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La Migration : une opportunité économique pour le Niger
Témoignage
La Migration : une opportunité économique pour le Niger
Youssouf Abdoulaye Haidara 🇳🇪
Youssouf Abdoulaye Haidara 🇳🇪
October 24, 2023

Le Niger, pays sahélien situé au cœur de l’Afrique de l’ouest est un carrefour pour les voies migratoires. Il sert de pont entre l’Afrique au sud du Sahara, le Maghreb et l’Europe. Dialogue migration a rencontré le Professeur Mounkaila Harouna, Chercheur à l’université Abdou Moumouni de Niamey et également Coordinateur du Groupe d’Etude et de Recherche Migration, Espace et Société (GERMES) sur pour un entretien sur l’apport de la migration à l’économie nationale.

D.M: Bonjour Professeur, le Niger est un pays qui joue un rôle très important dans la migration. Il est à la fois pays de départ, de destination et de transit pour les migrants. Alors comment appréciez-vous la question migratoire au Niger ?

Pr Mounkaila Harouna: Lorsqu’on traite des questions de migration, vous voyez que le plus souvent, les gens mettent l’accent sur les conséquences négatives. Nous, en tant que chercheurs, nous évitons de faire ce hiatus entre d’une part des conséquences positives et des conséquences négatives. Nous pensons que les déplacements de population, il faut les apprécier dans leur totalité et ainsi, il faut comprendre leur complexité. Les migrations constituent une opportunité  importante pour le Niger. 

D.M : Quelle opportunité les migrations représentent-elles pour le Niger ?

Pr Mounkaila Harouna : Aujourd’hui, quand vous regardez au niveau du milieu rural, le rôle que ces migrations jouent, notamment dans la sécurité alimentaire des ménages, dans l’habillement, dans la satisfaction d’un certain nombre de besoins essentiels au niveau des ménages. Parce que vous savez que nous sommes dans des contextes où la production agricole sur laquelle les gens fondent leur espoir, n’est pas toujours au rendez-vous. Parfois, lorsque vous avez des récoltes qui ne suffisent qu’à satisfaire les besoins  alimentaires à trois mois de la population dans l’année, les sept autres mois, il faut avoir recours au marché et pour pouvoir faire ce recours au marché, il faut avoir des ressources monétaires. Et ces ressources monétaires, l’une des sources principales, c’est d’abord la migration. 

D.M : Quels sont les avantages économiques des transferts de fonds effectués par les migrants pour le Niger ?

Pr Mounkaila Harouna : Aujourd’hui, si vous allez à Cotonou, vous allez voir que vous avez Al-Izza (société de transfert d’argent de droit nigériens) là-bas, vous avez Nita (également société de transfert d’argent de droit nigérien) là-bas.  Et les gens qui transfèrent de l’argent vers le Niger, ce sont les migrants.  Et donc nous avons aujourd’hui une dépendance assez importante de nombreux ménages nigériens vis-à-vis des revenus de la migration. On se demande d’ailleurs, sans ces revenus de la migration, comment les gens vont faire dans les villages pour assurer leur alimentation, pour assurer leur habillement, pour payer la  dot, pour faire face à un certain nombre de besoins. Donc la migration est une opportunité économique importante pour les ménages.

D.M : Ces transferts vont-ils profiter ou renforcer l’économie du pays ? si oui, comment ?

Pr Mounkaila Harouna : C’est aussi une opportunité importante pour l’État, pour les régions.  Aujourd’hui, si vous allez dans une région comme Tahoua (région du Niger située au centre-nord du pays), il n’y a pas très longtemps, moi j’ai suivi une présentation notamment qui a été faite par le Secrétaire  Général du conseil régional de Tahoua, qui montrait que les migrants nigériens ont construit un CSI (Centre de santé intégré) d’une valeur de plus de 200 millions de francs CFA. Donc vous avez plein d’exemples comme ça, où nous avons des investissements importants de la diaspora nigérienne qui est en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Togo, aux États-Unis, en France, au Nigeria, au Bénin, au Togo ainsi que dans les régions de départ. Ce sont des investissements pour construire des écoles, des classes, des clôtures d’écoles, des structures de santé. Mais aussi des infrastructures hydrauliques, notamment des puits cimentés, des puits modernes, ainsi que des forages. 

Nous avons tout un tas d’investissements que ces migrants font au niveau des régions des villes du Niger. Un exemple, à Tahoua dans le quartier Sabongari, la plupart des constructions ont été réalisées par des migrants qui sont à l’extérieur. Aujourd’hui vous avez de nombreux investissements qui sont faits, y compris à Niamey, par les migrants qui sont à l’étranger.  Vous avez des boutiques aujourd’hui qui sont financées, notamment par ces migrants-là. Et donc on peut considérer que ces migrations constituent une opportunité importante pour le Niger. 

De façon globale, les transferts de fonds contribuent à réduire le déficit de la balance de paiement du Niger, parce que ce sont des entrées de devises plutôt que des sorties de devises. Et aujourd’hui, d’après les estimations, en tout cas officiellement, les transferts de fonds, quand vous prenez les statistiques de la Banque mondiale, c’est à peu près  plus de 1% du PIB du pays. Et là c’est parce que c’est les transferts formels. La plupart des transferts qui sont faits par les Nigériens qui sont à l’extérieur, ça se fait de façon informelle, donc c’est difficile à quantifier. Ça veut dire que, si on prend en compte tous ces transferts informels, cela peut aller au-delà de 3 ou 4% du PIB. 

Nous savons que dans beaucoup de pays africains, comme le Cap Vert ou la Gambie, les transferts de fonds représentent plus de 30% du PIB. C’est de la richesse produite dans ces pays-là. 

On dit d’ailleurs que les transferts de fonds sont plus importants que les investissements directs étrangers et plus importants que l’aide publique au développement dans nos États. Donc ça montre un peu l’importance du transfert.  

Et si on ramène ça au Niger, ce qu’on voit au niveau des régions, les investissements qui sont faits au niveau des familles, des ménages, dans les villages, dans les régions, dans les départements, montrent que les ressources qui sont transférées par les migrants sont des ressources qui sont très importantes dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’hydraulique, de l’alimentation. Et puis tous ces investissements économiques pour renforcer le pouvoir économique des ménages,  c’est vraiment important. 

Il ne faut pas oublier le financement du pèlerinage à la Mecque, les investissements socio-économiques par exemple. Il y a beaucoup d’argent pour l’achat, parce que le plus souvent aussi, les gens investissent dans le bétail, on achète des animaux. Je pense que ce sont des opportunités économiques qui existent, pour lesquelles nous avons besoin de ces circulations-là. Nous avons besoin de ces migrations, et il serait absurde qu’il y ait des politiques qui contrarient la libre circulation des personnes dans notre espace. Nous sommes dans des contextes où ce sont des populations qui ont toujours vécu par relation avec l’extérieur, et on ne peut pas casser cela.

D.M : Comment l’immigration contribue-elle à l’économie du Niger ?

Pr Mounkaila Harouna: Il faut prendre en compte l’immigration  et même les mouvements de transit. Quand vous prenez l’immigration, nous avons plus de 200.000 ressortissants des autres pays, en particulier ceux des pays limitrophes du Niger qui travaillent. Certains ont eu la nationalité nigérienne, parce  que leur immigration remonte à la période coloniale et donc ce sont des personnes aussi qui contribuent à l’économie, en faisant du commerce ici, en travaillant que ce soit dans les organisations internationales, ou dans certaines structures au niveau national. Donc, ces migrants contribuent aussi à l’économie du Niger, nous avons par exemple beaucoup de cas très frappants. 

Dans le domaine de la construction, les jeunes  migrants qui viennent du Togo ou du Bénin, y  jouent un rôle important. Dans tous les grands chantiers qui ont été faits, vous voyez comment les gens viennent vendre leur savoir-faire au Niger. C’est enrichissant pour notre pays. Si vous prenez aussi l’immigration transit à Agadez, jusqu’à ce qu’il y ait la mise en place de ces politiques-là (la loi 2015-36  sur le trafic illicite des migrants), le transit à Agadez génère des dizaines de milliards de francs CFA par mois, pour les gens qui sont chargés de transporter les migrants, ceux qui les hébergent et pour toutes les activités qui sont vouées à la migration. Notamment la restauration, l’achat de turbans, de lunettes, et de tout ce qui est nécessaire pour ce voyage-là. 

Ce sont des investissements qui sont faits au Niger. En plus vous avez aussi la mise en contribution des structures de transfert d’argent, au niveau des banques, des agences de transfert, de toutes ces structures de communication. Ce sont des investissements, c’est de l’argent qui est dépensé, et donc ce sont des opportunités  économiques pour le Niger. 

D.M : Alors quelle est la part de la migration interne dans l’économie ? Surtout que beaucoup de jeunes nigériens quittent les villages pour les grandes villes après la campagne agricole ?

Pr Mounkaila Harouna: Si on regarde ces opportunités économiques, il faut les voir sous l’angle de l’immigration et sous celui des migrations internes, parce que vous avez aussi les migrations  internes qui sont très importantes. Notamment du milieu rural vers le milieu urbain, les  gens viennent travailler pour avoir des ressources pendant la saison sèche. Puis retourner dans leur village, acheter des sacs de mille, de maïs, de riz, faire face à certaines dépenses des ménages. Donc tout ça ce sont des opportunités  qui existent, qui font que les déplacements, les migrations sont un phénomène social important, qu’il faut préserver, qu’il faut bien gérer.

D.M : La libre circulation des personnes et des biens est souvent mise à rude épreuve dans les pays de la CEDEAO, selon vous cette situation peut-elle avoir une répercussion sur l’économie de la migration ? 

Pr Mounkaila Harouna : Nous savons qu’au niveau de notre espace, on a quand même deux ou trois espaces communautaires qui font la promotion de la libre circulation des personnes libres. La zone qui est la première à le faire, c’est la CEDEAO, pour lequel il existe depuis 1979 un protocole sur la libre circulation des personnes et des biens, qui devrait se faire  en trois étapes. Une étape de suppression du droit du visa, là le visa est supprimé dans tous les pays de l’espace CEDEAO il n’y a pas de problème. 

Le droit de résidence aussi et le droit d’établissement, qui est la troisième étape que le Niger a ratifiée en 2009, mais qui en réalité n’est pas appliquée. Vous avez la CEN-SAD (Communauté des Etats Sahélo-Sahariens), toutes ces organisations font la promotion de la libre circulation des personnes et des biens dans nos espaces. Mais le problème, c’est que quand on regarde la réalité de la circulation entre nos différents états ou à l’intérieur de nos différents états, nous voyons qu’il y a beaucoup de tracasseries. 
Malheureusement, la mise en place d’un certain nombre de politiques qui mettent l’accent sur la sécurité, sur la répression des déplacements  de population, notamment ceux qui sont considérés comme étant des déplacements irréguliers, fait que de plus en plus, ces pratiques sont encouragées. Par exemple, la mise en place de la loi 2015-36 sur le trafic illicite de migrants, encourage plutôt les abus  vis-à-vis des migrants. Si vous avez des contraintes à cette liberté de circulation des personnes, naturellement, ça peut affecter la circulation des biens aussi. Et donc du coup, ça peut avoir des conséquences pour l’économie.


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