de la région, selon toujours la même source.
Ça circule en l’Afrique de l’ouest
L’Afrique de l’Ouest accueillait 7,6 millions de migrants au milieu de l’année 2020, selon le portail de l’OIM sur les données migratoires. Selon cette source, la Côte d’Ivoire continue d’accueillir le plus de migrants, à la fois en chiffres absolus et en pourcentage par rapport à sa population. Ce pays accueille plus de deux millions cinq cent mille migrants selon le rapport 2020 de l’Onu sur les migrations en Afrique publié sur le site de l’OIM.
Le Nigeria vient en deuxième position avec plus d’un million trois cent mille migrants accueillis en 2020. Le Burkina Faso complète le podium avec près de 724.000 migrants. Le Togo, le Sénégal et la Gambie occupent les trois dernières places du top 10 avec moins de 280.000 migrants accueillis chacun.
En termes de pourcentage par rapport aux populations de chaque pays d’accueil, la Gambie avec 8, 8 %, se positionne en deuxième place derrière la Côte d’Ivoire avec 9,7 %, selon le UN DESA, 2020. Le Burkina troisième est à 3,5 % devant le Togo (3,4%), le Bénin (3,3%), le Mali (2,4%) et le Sénégal (1,6%).
Une fausse perception de la migration extracontinentale des Africains
Le traitement des questions des migrations concernant le continent africain dans les médias occidentaux semble assoir que les Africains sont les plus concernés par ce phénomène naturel. Or, la plupart des migrants dans le monde ne sont pas africains.
L’Afrique représente 14 % de la population migrante mondiale, contre 41 % en d’Asiatiques et 24 % d’Européens, selon le « Rapport sur la migration en Afrique » publié en 2019 et réalisé par l’OIM en collaboration avec d’autres partenaires.
Selon des chercheurs de l’Institut pour la recherche et le développement (l’IRD), dans un article publié le 31 janvier 2022, sur les 8,4 millions de migrants en Afrique de l’Ouest, moins de 10 % d’entre eux se dirigent vers l’Europe.
La place occupée par la migration irrégulière dans le traitement médiatique des questions migratoires répond souvent à un sensationnalisme qui obstrue la réalité sur le terrain. Le rapport précité montre que la plupart des migrants africains ne traversent pas les océans, mais plutôt les frontières terrestres de l’Afrique. Selon la même source, 94 % de la migration africaine à travers les océans a une forme régulière et la plupart des migrants dans le monde ne sont pas africains.
Plusieurs rapports sur les migrations en Afrique se sont concentrés sur la migration irrégulière, mettant en relief son aspect horrible et tragique. Les drames de Ceuta et Melilla en 2005 et 2022, la tragédie de Lampedusa en 2013 et les multiples drames dans la Méditerranée concentrent plus l’attention des médias. Occultant un autre récit sur la migration contemporaine en Afrique qui se concentre largement sur la migration intra-africaine, « comme le démontrent les interminables passages quotidiens aux frontières par les commerçants, dont beaucoup sont des femmes vendant sur les marchés qui essaient simplement de gagner leur vie », indique le Rapport sur la migration en Afrique.
Les données disponibles sur la migration des pays africains vers l’Union européenne et communiquées dans ces dernières années montrent que les entrées sont essentiellement régulières. Selon le rapport 2019 des Nations Unies sur la migration, entre 2011 et 2017, les entrées régulières dans l’Union européenne en provenance de la plupart des pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest ont été plus nombreuses que les entrées irrégulières par voie maritime en Italie.
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