Le retour au bercail est une étape cruciale de la migration. Pour beaucoup de migrants africains, rechercher des conditions de vie meilleures était à l’origine de leur voyage à l’étranger, surtout dans les pays occidentaux. Un travail décent ou une activité rémunératrice qui puisse permettre aux différents candidats de subvenir aux besoins de leurs familles laissées au pays. C’est le cas de Banda Cissé, 45 ans, de retour d’un séjour en Espagne depuis 2010 et qui, aujourd’hui, entretient un fructueux commerce sur l’axe Casamance-Dakar en passant par les Niayes.
Parmi les premiers à réussir la traversée de la Méditerranée
En 2006, quand les premières pirogues expérimentaient la traversée de la Méditerranée pour rallier l’Espagne, Banda n’avait que 28 ans. A l’époque, il résidait en Basse Casamance (Sud du Sénégal) où il s’activait déjà dans le commerce du poisson fumé. « Les choses marchaient hyper bien pour moi. Je pouvais gagner jusqu’à 500 mille par semaine avec mon commerce. Mais, il a fallu que des connaissances me convainquent d’aller en Europe parce qu’on y gagnerait beaucoup plus et en travaillant moins. Ils n’ont pas eu besoin d’insister parce que les exemples étaient légion dans mon village où des gens qui avaient émigré ont pu réaliser beaucoup de choses en si peu de temps », raconte notre interlocuteur retrouvé à une centaine de kilomètres de la capitale sénégalaise, entouré de son épouse et de ses trois enfants.
Banda explique, tout de même, que voyager, à l’époque, par la mer était plus sûr qu’aujourd’hui. « Les pirogues qu’on prenait en 2006 étaient beaucoup plus solides que celles à bord desquelles nos jeunes frères sont embarqués de nos jours. En plus, nous avions des capitaines (ou chef d’équipage) très expérimentés qui avaient l’habitude de faire ce genre de trajet en mer. De ce fait, sur dix (10) pirogues qui tentaient la traversée, on entendait rarement plus de deux sombrer dans l’océan. Les risques étaient là, mais les passeurs et les convoyeurs étaient plus organisés pour les amoindrir », croit-il savoir.
« 8 jours en mer, sans fermer l’œil, j’ai pensé qu’on allait tous mourir »
Malgré toutes les précautions prises pour une traversée sécurisée, le voyage en mer comporte de très gros risques. Surtout pour les personnes comme Banda qui n’avaient jamais auparavant été en haute mer. « C’était ma toute première fois. J’avais déboursé 300 mille pour le voyage. Nous étions moins d’une centaine de candidats dans la pirogue. Je ne me rappelle plus du nombre exact. Mais ce fut une expérience très éprouvante. Nous avons passé 8 jours en mer pendant lesquels, il m’était presque impossible de fermer l’œil. A un moment, j’ai pensé qu’on allait tous mourir dans l’océan. Le soleil se levait, se couchait, se levait encore et nous étions toujours dans l’océan. Je n’oublierai jamais mon état de soulagement extrême quand on a aperçu un rivage au loin », confie-t-il à Dialogue Migration.
Avant de poursuivre : « Nous avons débarqué sur une île. Je ne me souviens plus laquelle (il tente de se remémorer le nom de l’île et marmonne quelques noms, mais n’est pas convaincu, ndlr). Nous étions très exténués par le voyage. Sur place, nous avons été accueillis par les services de secours qui nous ont transportés dans un grand centre. Là-bas, on a trouvé d’autres migrants de diverses nationalités. Dans ce centre, nous avons séjourné pas moins de 40 jours avant de rallier l’Espagne ».
« Mon erreur a été de croire que je pouvais gagner plus en Europe »
Pour quelqu’un qui gagnait entre 2 millions et 2,5 millions FCFA, le mois grâce à son fructueux commerce au pays, Banda s’est néanmoins laissé convaincre qu’il pouvait, au moins, gagner le triple de cette somme en Europe. Mais il a été confronté à une autre réalité sur place. « Quand on a été convoyé en Espagne, je suis allé chez mon frère à Marbella. Il était dans ce pays depuis plus de 5 ans et s’activait dans la vente à la sauvette de cassettes et autres marchandises de contrebande. Il m’a alors introduit dans ce secteur et j’ai commencé à trouver mes marques. Mais c’était très difficile de gagner autant d’argent qu’avec la vente de poissons fumés au Sénégal. En plus, la police espagnole nous menait la vie dure en confisquant souvent nos marchandises et gains », dit-il.
Avant d’ajouter : « Après 3 ans sur place, j’ai réalisé que tout ce qu’on a pu me raconter avant mon départ était largement exagéré. Bien qu’il m’ait arrivé d’envoyer de l’argent à ma famille au pays, je me disais que c’était insuffisant par rapport à tout ce que je faisais pour elle quand mon commerce marchait bien en Casamance. C’est là que j’ai décidé de rentrer au Sénégal et de tout recommencer à zéro. Mon frère a essayé de me proposer d’autres villes comme Barcelone, dans lesquelles beaucoup de ses amis tiennent des magasins, mais j’ai refusé. Je ne me sentais plus dans la peau d’un migrant ».
Retour bredouille pour… un business florissant au bercail
Après un séjour fatidique de près de quatre ans en Espagne, Banda Cissé est retourné au Sénégal les mains vides. Ce n’est pas faute d’avoir tenté. Seulement, la migration ne lui a pas réussi. Ayant laissé une épouse, des enfants et des parents au pays, il ne pouvait pas continuer à vivre de manière clandestine, sans papier à des milliers de kilomètres d’eux. Il a pris son courage à deux mains, a décidé de rentrer bredouille et affronter le regard inquisiteur de la société. « J’étais un sans papier et je ne pouvais prendre le risque de continuer à vivre en toute illégalité dans un pays étranger avec tout ce qui pourrait m’arriver et qui se répercuterait forcément sur ma famille au pays. Je suis donc revenu les mains vides. Heureusement, ma famille, mes proches et amis étaient beaucoup plus concentrés sur l’intégrité de ma personne physique que sur ce que je pourrais avoir apporté dans mes bagages », confie notre interlocuteur.
Banda de poursuivre : « au début, c’était difficile de reprendre à partir de là où je m’étais arrêté. Mon business d’antan était entre les mains d’autres personnes. Il me fallait trouver un nouveau départ. J’ai alors trouvé un bon créneau en celui du commerce de citrons hors saison. C’est-à-dire 12 mois sur 12, il y a des gens qui produisent ce fruit. C’est un marché très fructueux parce que les Sénégalais consomment beaucoup de citron », constate-t-il tout heureux.
12 ans après son retour au Sénégal, Banda Cissé mène aujourd’hui une vie tranquille avec sa famille. Il parvient à subvenir à ses besoins et à ceux de ses proches grâce à son commerce. « Aujourd’hui, j’ai les moyens de retourner en Europe en passant par la voie légale. J’ai même des amis qui sont là-bas et qui m’encouragent à le faire. Mais, je refuse catégoriquement. Pour rien au monde, je ne commettrai la même erreur qu’en 2006. Il ne faut jamais laisser un travail décent et de bons revenus ici pour aller à l’aventure en Europe. Je ne le ferai plus », jure-t-il la main sur le cœur.
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